Le mouvement de lutte
contre la réforme des retraites indique à la fois l’ampleur de la colère
populaire après quarante ans de remises en cause des conquis sociaux, de
paupérisation, de précarisation et l’absence
d’alternative révolutionnaire à court et moyen
terme du fait de l’absence d’un véritable parti
communiste capable de transformer cette révolte en révolution.
Cette contradiction
entre, d’une part l’affirmation de la combativité de la classe
ouvrière et des autres classes populaires mis
en exergue par cette belle lutte et, d’autre part, la
faiblesse de son organisation pour elle-même, est la
question stratégique principale posée et à
résoudre. De la réponse apportée à cette question dépend en effet notre
avenir à court-terme : soit un recours au fascisme par
la bourgeoisie pour détruire la force ouvrière et populaire
montante, soit la sauvegarde de nos droits démocratiques et sociaux
permettant de gagner le temps nécessaire à la reconstruction d’un parti
communiste sans lequel aucune solution progressiste durable n’est possible.
L’impérialisme français
en crise fait payer les classes laborieuses
L’impérialisme français
est depuis plusieurs décennies entré dans une crise et un
déclin durables se traduisant par des attaques contre tous les conquis
sociaux et démocratiques qu’il fut contraint de
céder en, 1936, 1945 et 1968 d’une
part et par une agressivité contre
les peuples de son « pré-carré »
néocolonial, contre les puissances émergentes et les rescapés du camps socialiste, au premier rang desquelles se situe la Chine
d’autre part. Son intégration dans l’UE/OTAN et son
alignement atlantiste guerrier en fait aujourd’hui un
impérialisme secondaire déclinant.
Son lien avec
l’impérialisme hégémonique états-unien est devenu un lien de sujétion totale
comme en témoigne la guerre en Ukraine et l’alignement
intégral sur les positions atlantistes qu’elle révèle au détriment même des
intérêts d’une partie de la bourgeoisie française. Au sein de l’Europe la place
de l’impérialisme français s’oriente également en direction d’une sujétion
grandissante à l’égard de l’impérialisme allemand alors même que ce dernier
n’hésite plus à lui tailler des croupières en Afrique en jouant de plus en plus
sa propre stratégie jusque dans ce qui été considéré comme un
« pré-carré » français. Son oppression économique en
Afrique, en Asie et en Amérique du Sud ne cesse de décliner que ce soit en termes
d’investissement ou d’import-export du fait de
la diversification du développement des
relations économiques entre l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du sud et les puissances
émergentes d’une part et en particulier avec la
Chine d’autre part. Le champ des alliances militaires et/ou
économiques possibles s’est désormais aussi diversifiés pour chacun
des pays dominés, affaiblissant considérablement le face-à-face contraint des
anciennes colonies françaises et de
l’impérialisme français et plus
généralement du G7 et
de leurs Officines que sont le FMI et la Banque
Mondiale . La rupture de la chaîne de dépendance en Centrafrique
d’abord, au Mali ensuite, puis au Burkina Faso fait craindre à
la bourgeoisie française une perte de sa mainmise totale en
Afrique.
Une telle
marginalisation serait fatale à l’impérialisme français que Lénine qualifiait
déjà en 1916 d’impérialisme rentier. L’ensemble du « modèle
social » français résulte des luttes ouvrières et populaires
dirigées par la CGT et le PCF né au Congrès de
Tours en 1920 et fut bâti sur la base des
superprofits issus du pillage des pays
dominés et en particulier et surtout
d’Afrique. Cette caractéristique est certes le propre de tous les impérialismes
mais avec un degré beaucoup plus fort pour la France du fait du caractère rentier sur lequel insiste Lénine. Ce sont
ces superprofits néocoloniaux qui ont été utilisés face à des classes
populaires combatives de longue date [de la révolution française
au dernier mouvement des retraites en passant par la Commune de
Paris, les Gilets Jaunes et la longue
lutte des Sans Papiers pour les papiers] pour faire des concessions
sociales lui permettant d’éviter les ruptures révolutionnaires sans toucher à
son niveau de profit.
Désormais préserver les
profits suppose une confrontation durable avec la classe ouvrière, une remise
en cause totale des conquis sociaux et démocratiques,
une hausse considérable du taux d’exploitation,
quitte pour cela à courir le risque d’explosions sociales radicales. Si en 1995
Alain Juppé, et la bourgeoisie qu’il
représente, retire sa réforme face au mouvement social, c’est que la situation
de l’impérialisme français le lui permet encore sans toucher significativement
à la masse et au taux de profit. Ce n’est plus
le cas aujourd’hui.
La contre-offensive de
l’impérialisme français
Affaibli et en déclin, l’impérialisme français n’est ni mort, ni
agonisant, ni paralysé. La classe dominante française ne se résout pas à son
déclin. Elle est à la recherche de la contre-offensive lui permettant de
reprendre le terrain perdu. Sur le plan international, cette contre-offensive
se traduit par un jusqu'au boutisme militaire en Ukraine d’une part et par des manœuvres de reconquête du terrain
perdu en Afrique d’autre part. La hausse inédite et durable du budget des armées (69 milliards d'euros par an
programmé à horizon 2030 contre 45 milliards en 2023, soit une hausse de 30%
sur 7 ans, la plus forte hausse depuis les années 1960) est ainsi à la
fois un indicateur des futures guerres auxquelles se prépare l’impérialisme
français et un coût énorme qu’il faudra bien
financer sur le dos des travailleurs car il est bien sûr hors de question pour
la bourgeoisie de prendre ces dépenses sur ses profits.
Sur le plan
national, la contre-offensive bourgeoise impérialiste se traduit par
une accélération importante du rythme de
destruction des conquis sociaux et des objectifs
de hausse du taux de plus-value tout aussi conséquent. Au rendez-vous pour les
travailleurs se trouve donc la massification de la pauvreté et de la précarité. Une telle situation ne peut que
provoquer des mouvements sociaux de grande ampleur comme celui que nous vivons
sur la réforme des retraites et même plus
radicaux que celui-ci. Du mouvement
des Gilets Jaunes au mouvement actuel sur les retraites, c’est à une
radicalisation de la lutte des classes sous toutes ses formes à laquelle nous
assistons et qui n’a aucune raison de
s’arrêter. Si on ne peut pas prédire les formes, les déclencheurs et le moment que prendront les futures explosions
sociales, il n’y a en revanche aucun doute sur leur survenue. Bref les facteurs
objectifs d’une situation révolutionnaire se réunissent rapidement.
La bourgeoisie
en général et le capital financier qui en est
son aile dirigeante est consciente de cette situation et s’y
prépare. Ce qu’il faut retenir, ce n'est pas la dérive
personnelle de Macron ou Darmanin dans l’utilisation de la violence pour
réprimer les mouvements sociaux. Il y a au contraire le fait que l’État
bourgeois est une dictature de classe et l’anticipation
de la montée en puissance de la lutte des
classes par l’accélération d’un processus de fascisation pour pouvoir
faire face aux mouvements sociaux radicaux inévitables compte-tenu de l’ampleur
des attaques prévues contre nos salaires, nos retraites, nos conditions de
travail, nos services publics, notre sécurité sociale, les droits des
étrangers, etc. Comme le soulignait Berthold Brecht : « le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie
[comprendre « démocratie bourgeoise »] mais son évolution en temps de
crise ».
C’est pourquoi
toutes les expériences du fascisme ont
été précédées par des processus de fascisation de la démocratie
bourgeoise ayant comme contenu de restreindre le droit de grève et tous les droits démocratiques, de criminaliser le
mouvement social, les militants syndicalistes, associatifs et encore plus les militants communistes, d’encourager la
multiplication des groupes et réseaux fascistes
pouvant si nécessaire servir de réserve en cas de besoin, etc. Avant même de se
résoudre au fascisme, la classe dominante le
prépare tout en faisant
semblant de pouvoir s’en passer.
La fascisation
a bien entendu également un versant idéologique constitué par la multiplication
des campagnes visant à diviser les classes populaires. Des éructations
fascistes d’un Zemmour à la surenchère de la loi Darmanin
sur l’immigration, en passant par l’islamophobie ou les campagnes contre le
pseudo « islamo-gauchisme », la frénésie idéologique est un autre
indicateur de la contre-offensive de l’impérialisme français.
L’accélération
des attaques contre les intérêts des travailleurs et la
répression qui l’accompagne a suscité logiquement un mouvement de rejet
populaire massif. La crise de légitimité de Macron et de
la 5éme République présidentialiste est inédite quantitativement et qualitativement. Quantitativement parce que
ce mouvement social continue d’être actif et soutenu par
l’opinion publique sur une durée aussi longue. Qualitativement le soutien
populaire s’étend jusqu’au soutien aux formes radicales de luttes.
L’utilisation du 49.3 a eu pour effet de briser
de nombreuses illusions sur la démocratie bourgeoise. Le rejet prend également
de plus en plus la forme du refus non plus d’un
homme ou d’un parti mais des politiques libérales et du système capitaliste lui-même. Bref, les conditions
d’une crise de régime se réunissent également à un rythme accéléré.
Bien sûr, en l’absence
d’un parti communiste capable de diriger et d’orienter
ces prises de consciences spontanées, celles-ci demeurent inabouties,
contradictoires, partielles et confuses. Elles
sont de ce fait récupérables et instrumentalisables
par le fascisme avec en particulier un
Rassemblement National qui reste en embuscade et qui par
sa démagogie politico-sociale raciste détourne la légitime colère
populaire non contre le capital, mais contre les travailleurs immigrés pour
profiter du discrédit des autres forces
politiques, de la gauche libérale, des écolos
libéraux, du centre et de
la droite soutenant les attaques anti-populaires. Bref le danger fasciste
grandit dialectiquement en même temps que grandissent les conditions d’une
situation objectivement révolutionnaire.
Le besoin d’une
tactique de Front Populaire
L’absence d’alternative
révolutionnaire à court terme du fait de
l’absence d’un parti communiste national, la recherche d’un débouché
politique aux colères sociales a conduit à un succès notable de la France
Insoumise anti-libérale,
antifasciste d’abord et de la
NUPES qui élargit l’opposition anti-libérale,
antifasciste ensuite. Ce succès électoral consécutif à celui de la
présidentielle mesure la colère sociale et la
volonté de mettre fin aux politiques libérales réactionnaires et les avancées antilibérales et antifascistes
en cours dans la conscience du peuple. Même si la
France Insoumise, qui est l’aile la plus à gauche de ce nouveau camp électoral,
n’a aucune velléité de rupture avec le capitalisme, elle constitue une
« social-démocratie de gauche antilibérale et antifasciste »
poussant à une redistribution moins défavorable aux classes populaires mais
sans remettre en cause le système d’exploitation à l’intérieur de l’hexagone,
ni l’impérialisme français sur le plan international.
En dépit de ces
limites incontestables, ce nouveau « camp » va objectivement à court
terme dans le sens des intérêts des travailleurs. Il permet d'espérer freiner,
voire de faire régresser partiellement la casse sociale, de préserver les
libertés démocratiques, de gagner un temps précieux pour bâtir un parti
communiste en dehors duquel rien de plus conséquent ne sera possible.
C’est la raison pour
laquelle, malgré nos critiques de fond sans concession que nous devons
continuer à porter, nous avons à défendre la NUPES aux prochaines échéances
électorales et plus particulièrement sa branche
« social-démocrate de gauche » qui en est le moteur, à
savoir la France Insoumise. Une telle position n’est en rien une illusion
idéaliste sur la nature de ces forces, sur leur programme ou sur leur capacité
à rompre avec le capitalisme. Elle n’est pas non plus un renoncement à la
nécessité de la Révolution sans laquelle aucune
rupture avec le capitalisme n’est possible. Elle est tout simplement un
besoin immédiat pour faire barrage à la
fascisation et au fascisme et donc une tactique à
assumer pleinement découlant du rapport actuel des forces
entre classes sociales, entre capital et travail.
Construire le Parti
communiste dont nous avons besoin
Cette tactique ne doit
cependant pas se confondre avec une stratégie. Hier comme aujourd’hui, la
classe ouvrière a besoin d’une stratégie de conquête du pouvoir,
de renversement de l’Etat bourgeois, d’instauration d’un Etat prolétarien et de rapports sociaux socialistes. Pour ce faire, la
tâche principale reste la construction d’un parti communiste
puissant, nationalement implanté rassemblant les militants dirigeants des
luttes les plus combatifs, capable de constituer le facteur subjectif
d’une révolution qui possède déjà de plus en
plus son facteur objectif.
Accélérer le
processus de convergence et d’unité d’action
stratégique des groupes communistes existants d’une part, recruter et former des milliers de militants que le mouvement
social actuel et les luttes des classes à venir
rendent sensibles au programme communiste d’autre part, est la tâche centrale
de la période.