Après 580 jours de prison
pour l’écarter de la présidentielle 2018, puis innocenté, Lula da Silva
redevient président avec près de 2 millions de voix d’avance contre l'extrême
droite fasciste Bolsonaro et l’impérialisme Yankee
(50.8% contre 49.2%).
Les contradictions de la gauche
anti-libérale
En octobre 2002 lors de
sa première élection, nous écrivions que Lula allait devoir choisir entre la
bourgeoisie et les travailleurs en interrogeant le fait que « le projet de Lula
est un ‘’partenariat entre syndicats ouvriers, mouvements paysans et patrons’’,
pacte social entre le capital et le travail qu’il a expérimenté dans la gestion
municipale en utilisant ‘’la transparence et la démocratie participative’’ ».
Cette recherche du
compromis historique entre capital et travail sans différenciation claire entre
bourgeoisie souverainiste et compradore (servile à l’impérialisme) va se
révéler être un facteur d’affaiblissement du pouvoir de la gauche (Parti des
Travailleurs).
Le plus grand pays et le
plus peuplé d’Amérique du sud – 8.515.759 km² et 212.777.038 habitants (2021) –
est, en effet, tiraillé entre une bourgeoisie à l’ambition de conquérir son
marché national à son profit et une autre prisonnière de la tradition coloniale
de dépendance vis à vis de l’impérialisme étranger US.
Et du coup sous Lula 1er
et Dilma Roussef, les luttes sociales revendicatives
et les politiques contre la pauvreté vont être considérées par certains des
patrons souverainistes comme un frein à leur profit les poussant ainsi à miser
sur la corruption de certains secteurs dirigeants du PT.
Les paysans sans terre
(MST) et la base des syndicats ouvriers vont de plus en plus s’éloigner puis
combattre les politiques de compromissions avec un patronat toujours plus
gourmand. Lula lui-même reconnaît cela après l’échec de l’élection de 1989 : «
la vérité la plus dure est que ceux qui nous ont vaincus étaient les secteurs
les moins favorisés de la société ».
C’est ainsi que Lula,
puis Dilma Roussef et le PT vont perdre peu à peu les
deux bases sociales du compromis social souverainiste qui les avaient porté au pouvoir.
Restant toutefois
populaire, il aura fallu la cabale contre Dilma Roussef
et l’emprisonnement de Lula pour l’empêcher de se présenter à l’élection
présidentielle de 2018 pour que le candidat de l’extrême droite fasciste, Bolsonaro, soit élu.
La démagogie souverainiste du pouvoir
fasciste
Mais Bolsonaro
est lui-même confronté à cette opposition entre les deux fractions du patronat
brésilien.
A y regarder de plus
près, sa politique économique libérale a consisté à défaire les politiques
sociales contre la pauvreté de Lula/Dilma au profit d’une « classe moyenne »
plutôt « white » et des patrons en cherchant à leur permettre l’exploitation de
la forêt tropicale amazonienne qui est la plus grande du monde et qui couvre
une superficie de 6.000.000 km2, dont 60% au Brésil.
En fait, le fascisme de Bolsonaro s’est exprimé sur le plan idéologique et
politique par son fanatisme religieux chrétien évangéliste, ses attaques contre
les droits des femmes, son racisme négrophobe de descendant d’esclavagiste, sa
militarisation de la lutte contre les pauvres sous prétexte de lutter contre
l’insécurité et par son soutien au fascisme colonialiste sioniste israélien.
Mais en même temps le
fascisme a mené une politique libérale au service des intérêts souverainistes
de la bourgeoisie brésilienne. C’est ce qui explique le relatif non alignement
sur les USA dans le conflit russo-ukrainien et l’ouverture aux investissements
chinois que l’on a pu observer.
Les contradictions à résoudre
L’écart électoral très
réduit montre qu’en majorité la bourgeoisie nationale brésilienne en a marre du
rôle de second couteau que le colonialisme et la dépendance que lui a fait
jouer l’impérialisme hégémonique US. Même contradictoire, son ambition de
devenir souverain sur son marché national puis concurrent à l’extérieur des
bourgeoisies mondialement dominantes est de plus en plus avérée.
Lula et le PT ont voulu
concilier les intérêts de classe patronaux souverainistes avec la réduction de
la pauvreté grâce au programme Bolsa Familia, de
crédit déductible des salaires et l’augmentation du salaire minimum.
Sa stratégie était de
réduire la pauvreté sans affrontement avec le capital. Mais il a été rattrapé
par un élément quasi-naturel du capitalisme : la corruption qui a pénétré dans
le PT et les hautes sphères bureaucratisées du mouvement syndical dont il est
lui-même issu.
Bolsonaro a réconcilié les
fractions souverainiste et compradore de la bourgeoisie brésilienne contre les
pauvres, les classes laborieuses tout en amplifiant la discrimination raciale
suprémaciste dans une société brésilienne marquée par les stigmates de
l’esclavage et l’apartheid colonial comme aux USA. L’inégalité raciale
sévissait sous son magistère au sein même des « classes moyennes », lesquelles
connaissent par ailleurs un processus général de paupérisation les
différenciant en « haute et basse classes moyennes ».
Peut-on traiter comme
contradiction non antagonique les intérêts de classes antagoniques mais qui,
conjoncturellement et temporairement, peuvent avoir un intérêt commun à la
souveraineté nationale ? Oui, assurément, mais à condition de pousser la
contradiction antagoniste avec l’impérialisme jusqu’à un point de rupture et
d’approfondir la politique anti-libérale en dotant l’État de leviers
stratégiques au plan économique (tenté faiblement par Dilma Roussef)
qui lui permet à la fois de satisfaire les revendications populaires et de
soutenir le secteur privé national patronal souverainiste.
Il est clair que le faible
écart de 2 millions de voix, qui rend toutefois incontestable la victoire de
Lula, pose comme exigence le développement d’une stratégie de rectification
substantielle de la ligne anti-libérale et anti-impérialiste molle qui fut
suivie précédemment.
Après le retour au
pouvoir du MAS en Bolivie, les victoires au Chili, au Pérou, surtout en
Colombie, donnant raison à l’intermédiation de Cuba socialiste malgré les
assassinats, le retour au pouvoir de Lula participe de la rupture de
l’isolement relatif de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua et donne un nouveau
souffle à la résistance anti-libérale et anti-impérialiste en Amérique du sud.
Un facteur, qui peut
aider ces expériences patriotiques en plus du développement de la lutte des
classes dans ces pays, est l’évolution accélérée en cours du multilatéralisme
adossé à la souveraineté nationale contre l’hégémonisme prédateur et mortifère
des USA/OTAN/UE/Israël.
L’Afrique connaît aussi
des enjeux identiques, ce qui permet d’envisager une forme de retour au rapprochement
anti-hégémonique avec l’Amérique du sud et l’Asie.