La Conférence
Nationale du PCF a fait le choix de présenter un candidat, en
la personne de Fabien Roussel, aux prochaines élections
présidentielles. Cette proposition doit encore être
soumise pour validation au vote des adhérents les 7, 8 et 9
mai prochain.
Le débat qui
traverse le PCF intéresse largement tout notre camp social, le
camp de ceux qui se retrouvent au quotidien dans les luttes contre la
broyeuse anti-sociale du capitalisme-impérialiste. Il
intéresse bien sûr particulièrement la « famille
communiste », au sens large, qui inclut les militants
éparpillés par des décennies de
« décommunisation » réformiste du
PCF, dont ceux qui adhèrent aux divers groupes œuvrant à
la reconstruction communiste.
Disons-le d’emblée,
ce débat, à nos yeux, ne se résume pas à
un choix à faire entre « soutien à la
candidature de Jean-Luc Mélenchon » (comme en 2012
et 2017) et « candidature autonome du PCF ».
Dit autrement, le débat ne
se résume pas à une réaffirmation de
« l’identité communiste » par
opposition à un choix de « soumission »,
de « disparition » derrière la France
Insoumise et JLM. Il n’y a pas en réalité
seulement deux positions dans le débat, il y en a au
moins 3 et c’est ainsi une autre voix que nous faisons entendre
ici.
La
situation politique au bout de 5 années de macronisme
Le contexte politique
actuel est celui d’une présidence Macron qui s’est
engouffrée en 2017 dans la porte que lui a laissé
ouverte la présidence Hollande qui a fini par convaincre
les plus naïfs que la « gauche » faisait
la même politique libérale que la droite. En effet
la porte était grande ouverte sur une route déjà
tracée (cf. Loi Travail) et qu’il suffisait de
poursuivre : une politique de réaction sociale et de
répression accrue de la résistance antilibérale
avec notamment des lacrymogènes et des matraques qui
avaient exactement le même goût que celle de la
présidence actuelle, laquelle est juste passée un
cran au-dessus.
La politique
réactionnaire macroniennne, fusionnant
en un parti unique « droite et gauche » au
service des plus riches, a rencontré de la résistance
en dépit de la répression : le mouvement des
gilets jaunes qui a tenu le pavé pendant plus d’un an,
la lutte contre la contre-réforme des retraites
qui a vu des travailleurs en colère faire le choix
de la grève reconductible, un début d’alliance
entre les gilets jaunes et les gilets rouges, les
multiples luttes depuis, dont celles de la culture actuellement.
Les
émeutes de la pauvreté grondent dans la population :
quartiers populaires, jeunesse étudiante,… peu de
familles sont épargnées. Et la politique du
gouvernement est d’enfoncer encore plus ces familles dans la
précarité, ne leur laissant aucune certitude sur ce
dont demain sera fait. Les lois jumelles répressives et
racistes islamophobes montrent que la politique libérale
conduit à la fascisation. La pandémie est venue
aggravée la souffrance des populations : pénurie
de lits, de masques, de vaccins, etc, pendant que les profits
grimpent entraînant leurs lots de licenciements et de
fermetures d'entreprises.
Aujourd’hui,
Macron, s'attendant à un vote de rejet de sa politique
criminelle, joue la carte qui a permis son élection
en 2017 : le prétendu seul rempart au fascisme
incarné par Le Pen.
Anti-macronisme
ou antibéralisme ?
Face à Macron, une
tendance à l’unité des organisations se réclamant
de la gauche et des écologistes se dessine, mais ce faisant,
au nom d’un « anti-macronisme » verbal,
c’est à la réhabilitation du PS qu’on
assiste, avec l’appui d’EELV, en concurrence souvent avec
le PS pour le leadership de cet espace politique: tous les deux
sont dans une optique visant à réduire l’influence
de la « gauche radicale » (c’est-à-dire
la gauche populaire, antilibérale) dont les deux principales
forces (FI et PCF) avaient atteint ensemble 19,6% des voix à
la Présidentielle. Sous couvert d’« Union de
la gauche » antimacronienne, on assiste à la
volonté de nier la fracture décisive, née depuis
2005 et la bataille du Non au Traité Constitutionnel Européen,
entre une gauche antilibérale, eurocritique, anti-impérialiste
et une gauche « social-libérale »
(sociale en paroles / libérale dans les faits),
européiste, atlantiste et pro-impérialiste.
Il est à noter que
cette scission de la « gauche » a scindé
la social-démocratie officielle elle-même : une
social-démocratie de gauche antilibérale a
émergé (PG qui donnera la FI), ce qui n’est rien
d’autre que l’expression au niveau idéologique et
politique d’une radicalisation des
couches « moyennes » frappées
par l’aggravation de la crise du capital.
Dans toutes les luttes
sociales depuis 2005, y compris sous le gouvernement libéral
de François Hollande, une gauche anti-libérale de
combat s’est retrouvée, dont la traduction sur le plan
politique était, hier, le « Front de Gauche »
et est devenu aujourd’hui – sans label commun –
l’espace politique représenté principalement par
la France Insoumise et le PCF.
L’union
anti-libérale FI-PCF se concrétise encore en différents
points du territoire (Élections régionales en
Île-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes), mais
malheureusement le PCF a contribué à brouiller les
repères en cherchant à renouer localement des alliances
avec le PS d’abord et avant tout.
En disant cela, bien sûr,
nous portons la même critique vis-à-vis de la France
Insoumise quand, elle-aussi, elle escamote la ligne de clivage
anti-libéraux/sociaux-libéraux et qu’elle renoue
avec des alliances avec le PS, voire pire (l’écolo
Mathieu Orphelin, ex-député macroniste en
Pays-de-la-Loire).
Solo
communiste à la Présidentielle et « Union
de la gauche » aux régionales et
départementales ?
La candidature de Fabien
Roussel est présentée comme une volonté de
réaffirmation du PCF (« PCF is back »),
la fin d’une ligne d’« effacement » .
Mais comment comprendre
qu’aux départementales comme aux régionales (sauf
exceptions), c’est l’alliance avec le PS qui refait
surface ? Cette candidature PCF à la Présidentielle,
dont le seul objectif est de faire le meilleur score possible,
apparaît dès lors davantage comme un moyen de « montrer
le poids » du PCF, pour peser ensuite dans le rapport de
force au sein de la gauche et obtenir ainsi dans les coalitions
davantage d’élus.
Ainsi, à en croire
certains camarades du PCF, cette présidentielle serait une
étape décisive pour que le PCF renoue avec son passé
« révolutionnaire ». Faut-il rappeler à
l’inverse que le Parti révolutionnaire se
construit davantage par son intervention
militante, celle de ses forces militantes organisées à
l'usine et dans les quartiers populaires, dans les luttes
diverses (ouvrières, paysannes, antiracistes,
féministes, écologiques, anti-guerre, anti-impérialistes,
etc..), par sa capacité à mettre en
accusation le système capitaliste et à
proposer une société socialiste alternative, première
étape du communisme. Le front électoral est un front
parmi d’autres, ce n’est pas le seul vecteur
d’affirmation du Parti. C’est la déviation
électoraliste qui fait croire que c’est
principalement par ce biais-là que le PCF luttera contre son
« effacement ».
Le PCF s’est
surtout « effacé » lui-même en
participant et soutenant des gouvernements social-démocrates
qui ont privatisé à tour de bras, menés une
politique d’austérité, ravagés les
conquêtes sociales et démocratiques gagnées de
haute lutte par nos anciens qui s'appuyaient sur l'exemple de
l'URSS, matés les luttes, soutenus la construction
de l'alliance des bourgeoises à l'échelle européenne,
voire bombardés des peuples. Il s’est aussi effacé en
liquidant ses cellules d’entreprises et ses écoles de
formation marxiste-léniniste, et en se soumettant à
la vague anticommuniste en reprenant tous les poncifs contre
l’URSS, le prétendu « manque
de démocratie », l'expropriation des
actionnaires et la socialisation des moyens de production et
d'échange, la nature de classe dictatoriale de la société
capitaliste, etc.. C’est à ces questions
idéologiques, c’est à ces positionnements
politiques, c’est à ces questions organisationnelles
qu’un Parti qui voudrait vraiment lutter contre son
« effacement » devrait s’atteler. Or ce
n’est pas là l’enjeu des élections
présidentielles 2022.
L’enjeu
des élections n’est pas la réaffirmation de
l’identité communiste du PCF mais la mise en
échec du projet présidentialiste macroniste et
lepeniste
Les communistes
n’existent pas pour eux-mêmes mais pour mettre leur
organisation au service des nécessités du moment, pour
faire avancer la lutte de la classe ouvrière et des autres
couches populaires vers la satisfaction de leurs intérêts
historiques (« Dans les différentes phases
évolutives de la lutte entre prolétaires et bourgeois,
les communistes représentent toujours et partout les intérêts
du mouvement général » cf. le Manifeste
du Parti Communiste).
Or, la nécessité
du moment, l’étape de la lutte, est de bâtir le
front de résistance antilibéral, antifasciste,
euro-critique, anti-guerre, anti-impérialiste dont la
classe ouvrière et le peuple de France ont besoin, et
de porter le candidat de ce front au meilleur score possible
au 1er tour, voire au 2nd tour de la
présidentielle, pour déjouer la tenaille Macron-Le
Pen, libérale-répressive et fasciste.
Nous n'étions pas
loin d'y arriver en 2017, si le sabotage des 6 % de la
social-démocratie libérale que représentait
Hamon ne l'avait pas empêché.
Cela implique de tout
faire pour unir politiquement le front de résistance, donc
qu’il n’y ait qu’un seul candidat entre Mélenchon
et Roussel et, tant qu’à faire, que le candidat de cet
espace politique soit celui le mieux placé dans cette bataille
électorale, à savoir Jean-Luc Mélenchon.
Nous pouvons comprendre
la volonté d’un adhérent du PCF d’avoir
« son » candidat, mais il convient de raisonner
en la matière de la même façon qu’on
raisonnerait dans une lutte gréviste : il convient
d’abord et avant tout de raisonner en termes de meilleur
candidat, de meilleur porte-parole, non pas d’un Parti, mais de
notre « camp social », surtout dans un combat
inégal et difficile tel que la Présidentielle sous la
Vème République. Et parfois, oui, celui qui est le
mieux placé dans ce combat n’est pas celui de notre
parti. Il nous faut mesurer l'importance majeure des enjeux de
la présidentielle à venir pour le capital qui a,
jusqu'ici, infligé aux classes populaires les défaites
de nos luttes et a conduit à l'impuissance de l'abstention. Il
nous faut utiliser le vote du candidat antilibéral le mieux
placé pour frapper un grand coup dans le dispositif libéral
et fasciste.
Roussel
Vs Mélenchon, le communiste Vs l’anticommuniste ?
Des camarades qui
justifient le solo présidentiel finissent par dire que JLM et
la FI, « non, ils ne font pas partie de notre
camp », « ils sont aussi
sociaux-démocrates que le PS » (voire même
plus dangereux que le PS selon certains polémistes).
De telles remarques sont
basées sur des erreurs d’analyse et/ou des illusions.
L’erreur est de mal
analyser les candidatures de Mélenchon en 2012 et 2017 :
c’étaient bien le fruit d’une alliance politique,
c’est-à-dire d’un compromis entre forces
différentes (donc, oui, avec un courant social-démocrate
de gauche antilibéral), aux bases sociales différentes,
autour d’un objectif commun. L’objectif commun était
la construction du front de résistance populaire antilibéral,
antifasciste, euro-critique, anti-guerre, anti-impérialiste.
Un front qui n’est donc pas communiste en soi, puisque
l’objectif du front n’est pas le renversement du
capitalisme pour l’instauration du socialisme étape vers
le communisme. Mais un front dans lequel les communistes
constituent l’aile révolutionnaire, ceux qui « dans
les différentes phases évolutives de la lutte entre
prolétaires et bourgeois » représentent
le but final. La nature du front se détermine par la
présence de forces sociales et politiques différentes
dont la force communiste en son sein, et par
l’objectif du front.
L’illusion est de
croire que le programme présidentiel du PCF est « meilleur »,
« plus à gauche », que le programme
présidentiel de la FI ; qu’il est « communiste »
à l’inverse de celui de la FI.
Or il n’en est
rien. Mise à part la tautologie consistant à qualifier
de « communiste » le programme du parti qui se
nomme « communiste », ce « programme
communiste » est plutôt en réalité un
« programme minimum » antilibéral qui
n’est rien d’autre qu’un programme de réformes
correspondant aux besoins immédiats de la lutte des masses.
Ainsi PCF comme France
Insoumise ne présentent finalement qu’un programme de
réformes plus ou moins antilibéral, antifasciste,
euro-critique, anti-impérialiste, réformes plus ou
moins radicales, les unes étant applicables dans le cadre du
capitalisme, d’autres allant certes plus loin et nécessitant,
souvent sans le dire, la prise de pouvoir des classes
populaires. Les deux programmes ont de ce point de vue les mêmes
défauts « réformistes », ce
qualificatif ne signifiant pas qu’ils ne proposent que des
réformes (les révolutionnaires, rappelait Lénine
en son temps « ne doivent pas renoncer à la lutte
en faveur des réformes »), mais qu’ils
laissent entendre que de ces réformes va naître ipso
facto une nouvelle société, sans saut qualitatif
révolutionnaire : ils ne séparent pas nettement
les revendications immédiates de celles qui nécessiteraient
la révolution, c’est-à-dire d’arracher le
pouvoir à la classe capitaliste.
Le bouquet est quand le
candidat Fabien Roussel tacle par la droite la France Insoumise, en
surfant sur l’antisoviétisme, c’est-à-dire
au fond l’anticommunisme toujours bien ancré au PCF.
Ainsi, dans un entretien dans l’hebdomadaire Marianne (édition
du 16 au 22 avril 2021), Fabien Roussel ne trouve que ce seul exemple
pour montrer la divergence de fond avec la FI : « Les
insoumis viennent de déposer une proposition de loi sur la
garantie de l’emploi. Ils estiment que chacun doit avoir un
travail et que, si quelqu’un n’en trouve pas, l’Etat
doit être employeur en dernier ressort. Nous ne partageons pas
du tout cette philosophie-là, ça, c’est l’époque
soviétique, le kolkhoze. Nous voulons un système de
sécurité sociale professionnelle, qui protège
les emplois dans le privé et dans le public, et cela va de
pair avec la création d’emplois, avec des règles
et des droits pour les salariés. Il ne s’agit pas
d’étatiser l’économie, même s’il
faudra nationaliser des secteurs stratégiques, essentiels à
la souveraineté de la France » (p.32).
Cette interview montre
que Fabien Roussel est prêt à faire feu de tout bois,
même l’antisoviétisme le plus plat, pour se
démarquer et attirer les regards. Il le fait d’autant
plus qu’il faut trouver des arguments « frappants »
pour montrer les « différences » entre
des programmes qui se ressemblent ou sont compatibles à plus
de 80%, tout comme ils l'étaient en 2012 et 2017.
Bien sûr, quand on
examine de près un programme, on pourra toujours critiquer tel
ou tel aspect. Par exemple, nous jugeons quant à nous que le
programme du PCF est faible sur la question européenne,
escamotant le nécessaire combat pour se libérer de ce
carcan impérialiste européen qui est un obstacle à
toute politique progressiste en France; et nous jugeons que Jean-Luc
Mélenchon était plus clair sur cet aspect en 2017
(« L’Union Européenne, on la change ou on la
quitte ») mais qu’il a reculé sur ce point,
affadissant son discours.
Mais mettre en avant tel
ou tel point insuffisant des programmes ne répondrait
pas au besoin objectif actuel des masses de sanctionner à
la fois la politique ultra-libérale de Macron et le
fascisme de Le Pen. Les luttes sociales actuelles ont
besoin d’avoir un candidat combatif et en capacité
de porter haut la voix du front de résistance anti-libéral,
antifasciste, euro-critique, anti-guerre et anti-impérialiste.
Revenir
à l’essentiel : pour offrir une réelle
alternative au piège Macron-Le Pen, l’opposition
antilibérale radicale doit parler d’une seule voix
Aujourd’hui, après
5 années d’un macronisme étouffant, écœurant
de mépris de classe, la colère est profonde dans le
pays. Mais elle s’exprime politiquement surtout par
l’abstention, qui n’est pas qu’une marque de
désintérêt, mais aussi de dégoût
profond du système capitaliste et des mœurs de ceux qui
défendent ses intérêts. Des électeurs
issus de milieux populaires par dégoût se trompent même
de colère en votant Le Pen.
Il y a un espace pour que
la colère soit captée par une opposition
populaire antilibérale et antifasciste radicale. Qui
ne peut, bien sûr, être « l’opposition »
de pacotille en construction du côté PS/ EELV dont
le seul but est de réanimer la social-démocratie
libérale européiste et atlantiste qui a gouverné
et fait tant de mal au peuple.
L’opposition
antilibérale, antifasciste et euro-critique radicale
doit parler d’une seule voix, à toutes les élections
d’ailleurs, présidentielles, locales comme
législatives demain. Nous déplorons la division
Roussel / Mélenchon. Cela ne peut qu’affaiblir notre
camp social, cela ne peut que favoriser le camp des
« sociaux-libéraux » PS/EELV, qui
n’aspire qu’à une chose, reprendre le leadership à
« gauche », ce qui serait pour le système
l’assurance, encore une fois, d’une alternance sans
alternative, ou du maintien du macronisme ou d’un de ses clones
de « droite ou de gauche ». Ne
sous-estimons pas non plus le fascisme en embuscade, dont la
bourgeoisie, qui s'en sert déjà, peut se servir à
l'occasion pour le pouvoir.
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