La
période de confinement et de relative « mise sous
cloche » de l’économie nationale pour lutter
contre la pandémie permet, parallèlement, de remettre
au centre d’une approche extrêmement complexe et
systémique du monde du « travail » et du
marché de « l’emploi » une classe
dont personne ne contestait jadis l’existence : la classe
ouvrière. Cette classe désormais oubliée,
invisibilisée, niée, y compris souvent par ceux qui la
composent, fait en quelque sorte son « come back »
au moment où le paradigme libéral s’écroule
un peu partout dans le monde, comme système insécure et
vulnérable.
Dans
la théorie marxiste, il n’a jamais été
question, même au cœur du dix-neuvième siècle
au moment où elle était en plein essor, d’identifier
cette classe à la « majorité » de
la population. Le grand nombre des ouvriers n’a jamais été
l’explication de sa position centrale dans le dispositif
capitaliste, position qui pour Marx et ses successeurs, lui donnait
un caractère historiquement révolutionnaire : Dans
nombre de pays où la révolution socialiste a surgi,
cette classe était d’ailleurs minoritaire voire encore
très rurale…
Si
Marx et Engels opposent deux classes fondamentales dans le mode de
production capitaliste, les ouvriers et les bourgeois, ce n’est
pas pour « résumer » l’infinie
complexité sociologique de notre société à
ces deux classes : Il s’agit de découvrir au cœur
de cette complexité sociale apparente une mécanisme
fondamental, une contradiction antagoniste principale, permettant à
cette société de se développer… jusqu’à
se « dépasser » par une autre forme de
société caractérisée par le socialisme
puis la société sans classes.
Au
cœur de ce qui crée les richesses de la classe
capitaliste, on trouve en effet les ouvriers, les producteurs de
biens matériels, ceux sans qui aucune autre activité ne
serait possible (parmi celles qu’on qualifie maintenant de
« tertiaire », les productions de « services »,
tout ce qui n’est pas inclus dans le processus de production
des marchandises de leur conception à leur livraison, voire à
leur recyclage).
Pourtant
dans le mouvement marxiste lui-même, où le besoin de
« réactualisation » va souvent jusqu’à
la révision des fondamentaux, beaucoup ont intégré
depuis des décennies dans leurs analyses ce dont la classe
dominante à cherché à nous convaincre : Il
n’y aurait plus de « classe ouvrière »,
ce cauchemar historique du patronat… mais des
« travailleurs », des « salariés »,
des « gens », des « producteurs de
valeur économique » toutes classes confondues
(Bernard Friot), des « multitudes » (Toni
Negri), etc.
Evidemment
toutes ces catégories existent, et elles sont bien soumises à
la domination capitaliste leur extorquant de la plus-value…
mais la classe ouvrière perdant sa centralité dans les
rouages, devient une masse d’emplois « comme les
autres », et puisqu’on enregistre depuis des
décennies un recul ou un reflux historique des grandes
organisations ouvrières, celles qui ont conquis par le passé
tant d’avancées sociales pour tous les travailleurs (et
pas seulement pour eux), il suffit d’inviter indistinctement
toutes les couches sociales exploitées par le capital à
devenir le cœur, l’Etat major de la lutte des classes
d’aujourd’hui. La classe ouvrière se serait
finalement « dissoute » dans la grande masse
des travailleurs.
Mais
c’est bien dans des circonstances où l’économie
se montre sous un jour nettement simplifié, pendant ce
confinement, que les sous-bassements de la société se
manifestent au grand jour. L’extrême réticence du
patronat à bloquer totalement l’économie pendant
ce confinement est d’ailleurs révélateur. C’est
bien la classe ouvrière qui, sans télétravail
possible, doit poursuivre le travail pour « éviter
le pire »… pendant que le patronat en profite pour
le maintenir aussi dans toutes les productions ouvrières « non
indispensable » afin de maintenir leur vitale plus-value.
Non, nous ne sommes donc pas tous des « ouvriers »,
et sans eux, rien ne saurait être durablement conquis face au
patronat prédateur.
Il
est vrai que les travailleurs des services de santé sont
actuellement en première ligne du front contre le COVID-19,
mais que feraient-ils sans la production intensive de masques, de
tests, d’intubateurs, de médicaments, de gel, de javel,
de locaux, etc. ? On le voit ; le nerf de cette « guerre »,
c’est la production de telles marchandises vitales, et c’est
bien parce que la France, comme tous les autres pays impérialistes,
n’a cessé de désindustrialiser, c'est-à-dire
de délocaliser leur industrie à l’étranger
pour optimiser et « sécuriser » la
plus-value, qu’elle se retrouve aujourd’hui dans cette
panique sanitaire. Il suffit d’observer le « miracle »
de la gestion de crise en Allemagne, pays qui a conservé sur
son territoire une grande partie de son appareil industriel
contrairement à ses voisins, pour démontrer le
caractère central, incontournable, de la classe ouvrière
dans notre vie à tous.
Faute
d’une telle classe ouvrière développée,
polyvalente, organisée (comme elle a pu l’être en
1945 pour la « bataille du charbon » dans
une France en ruine par exemple), c’est bien la production
ouvrière chinoise qui vient héroïquement « sauver
des vies » chez nous, livrant en quelques jours des
dizaines de millions de masques par exemple ! C’en est
fini de l’illusion naïve qu’une société
peut « tourner » sans industries…
Il
n’y a pas qu’en Chine qu’on peut observer le
fonctionnement inverse. Dans les pays du sud, ceux qui au contraire
s’industrialisent relativement, en particulier dans les
pays rescapés du camp socialiste (Chine, Cuba, Vietnam, Corée
du Nord), mais aussi dans les pays bourgeois ayant préservé
une relative souveraineté nationale, on voit les ouvriers
assumer clairement leur rôle historique. Même dans
les pays sous les auspices de l’impérialisme, on a pu
voir par exemple en Tunisie ces derniers jours, les ouvrières
de plusieurs usines réorganisées pour la production
hospitalière, entrer solennellement à l’usine,
sous l’hymne national, avec bagages et effets personnels, pour
y vivre plusieurs jours d’affilé et soutenir l’effort
national, non sans effet immédiat d’ailleurs sur la
gestion de crise.
Dans
notre pays impérialiste, la France, et dans tous les pays
impérialistes, après des décennies
d'invisibilisation idéologique, c'est dans l'épreuve de
la crise sanitaire du covid 19 que s'opère le "come back"
de la classe ouvrière, celle dont l'utilité sociale du
travail était sciemment ignorée, celle qui était
confinée dans le précariat sous payé, celle
qu'il fallait ramener à l'état de "classe en soi"
inconsciente de sa mission historique de se porter à la tête
des classes populaires pour renverser le capitalisme.
Tout
comme on a cherché à faire croire que la première
conflagration inter-impérialiste mondiale en 1914 était
causé par l’assassinat d’un archiduc à
Sarajevo, en confondant le déclencheur et la cause profonde,
on cherchera à imputer au COVID-19 tous les effets
destructeurs de la crise économique majeure qui s’annonce…
C’est pourtant bien à la classe ouvrière que le
MEDEF demande aujourd’hui les efforts majeurs pour que le
« pays se redresse » en supprimant la
quasi-intégralité des conquêtes sociales qu’ils
ont arraché en plus d’un siècle de lutte.
Lutter
contre le capitalisme, pour le socialisme, c’est d’abord
et avant tout bien en comprendre les rouages, les éléments
stratégiques. Et cette compréhension passe par
l’identification de la seule classe dont les conquêtes
sociales ont toujours profité à toutes les couches
exploitées de la société contre le patronat.
Bref : Pour avancer vers le socialisme, il faut reconnaître
qui sont les fossoyeurs potentiellement les plus résolus du
capital… et revenir aux fondamentaux du marxisme, qui n’ont
jamais été plus clairs et explicites qu’aujourd’hui !
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