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Victoire populaire de classe du NON au référendum sur le traité constitutionnel européen

Quelles leçons?

CERCLE HENRI BARBUSSE

Le 29 mai 2005 restera une date historique. En effet, après des décennies d’offensive victorieuse de la classe des capitalistes, le monde du travail et les peuples viennent de renouer dans les urnes avec la rébellion contre la soumission idéologique, en rejetant le traité constitutionnel européen, à 55% en France, aussitôt suivi du NON néerlandais à 62%. Coup sur coup, l’Angleterre, la Tchéquie, la Pologne annoncent l’abandon du processus de ratification par voie référendaire alors que le sommet des chefs d’états européens décident de poursuivre le processus d’adoption par les parlements. Des voix en Italie appellent à revenir sur l’Euro. La marche triomphale de la construction d’un Etat supranational Européen est en panne.

Comment cette victoire a t-elle été obtenue ? Quelles forces sociales et politiques en ont été les acteurs? Quelles leçons faut-il en tirer ? Quelles perspectives pour le processus de recomposition politique et la reconstruction de partis communistes révolutionnaires ?

UN TRAITE CONSTITUTIONNEL EUROPEEN LIBERAL,

ANTISOCIAL, CHAUVIN, RACISTE ET IMPERIALISTE

- L’objectif fondamental du traité - « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée » (article I-3) - constitutionnalise la démolition sociale subie durant ces 25 ans, dont les étapes ont été l’acte unique, Maastricht, Amsterdam, Nice et dont « Bolkestein » n’est en fait que la dernière des illustrations ;

- Toutes les dispositions économiques, sociales, culturelles et politiques du « traité Giscard » sont soumises à cet impératif ultra-libéral de « concurrence non faussée » (articles II-112-2, sur la banque centrale III-1888, « exclusion de toute harmonisation » III-210-2, « à l’unanimité » III-212) ;

- Le traité interdit les subventions d’Etat (article III-167), remplace les services publics par des « services d’intérêts économiques généraux (SIEG)» (article III-166), le droit au travail par la « liberté de rechercher un emploi » (article II-75), donne aux patrons le « droit de lock-out » (article II-88) ;

- Le traité organise la marchandisation de la santé, des prestations sociales, de l’éducation, de la culture, la mise en concurrence « libre et non faussée » de tous contre tous (articles II-88, II-75, III-166, III-167) ;

- Le traité met en place une Europe forteresse (Chapitre IV, Section 1- articles III- 257, 261, puis Section 2-articles III- 265, 266) et enterre « constitutionnellement » la revendication fondamentale de l'égalité des droits pour les immigré(e)s non « communautaires » (article III-267) ;

- Il promeut une UE chauvine, xénophobe et raciste s’inspirant « des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, à partir desquels se sont développés les valeurs universelles » (préambule, I-52, II-70) ;

- Le traité trouve le besoin de constitutionnaliser le « droit à la vie » (article II-62, II-69) et rien sur le droit à l’avortement (IVG) et à la contraception ;

- Le traité allie et soumet momentanément le bloc impérialiste européen en constitution à l’impérialisme agressif US parce que « La politique de l’Union … respecte les obligations de l’OTAN par certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’OTAN… » (Article I-41, point 2) ;

- Le traité institue une « armée européenne » qui permet que « dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts » (article 1-3, point 4) ;

- Le traité fait de l’UE une nouvelle puissance coloniale à travers ses pays membres : « les pays et territoires non européens entretenant avec le Danemark, la France, les Pays Bas et le Royaume-Uni des relations particulières sont associés à l’Union » (article III-286).

LA SAINTE ALLIANCE DES PARTIS, DES PATRONS,

DES POLITICIENS BOURGEOIS DE DROITE ET DE « GAUCHE »

Les nuances politiques entre partis « de la droite et de la gauche » du capital ont littéralement été réduites en miettes par leur engagement dans la construction du bloc impérialiste européen. Ces morceaux choisis des leaders euro-constructeurs jettent une lumière crue sur leur unité de classe :

·         « L’ Europe sera sociale ou ne sera pas » (François Mitterrand, 1982) ;

·         « L’ Histoire retiendra (…) que ce sont les institutions européennes (…) qui, en 1982 et 1983, ont empêché la rupture avec le capitalisme et le changement de société. Loin de favoriser le socialisme, l’Europe nous en protège » (Patrick Devedjian, RPR, août 1992) ;

·         « Avec Maastricht, on va enfin pouvoir se soigner mieux » (Bernard Kouchner, septembre 1992) ;

·         « [avec l’Europe] non seulement nous pourrons préserver notre système de protection sociale, mais nous pourrons l’exporter », « le traité de Maastricht est le premier traité européen qui comporte un grand volet social (…) l’essentiel, c’est de commencer » (Michel Rocard, septembre 92) ;

·         « Pour la France, la monnaie unique c’est la voie royale pour lutter contre le chômage » (Michel Sapin, septembre 1992) ;

·         « Comment peut-on dire que l’Europe sera moins sociale demain qu’aujourd’hui. Alors que ce sera plus d’emplois, plus de protection sociale, moins d’exclusion » (Martine Aubry, septembre 92) ;

·         « Le traité de Maastricht fait la quasi-unanimité de la classe politique. Les hommes politiques que nous avons élus sont tout de même mieux avertis que le commun des mortels. Pour une fois, qu’on leur fasse confiance! » (Elisabeth Badinter, écrivain, septembre 92) ;

·         « Créer un Etat européen unique sur la base d’une seule constitution européenne, cela constitue la tâche décisive de notre époque » (J. Fisher, ministre allemand Verts des affaires étrangères, décembre 1998) ;

·         « En oeuvrant de concert, l’Union Européenne et les Etats-Unis peuvent constituer une formidable force au service du bien dans le monde » (Javier Solana, Haut représentant de l’UE pour la politique extérieure, juin 2003) ;

·         La constitution « constitue un bouleversement par rapport au concept d’ Etat-Nation. C’est un changement à l’échelle des siècles de l’histoire » (Romano Prodi, alors président de la commission européenne, novembre 2003) ;

·         « Faire l’empire européen, tout le monde le veut » (Dominique Strauss-Kahn, juin 2004) ;

·         « Cette Europe permettra de lutter plus efficacement contre les délocalisations qu’une Europe réduite à un marché et à la libre concurrence » (N. Sarkozy, mars 2005) ;

·         « Loin de parachever l’ Europe libérale, [le traité] est une première brèche. Il donne les moyens à une gauche majoritaire en Europe d’inverser le cours des choses et de faire avancer l’ Europe sociale » (J. Dray, porte-parole du PS, avril 2005);

·         « Nous apportons à l’unanimité notre soutien à la Constitution Européenne. Elle représente une clef pour les politiques de progrès social dans chacun des pays » (les présidents de groupes socialistes et sociaux démocrates des parlements nationaux, avril 2005) ;

·         « la constitution représente un pas en avant pour la croissance et l’emploi » (Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF et nouveau président de l’UNICE le patronat européen, 2005) ;

·         « Ce référendum est une connerie. Nous avons fait la connerie de le demander et Jacques Chirac a fait la connerie de la convoquer » (Dominique Strauss-kahn, janvier 2005) ;

·         « Si le traité était rejeté, notre pays serait au ban des Nations, il serait un mouton noir » (Jack Lang, mars 2005) ;

·         « L’Europe est le plus grand chantier politique jamais engagé par l’humanité », « Faire aimer l’Europe aux françaises et aux français, tel est l’objectif que s’assigne la droite » (Juppé, Bayrou et Sarkozy) ;

·         « Il y a eu le marché commun, le grand marché intérieur, puis la monnaie unique. Que nous manque t-il ? Des institutions politiques (…) La Constitution européenne n’est ni socialiste, ni libérale » (François Hollande, Secrétaire National du PS) ; Le même avait pour slogan lors de l’élection européenne « Et maintenant l’Europe sociale » ;

·         Dominique Voynet des Verts a même parlé à la télé d’une « mission civilisatrice historique de l’Union Européenne » ;

·         « On ne peut pas rester dans une seule posture de dénonciation. Dire qu’il faut interdire les délocalisations, ça n’a pas de sens. C’est perdre toute crédibilité. (…) On ne peut pas accepter d’entendre que tout est la faute de Bruxelles et de Strasbourg…c’est cela, le choix d’une gauche progressiste et volontariste (…) Maintenant on va pouvoir faire un vrai projet de gauche, celui d’une gauche qui a envie de gouverner» (Martine Aubry) ;

·         « Les français n’ont pas le droit de dire non » (Sarkozy) ;

·         « Les Etats-Unis continuent d’apporter leur soutien à une Union Européenne solide comme partenaire » (Bush).

LE TRACT PLUS FORT QUE LA TELE !

L’union sacrée des euro-constructeurs du MEDEF, de la droite, de la gauche social-démocrate et écologiste nationale et européenne, des aristocrates syndicaux de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) et leurs sections nationales laissait penser que le « OUI sera une promenade ». Ceci d’autant qu’à ce front des euroconstructeurs patronaux, politiques et syndicaux, il faut ajouter les principaux médias : télévisions, radios, presse écrite. Confirmant ainsi parfaitement la nature de dictature de classe du système démocratique bourgeois : « Dans la république démocratique, la richesse exerce son pouvoir d’une façon indirecte, mais d’autant plus sûre, à savoir : premièrement, par la corruption directe des fonctionnaires (Amérique) ; deuxièmement, par l’alliance du gouvernement et de la Bourse (France et Amérique) » (Lénine, L’Etat et la Révolution, pp.21- 22, édition sociale). Lénine ajoute qu’« aujourd’hui, dans les républiques démocratiques quelles qu’elles soient, l’impérialisme et la domination des banques ont développé, jusqu’à en faire un art peu commun, ces deux moyens de défendre et de mettre en œuvre la toute-puissance de la richesse. (…) La toute-puissance de la richesse est plus sûre en république démocratique parce qu’elle ne dépend pas d’insuffisance du mécanisme politique, des défauts de l’enveloppe politique du capitalisme. La république démocratique est la meilleure forme politique possible du capitalisme ; aussi bien le capital, après s’en être emparé (…), assoit son pouvoir si solidement, si sûrement, que celui-ci ne peut être ébranlé par aucun changement de personnes, d’institutions ou de partis dans la république démocratique bourgeoise ».

Contre la dictature de classe du capital, représentée par ce front des euro-constructeurs patronaux, politiques, syndicaux, journalistes, experts, professeurs, etc., s’est formé et forgé le front du « NON à la constitution européenne » composé comme suit: sociaux démocrates de gauche écologistes et trotskistes, PCF, Attac, Fondation Copernic, Confédération Paysanne, Appel des 200, Union Révolutionnaire des Communistes de France (URCF), Pôle de Renaissance Communiste de France (PRCF), Parti Communiste des Ouvriers de France (PCOF), Coordination Communiste 59/62, Rouges Vifs, Bastille République Nation (BRN), Comité Valmy, des sections syndicales de base CGT, de Sud/G10, Cercle Henri Barbusse (CHB), des individus et personnalités etc. Chacun, dans son coin d’abord, a élaboré et diffusé son analyse critique du projet de constitution.

L’Internet s’est révélé un formidable outil pour propager, échanger les analyses des uns et des autres. D’abord progressivement s’est opéré un rapprochement entre ces différentes forces à travers cet échange sur le Net, ensuite la nécessité d’unir l’effort dans l’action commune pour éviter d’être écrasé a fait naître le besoin de constituer sans sectarisme des « collectifs unitaires du NON ». A la déferlante médiatique totalitaire de classe du « OUI », le camp du « NON » s’est rassemblé sur la ligne du rejet de la constitution des MEDEF européens. Un peu partout dans le pays, on a su combiner « marcher séparément et frapper ensemble » ou « marcher ensemble et frapper ensemble » pour que triomphe le vote de classe anti-libéral et objectivement anti-capitaliste. D’une contre-campagne individualisée, éparpillée, on est passé à des campagnes communes massives des « collectifs du NON » : le tract contre la télé.

Le tournant décisif a été le vote de classe du Comité Confédéral CGT donnant ainsi une réponse cinglante à la capitulation des bureaucrates syndicaux de la CES : le premier syndicat du pays, la CGT, vote à 82% le « rejet du traité constitutionnel européen ».

Déjà quelques semaines auparavant, le référendum interne au PS (le premier parti pro-européen avec l’UDF) avait donné 40% du Non au traité constitutionnel. Le chœur de soulagement allant de l’UMP à l’UDF, de la CFDT de Notat et Chérèque au MEDEF, ne pouvait cacher déjà quelques inquiétudes. Pierre Mauroy avait donné en ces termes la signification de classe de l’enjeu du scrutin au sein du PS, en avouant que les Fédérations du Nord-Pas-de-Calais sont « longtemps restées les plus ouvrières de France…si le non l’avait emporté, on allait vers une très grave crise. Jamais on n’a assisté à une telle mobilisation des responsables des autres partis socialistes européens. Ils étaient effrayés par certaines positions françaises ».

Le vote CGT, lui, est tout de suite qualifié de « crise », « d’électrochoc ». La droite et la gauche du capital, flanquées des flagorneurs médiatiques du capitalisme, crient : « au secours, la lutte de classe revient » ! La victoire possible et nécessaire du NON devient un cauchemar pour le MEDEF et les partis politiques à son service : 82% de la CGT + 40% du PS + FO + les salariés exploités + les précaires et SDF + les femmes du peuple, c’est la majorité pour le NON contre la minorité, les 60% du PS, la CFDT, 53% des Verts, l’UMP, l’UDF, le MEDEF.

Ce vote CGT retire de la bouche des « euroconstructeurs » PS, UMP, UDF, MEDEF, Verts, le pain béni du « oui » de la Confédération Européenne des Syndicats (CES), « oui » anti-démocratique parce que décidé par un quarteron de bureaucrates sans aucune consultation de la base. N’est-il pas significatif que le logo de la CES représente 4 manifestants levant un bras au bout duquel un moignon remplace le poing ?

Ce vote CGT contrecarre la stratégie de démoralisation du camp ouvrier et populaire. La CGT ré-arme le camp des victimes au quotidien des traités de Maastricht, Amsterdam, Nice dont l’aboutissement est le traité constitutionnel libéral de casse des acquis sociaux et démocratiques.

Ce vote CGT remet le monde du travail au cœur de la problématique des choix sociaux, démocratiques citoyens donc politiques. Un syndicat des travailleurs digne de ce nom, en effet, ne peut s’abstenir, a fortiori soutenir, le traité fait et taillé sur mesure pour le syndicat des patrons le MEDEF.

Ce vote CGT est un message de rupture avec le sentiment d’impuissance : les travailleurs doivent contrecarrer, dans les urnes et dans les luttes, l’unification consacrée dans le traité constitutionnel des bourgeoisies à l’échelle de l’Union Européenne.

Ce vote CGT montre, comme en novembre/décembre 1995, que les travailleurs doivent organiser la résistance et la lutte, créer le rapport de force dans chaque pays sans attendre les autres, lesquels doivent prendre exemple sur les premiers et/ou les soutenir. C’est cela la plus efficace expression de l’internationalisme.

Ce vote CGT a aussi obligé les partisans déclarés ou cachés du traité constitutionnel au sein même du Bureau Confédéral (Decaillon, Juquel, Le Duigou, Thibault) à laisser tomber le masque sous lequel ils opéraient jusqu’ici pour imposer le réformisme à l’organisation de masse historique de classe et de lutte de classe du monde du travail. C’est ainsi que l’invité fortement médiatisé du PS au congrès de Dijon, le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault rejoint sans gêne l’hystérie des « euroconstructeurs » PS, UMP, UDF, CES en cherchant à disqualifier l’expression de la volonté démocratique de la majorité écrasante des syndicats de base de la CGT : « la grande masse des syndiqués est restée en dehors du processus de réflexion sur les enjeux européens pendant que les militants « les plus branchés » ont cherché à conforter leurs convictions personnelles en les faisant labeliser par des prises de positions devenant officiellement celles d’organisations de la CGT. Ces démarches ont été, dans certains cas, des occasions inespérées pour instrumentaliser la démarche syndicale à d’autres fins que de servir nos objectifs ».

Jean Christophe Le Duigou de la direction CGT a révélé l’enjeu du vote CGT pour les « euroconstructeurs »: « Appeler à voter non, ce serait détruire quinze années d’efforts initiés par Louis Viannet et poursuivis par son successeur Bernard Thibault ». Le Duigou sait de quoi il parle, car il est membre par ailleurs, avec une autre responsable Confédérale CGT, Francine Lablanche, de « Confrontations Europe » qui regroupe des patrons et serviteurs zélés du MEDEF que sont Francis Mer, Jean Peyrelevade, Jean Gandois, Philippe Herzog, Alexandre Adler, Elisabeth Guigou, Jacques Delors, Alain Touraine. Ces « illustres » patrons et « Confrontations » sont initiateurs d’un cadre intitulé « Constitution européenne, ensemble pour le oui » créé le 16 novembre 2004. C’est Bernard Thibault lui même qui éclaire comme suit la nature des « années d’efforts » pour transformer la CGT dont parle Le Duigou : « il y a un fossé qui se creuse entre les orientations adoptées par nos congrès et notre capacité à les faire vivre face aux évènements (…) nous avons tant de mal à mettre en œuvre réellement les transformations de notre organisation dont les principes sont pourtant décidées dans nos congrès ». Ces agents de l’ennemi de classe au sein de la CGT, qui se sont par ailleurs emparés de certains postes clefs, tentent d’opposer le vote NON à « l’indépendance de la CGT », voire qualifie le vote NON de « politicien, de non syndical ». Tout le monde aura remarqué qu’ils n’avaient pas un mot contre le « oui » des « technocrates » nichés dans les bureaux de la CES.

Ce vote CGT exprime aussi une prise de conscience de la base que certains chefs du mouvement ouvrier syndical mènent les travailleurs en bateau. Comme le dit un militant syndicaliste sans parti : « Nos chefs syndicaux ont laissé faire les privatisations, les délocalisations, les licenciements, la baisse de nos salaires avec l’euro, la précarisation massive avec la hausse des CDD et de l’intérim, la contre réforme de la retraite, celle de la protection sociale et de la santé, les répressions des milliers de délégués syndicaux,  tout cela est venu avec les traités européens successifs; on s’est battu, souvent tout seul dans les taules contre ce massacre social, pendant que nos chefs disaient qu’il fallait transformer la CGT pour être plus efficace; qu’est-ce donc cette transformation de la CGT qui nous conduit de défaite en défaite ?! On nous donne l’occasion aujourd’hui de dire non à tout cela avec le référendum, non c’est non et ce sera NON dans l’urne pour dire ensemble non par la grève ».

Ce vote CGT a semé la panique dans le camp des tenants de l’EUROPE DU CAPITAL. Le vote de la première centrale syndicale des travailleurs a été le Stalingrad de l’arrogance de la dictature de classe du patronat et de ses laquais politiques, syndicaux, médiatiques, culturels, etc. L’hégémonie de la pensée unique bourgeoise déferlant sur le monde, écrasant toute pensée alternative depuis la défaite du socialisme dans les années 1985-1991, buttant sur le vécu d’exploités au quotidien des masses ouvrières et populaires.

L’assurance méprisante d’une « victoire facile du OUI » a conduit notamment à la décision chiraquienne appuyée par le PS et les Verts d’organiser le référendum pour faire adopter la constitution européenne. Une telle certitude bourgeoise résulte du fait que tout dans la dernière période depuis la disparition de l’URSS leur réussissait.

Les multiples manifestations, luttes, résistances et grèves sociales des salariés, chômeurs, sans papiers, sans logis, des différentes catégories des travailleurs (Fonctionnaires, CDI, CDD, intérims, CES, etc.), luttes souvent vaincues, ne sont-elles pas du point de vue bourgeois des illustrations de « l’impuissance » du prolétariat définitivement condamné à s’adapter au capitalisme « éternel » ?

L’abstention ouvrière et populaire montante à chaque consultation électorale n’est-elle pas l’expression de l’abandon de la politique aux seules mains de la bourgeoisie par le prolétariat devenu « politiquement impuissant pour l’éternité »?

Mais le mépris de classe sous-estimait les effets sociaux dévastateurs du libéralisme social et du social libéralisme des alternances politiques de droite (UMP, UDF) et de gauche plurielle (PS, PCF, Verts).

L’abstention massive des classes populaires sanctionnant le PS au premier tour de l’élection présidentielle s’est soldée par défaut par le « tremblement de terre » électoral du 21 avril 2002 avec Le Pen. Le même électorat populaire s’est fortement mobilisé dans un élan antifasciste sans équivoque à plus de 82% pour barrer la route de l’Elysée au chef du parti fasciste le Front National. Le 5 mai, après deux semaines d’une formidable mobilisation, notamment de la jeunesse et après un premier mai syndical antiraciste et antifasciste massif, venait indiquer la recherche à travers les urnes d’une alternative populaire à l’alternance entre social-libéralisme (PS/RADICAUX/PCF/Verts) et libéralisme (UMP/UDF).

Le passage à l’Euro qui a appauvri les populations en réduisant leur pouvoir d’achat, les luttes contre les licenciements, les fermetures et délocalisations d’entreprises, le blocage des salaires, l’augmentation du rythme et des cadences de travail, l’embauche de précaires, la prétendue « toute puissance du marché » contre laquelle « les politiques, les Etats ne peuvent rien », discours propagés à longueur de journée par tous les moyens médiatiques, par les politiques, les experts, les professeurs et autres formateurs de la « conscience humaine », lesquels ont été chargés par le marché de « penser à la place du bas peuple », toutes ces « perles » inhérentes naturellement au capitalisme ont été peu à peu percutées par « la condition inhumaine » de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Les désastres et la perte successive des acquis sociaux accompagnés des répressions et atteintes liberticides aux conquêtes et droits sont les facteurs décisifs et objectifs de la victoire du NON à la constitution européenne.

La construction d’un front de toutes les forces émiettées du NON, front composé de plusieurs pôles non organiques marchant séparément mais frappant ensemble le même ennemi a été le facteur subjectif décisif de la victoire du NON.

LE NON DU 29 MAI EST UN VOTE DEFENSIF DE CLASSE

Même si nous ne partageons pas tout, nous pensons utile de reproduire sans commentaire le texte qui suit, parce qu’il permet de nourrir la réflexion :

Le NON n'est pas un vote de gauche, c'est un vote de classe - par Danielle Bleitrach, sociologue

« Le rejet du référendum n'est pas un vote de gauche mais un vote de classe et il faut en tirer les conséquences si l'on veut construire une issue politique indispensable. Dire cela n'est pas non plus imaginer que ce vote soit un vote de droite, voire d'extrême droite, même si chaque force politique s'emploie à le tirer dans le sens qui l'intéresse et ce faisant accroît la crise de la représentativité politique. La Vendée a voté OUI malgré le vicomte De Villiers, comme l'électeur socialiste a voté suivant sa logique de classe, OUI comme Bertrand Delanoë ou NON suivant sa position sociale. Indépendamment de toute consigne. Si le thème de la coalition hétéroclite entre Le Pen et l'extrême gauche n'a eu aucun impact c'est parce que chacun était conscient de l'absence d'influence des forces politiques.

La rupture entre « les élites » et le peuple a été soulignée, mais on ne mesure pas qu'elle a touché toute forme de représentativité y compris les forces politiques, les organisations qui ont défendu le NON. Sa base en est la perte de confiance dans la capacité des institutions, des organisations, des dirigeants à vraiment influer sur la vie quotidienne des peuples. Et chacun s'est prononcé plus ou moins à partir de son vécu, de sa place réelle dans la société, dans les cités populaires comme dans les beaux quartiers. Il suffisait d'écouter la rue, les débats spontanés qui se multipliaient sans une quelconque intervention militante : les tenants du NON disaient « ce n'est pas un vote politique, il n'est ni de droite, ni de gauche, c'est de notre vie qu'il s'agit »... Paradoxalement voir le PS et la droite défendre ensemble le traité a sans doute renforcé ce sentiment d'échapper au politicien, comme d'ailleurs les entendre menacer de la catastrophe confortait pour une fois dans l'importance du vote.

Autre signe de rupture, l'argument qui a le plus joué dans la prise de conscience populaire : le lien fait entre l'euro et la perte de pouvoir d'achat n'a jamais été utilisé par les défenseurs du NON. Tout au long en revanche ils ont été préoccupés par la volonté d'affirmer leur amour de l'Europe. Alors que ce n'était qu'une mince couche de l'électorat qui s'intéressait à la question et certainement pas celle qui est à l'origine du raz de marée en faveur du NON. Cette position en faveur de l'Europe, si elle était indifférente à la grande masse avait il est vrai une grande importance pour créer l'unité du cartel d'organisation qui menait campagne en faveur du NON, voire au-delà pour préserver une candidature de gauche en 2007. Elle reflétait les préoccupations de couches diplômées dont certaines rompaient pour la première fois avec leur adhésion au PS. Elle était l'écho des appareils plus qu'une préoccupation populaire.

Il y a eu deux moments qui restent à analyser dans l'évolution du vote NON. Le premier coïncide avec la diffusion de la circulaire Bolkestein et le vote du parlement de la CGT en faveur du NON ; il montre la poussée du NON. Est-il possible d'attribuer à ceux qui ont diffusé la circulaire, ATTAC, l'appel des 200, le PCF, la LCR et la droite, ou encore à la CGT cette poussée, oui et non. Il me paraît plus juste de penser que ces expressions organisées rencontrent pour la première fois un « instinct de classe », le perçoivent, l'amplifient. Deuxième temps ; l'entrée en campagne des forces politiques et le premier débat catastrophique où Le Pen éructe, et où le PCF et dans une moindre mesure la LCR partent sur le terrain de l'amour de l'Europe pour mieux rejoindre Bayrou et Jack Lang. C'est le reflux du NON que l'on va attribuer à la force des appareils politiques, voire à l'intervention de Jospin. Le pilonnage médiatique reprend de plus belle pour enfoncer le clou, et pourtant le NON repart à la hausse et se dégage du jeu politicien, répond au catastrophisme, au mépris et les forces politiques de gauche trouvent un nouvel ancrage dans cette poussée, un embryon d'organisation, de rencontre entre militants s'organise.

Le temps de l'avant-garde de classe n'existe plus, c'est le rejet de classe qui a poussé les forces politiques et plus généralement organisées et pas l'inverse. Il faut partir de là pour construire et du fait que personne ne peut s'attribuer ce vote NON. La récupération politicienne... Passée l'élection, le monde politico-médiatique s'est employé à nier ce vote de classe pour le récupérer dans des cadres politiciens au lieu de s'interroger sur la pertinence de la représentativité politico-médiatique. Dès le soir des résultats, sur les plateaux de télévision, les choses étaient claires. Le PS, pas plus que la droite, n'allait tirer les conséquences de ce vote. Le PS avait choisi sa ligne : attribuer à l'impopularité de la droite l'échec référendaire et continuer à se lamenter sur l'abandon d'un traité « de progrès ». La droite, sous couvert de défense de l'emploi, allait démanteler les « rigidités » françaises, les protections sociales, le code du travail. La suite a été du même tonneau : attribuer à Fabius, largement déconsidéré et dont chacun a bien perçu qu'il menait sa propre stratégie, le vote massif en faveur du NON, c'est prendre une fois de plus l'électeur pour un débile mené par un mauvais berger.

Ce vote a été trahi dès la proclamation des résultats, le Président de la République, le « nouveau » gouvernement et l'annonce par les hiérarques de Bruxelles que tout continuait comme avant ont été les manifestations premières de cette trahison. Mais le PS avec sa volonté de dégager ses responsabilités et ses jeux politiciens entre Fabius et Hollande était une autre caricature. Là-dessus les télévisions, la presse ont emboîté le pas et sont retournés à leurs manières d'interpréter le politique, les questions de personne, le théâtre d'ombre... Le couvercle a été mis sur le vote de classe. Et les médias incapables de comprendre ce qui s'est passé sont aussitôt repartis dans la personnalisation, les rivalités, le drame bourgeois entre Sarkozy et Villepin, les crêpages de chignon entre le couple Hollande et Fabius. VSD et la presse people titraient sur les  problèmes du couple Sarkozy, crise ou réconciliation ?

L'absence de force politique

Si la Révolution c'est quand ceux d'en bas refusent d'obéir à ceux d'en haut, nous sommes dans une situation révolutionnaire, la plus extraordinaire crise sociale, politique, démocratique qui se puisse imaginer. Elle est non seulement française, européenne comme l'a montré le vote hollandais, mais mondiale comme en témoigne ce qui se passe en Amérique latine.

L'antagonisme de classe est fort et pourtant aujourd'hui en France et plus généralement en Europe il n'y a aucune force politique capable de l'organiser, de lui offrir un perspective, fut-ce celle de simples réformes, de mesures limitées. Il faudrait également bien percevoir ce qu'est cette classe. L'analogie historique est toujours un danger, pourtant celle avec les mouvements de 1848 s'impose... Après le retour de la Sainte Alliance, la contre-révolution qui a prétendu restaurer l'ordre féodal aboli par la Révolution française, 1848 a vu surgir cette révolte des nations, celle des ouvriers et paysans mais aussi celle des « capacités », tous ces étudiants, tous ces diplômés sans emploi, sans avenir, et le même émiettement organisationnel... La même incapacité à construire une issue et les classes dominantes se sont recomposées autour du bonapartisme. Chacun semblait incapable de penser la nouveauté de la période et se référait à la Révolution Française, alors que l'antagonisme de classe avait changé de nature, l'alliance entre l'aristocratie et le capital était intervenue sous l'apparente restauration féodale. De même nous ne pouvons plus penser le monde en référence aux temps dépassés de l'affrontement entre deux superpuissances, et son parallèle la rivalité-complémentarité entre communistes et sociaux démocrates. Il n'y a plus de social-démocratie mais un social-libéralisme, « les réformes » sont devenues les attaques contre-révolutionnaires contre l'emploi, le pouvoir d'achat, les droits sociaux. Donc il faut repenser les stratégies, les rassemblements et bien voir les aspects positifs de ce référendum : Les illusions sont tombées sur le programme du capital même si le terme est le néo-libéralisme, chacun sent bien que dans sa propre vie il n'a rien à en attendre. Mais personne n'ose penser qu'un autre système est possible, aller jusqu'à une contestation aussi radicale que le rejet et surtout le faire d'une manière responsable c'est-à-dire en proposant des mesures concrètes, immédiates susceptibles d'avoir des conséquences sur la vie des gens. Chacun s'emploie à « récupérer » ce qui le dépasse... Mais le danger de rupture entre « élites » et classe existe à gauche, la gauche qui s'est rassemblée autour du NON. Confondre le raz de marée de classe avec des petits groupes qui se sont rassemblés dans la campagne et qui croient en toute bonne foi que les arguments technocratiques, l'adhésion à l'Europe, les dossiers bien ficelés, les petites réunions où se sont retrouvés et parlés des militants depuis longtemps en déshérence, des partis et associations affaiblies par plus de vingt ans de démantèlement, était à l'origine du raz de marée, c'est jouer la mouche du coche. C'était vrai dès le soir des résultats et la mobilisation de la fête des défenseurs du NON a bien traduit pourtant une distance entre les forces organisées et l'électorat populaire. Rien à voir avec 1981, où les forces populaires ont réellement cru que leur vie allait changer. Pourtant il ne faut pas non plus négliger cet essai d'organisation qui est né sur la poussée du rejet de classe, simplement pour l'élargir il ne faut pas lui attribuer un rôle qu'il n'a pas eu. Donc il faut à la fois partir de ce qui s'est construit dans cette campagne et bien mesurer à quel point nous sommes loin d'avoir la force politique qui correspond au rejet de classe.

Le principal danger est de dévoyer la force réelle du rejet en la tirant vers des jeux politiciens sans conséquence réelle sur la vie des gens. C'est là la ligne de la direction du PS. Mais ne trouveront-ils pas dans le camp du NON des alliés ? D'abord Fabius dont toute la stratégie personnelle repose là-dessus. Mais que penser des déclarations de M.G.Buffet et de J.F.Gau sur la nécessité de s'élargir aux « OUI » de gauche, « individus et organisations » ? S'il s'agit de considérer que des gens ont voté OUI alors même qu'ils veulent un changement de politique, pourquoi pas. Encore que, au vu des votes massifs des quartiers populaires, la priorité n'est pas là... Elle est dans la nécessité d'aller vers tous ces gens qui ont voté NON sans jamais avoir rencontré un militant, sans s'être rendu à une seule réunion, sans avoir lu un seul tract. S'interroger sur les moyens d'entraîner leur participation, leur expression politique sur leurs bases. Si la géographie du vote paraît parfois reproduire dans les quartiers populaires, non seulement les couches sociales, mais le vote politique il y a trente ans en faveur du PCF (comme l'écho assourdi d'un temps où celui-ci représentait effectivement le lien entre vote de classe et vote de gauche), il est clair que non seulement les catégories socioprofessionnelles se sont modifiées, mais que le PCF a détruit irrémédiablement ses cellules, le tissu organisationnel qu'il avait dans ces quartiers. Cette phrase sur la nécessité de rassembler « les gens et les organisations de gauche qui ont voté OUI » marque aussi la quasi rupture du PCF avec ce qui fut jadis sa base de classe. Car de telles phrases prononcées par des responsables politiques du PCF laissent ouvertes les spéculations politiciennes sur la perspective politique en 2007. Croyez-vous retrouver l'ampleur du NON en proposant une entente avec Hollande, voir même Fabius « pour battre la droite » ? Certes il y aura une partie de l'électorat qui, comme aux régionales, choisira ce vote contre, il pourra même « gagner », mais avec un maximum d'abstention et surtout pour quoi faire ? Au profit de qui ? La crise politique en sera aggravée et la perspective obscurcie. Cette phrase marque un retour en arrière sur l'évolution du PCF en cours de campagne. Ce parti qui avait choisi le NON, mais prétendait au départ le faire avec l'incompréhensible slogan « Dire NON pour dire OUI » a peu à peu été poussé par l'électorat jusqu'à adopter enfin une ligne de classe, de rassemblement. Il y a également quelque chose de dérisoire dans la manière dont l'appel des 200, et même ATTAC, s'attribuent la force du NON en jouant la mouche du coche sans mesurer qu'ils ont été portés par le rejet massif et qu'ils n'en sont pas les auteurs. Orienter comme ils prétendent le faire vers l'Europe et vers les gens de gauche qui ont voté OUI alors même qu'ils n'ont jamais mordu sur l'électorat de classe qui s'est prononcé contre le traité et que l'urgence serait de se donner les moyens d'aller vers cette classe populaire, de l'entendre, d'organiser avec elle son expression politique. Ils font la preuve qu'ils fonctionnent dans la même illusion politico-médiatique que les autres, qu'ils aspirent seulement à y avoir leur part, à faire partie sous une forme contestataire de tout ce petit monde, on a parfois l'impression que certains ne revendiquent que leur place dans ce petit monde politico-médiatique. Poursuivre la bataille du NON sur le thème européen pourquoi pas ? Mais croyez-vous qu'aujourd'hui cette bataille là est susceptible de traduire le vote de classe tel qu'il s'est exprimé ? L'assaut qui se prépare contre le droit du travail, la pression sur l'emploi et les salaires qui va encore se déchaîner ?

On peut considérer que l'union des forces du travail en Europe est à construire, mais dans l'assaut qui se prépare chaque force européenne trouvera son principal point d'appui sur son terrain propre et c'est seulement à partir de là que le dialogue indispensable (ne serait-ce que pour balayer la direction de la CES) pourra se développer... me paraît beaucoup plus indispensable de développer l'analyse sur l'offensive que va mener la droite sur « la bataille sur l'emploi », la remise en cause du code du travail, des protections... Et à partir de là faire le lien avec le pacte de stabilité qui vient d'être reconduit, les circulaires qui continuent à se mettre en place... Il est inutile de s'opposer sur les enjeux idéologiques que sont la Nation ou l'Europe sociale, sa possible construction ou non, donnons des objectifs concrets..... Si les forces politiques du NON tirent à hue et à dia, entre ceux qui voient l'issue entre un mouvement d'éducation populaire dont ils seraient les « professeurs », ceux qui cherchent à reconstruire la gauche plurielle et ceux qui exaltent les luttes, au lieu de se rendre compte de la nouveauté de la période, de ce qui peut réellement être construit et doit l'être, nous allons vers le désespoir et l'inertie... Alors que si l'on arrive à partir d'objectifs clairs, de quelques propositions correspondant effectivement à des choix politiques susceptibles de « changer la vie », on arrive à mettre en synergie tout ce qui est né dans cette campagne, une force politique peut apparaître. Si la droite et le PS ont décidé de se donner en spectacle avec la complicité active des médias, est-il bien utile que la gauche du NON en fasse autant, le PS en portant Fabius au pinacle, les petits partis de gauche et les associations en s'attribuant une victoire dans laquelle ils ne portent qu'une faible part ? Et ne s'interrogent pas en quoi ils pourraient réellement être utiles pour empêcher les mauvais coups qui se préparent, mettant en commun les moyens, donnant de véritables contenus aux amorces d'organisation.

Les luttes revendicatives, les mobilisations syndicales seront effectivement essentielles, parce qu'il faut résister à l'assaut qui se prépare contre le monde du travail et c'est sur le terrain national que le point d'appui est le plus fort. Rien n'est acquis dans ce domaine, les directions syndicales ressortent aussi affaiblies que les appareils politiques de leur attitude pendant le référendum, l'absence de perspective politique risque de nuire à la mobilisation et l'appel aux luttes risque de rencontrer aussi peu d'écho que l'appel à faire la fête si l'on ne perçoit pas ce qui se passe ».

L’EUROPE ; CONSTRUCTION ATLANTISTE,

ANTISOVIETIQUE ET IMPERIALISTE

En février 1943, en pleine seconde guerre mondiale antifasciste, les alliés US et anglais de l’URSS jouent double jeu et cherchent une entente avec l’Allemagne Nazie. La victoire de Stalingrad donne en effet des frayeurs aux alliés capitalistes de l’URSS. Allen Dulles pour le compte des USA enclenche des négociations en Suisse avec le prince Hohenlohe, représentant hitlérien. Allen Dulles suggère qu’il « convient, en agrandissant la Pologne à l’ Est et en conservant la Roumanie et la Hongrie forte, d’appuyer la création d’un cordon sanitaire contre le bolchevisme et le panslavisme » (tiré des Nouvelles d’URSS N° 67, mai 2005). Allen Dulles admettait qu’il « est plus ou moins d’accord avec l’organisation étatique et industrielle de l’Europe sur la base des vastes espaces, présumant qu’une grande Allemagne fédérative (semblable aux USA), avec une confédération danubienne y adhérant, sera la meilleure garantie d’ordre et de relèvement pour l’Europe centrale et orientale » (idem). Et d’ajouter qu’il « reconnaissait pleinement les prétentions industrielles allemandes à jouer un rôle prépondérant en Europe » (idem). « La France se trouve aujourd’hui à un carrefour. Elle doit choisir entre son adhésion sans réserve à l’Europe et sa disparition de la scène du monde » (Hitler en janvier 1945, cité dans Histoire de Vichy, Robert Aron).

D’abord projet nazi de destruction de l’URSS, soutenu par les « grandes démocraties », « l’Europe », a été récupéré par l’impérialisme yankee après la guerre pour se soumettre les pays européens, notamment à travers le fameux plan Marshall, et pour « l’endiguement du communisme ». Ce qui montre déjà l’engagement militant atlantiste du PS et donne historiquement raison à la campagne victorieuse menée par le PCF et les gaullistes en 1954 contre la CED (Communauté Européenne de Défense). On se rappelle qu’à l’époque les dirigeants socialistes s’étaient violemment opposés à la victoire du NON. Il en fut de même lors du référendum sur Maastricht, lors duquel la droite et les dirigeants socialistes ont fait chorus contre près de 50% des électeurs opposés à l’union des capitalistes européens contre les travailleurs et les peuples. Le PS a utilisé frauduleusement « l’épouvantail » états-unien pour abdiquer sur sa fonction d’opposition à la droite affichée jusqu’ici et sur la souveraineté nationale. Le vrai programme des dirigeants socialistes a toujours été la lutte contre le socialisme, l’atlantisme à l’époque du « monde bipolaire » et « l’Europe » des patrons aujourd’hui. Devenus les représentants de gauche du MEDEF, unis avec la droite UMP et UDF du grand capital, les dirigeants socialistes rêvent d’une « revanche historique sur l’échec de la CED » en soutenant une Constitution qui accepte la soumission momentanée à l’OTAN, cet outil militaire de l’hégémonie actuelle des va-t-en-guerre états-uniens. Même si la tendance lourde est le développement, au fur et à mesure de la construction européenne, des contradictions inter-impérialiste UE et USA, les dirigeants socialistes ont cherché à duper les militants et les électeurs en disant que « la victoire du NON sera une victoire des USA de George W. Bush » (Jospin, Mauroy).

Les dirigeants socialistes avec Mitterrand ont aussi accéléré l’édification du bloc impérialiste à travers le « noyau dur franco-allemand ». Aujourd’hui comme hier, ils propagent le « modèle européen » impérialiste qu’annonce l’article III-292 du projet de constitution, selon lequel « l’action de l’UE… vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l’état de droit, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité …». Il suffit de jeter un coup d’œil sur ce qu’a été historiquement ce genre de « mission civilisatrice » des puissances coloniales européennes dans des continents comme l’Amérique avec le génocide des indiens, l’Afrique avec l’esclavage, l’Asie avec le colonialisme, pour en avoir froid dans le dos. Les dirigeants socialistes ont même proclamé ouvertement que « la victoire du NON réduira durablement la capacité de l’Europe à peser sur les grandes affaires du monde » (Aubry et Hollande). Pour réaliser cet objectif guerrier, il est précisé dans l'alinéa 3 de l’article I-41 du projet de constitution que « les États membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires ». Il s’agit donc bel et bien ici de la fameuse et tristement célèbre « mission civilisatrice » qui a conduit historiquement à la traite des noirs, à la colonisation, et qui continue sous la forme des guerres impérialistes agressives d’oppression et de recolonisation des peuples faibles et dépendants. Le projet de constitution met l’UE sur les traces des USA qui en sont les champions aujourd’hui avec leur « guerre de civilisations ».

En outre, il faut le dire très clairement, la constitution met entre les mains des patrons européens politiquement unis, une armée, une police européenne qui serviront à mâter les luttes ouvrières, sociales et démocratiques des peuples et des nations à l’intérieur même de l’UE.

LA SOCIAL-DEMOCRATIE IMPERIALISTE

ET LE TROTSKISME  RÊVENT DE « L’EUROPE »
COMME « REVANCHE HISTORIQUE » SUR LE BOLCHEVISME !

Cet enjeu là est d’une importance majeure, car si la majorité du PS et des Verts, les deux entités social-démocrates reconnues comme telles sont partisans du « OUI », il faut préciser que les sociaux démocrates de gauches (PCF, Attac, les variétés existantes de trotskistes) sont parties prenantes du camp victorieux du NON, mais restent et demeurent des « euroconstructeurs » de gauche à travers le slogan de « l’Europe sociale » ou « L’Europe des travailleurs ».

Cette situation éclaire d’ailleurs le fait que le trotskisme n’est en réalité qu’une variante de gauche de la social-démocratie. Trotskisme et Social démocratie ont une essence idéologique commune exposée nettement dans un texte intitulé « socialistes de toute l’Europe, unissez-vous ! », de Laurent Fabius, Pierre Mauroy et Michel Rocard, tous ténors et hauts responsables de l’Internationale Socialiste : « le socialisme dans un seul pays n’a évidemment plus de sens. Si l’on veut être efficace et peser vraiment sur le cours des choses, les politiques à mettre en œuvre et les régulations à construire se situent désormais à l’échelle des continents et du monde. (…) La social-démocratie se définit par la recherche d’un triple compromis entre le capital et le travail, le marché et l’Etat, la compétition et la solidarité. (…) Les trois compromis de la social-démocratie doivent donc être actualisés, nos méthodes réformées et internationalisées. (…) Il faut aussi éviter tout repli sur soi, car le déséquilibre actuel qui fait des Etats-Unis l’acteur dominant du système international doit être corrigé. (…) La refondation de la social-démocratie passera d’abord par l’Europe. (…) devant les enjeux de la gouvernance internationale … l’Europe constitue le bon échelon d’intervention et de représentation. (…) nous voyons ce qu’elle peut d’ores et déjà dans la sphère économique ! Puissance douce, soft power, comme diraient les Anglo-Saxons ? (…) un monde qui se structurera autour de quatre ou cinq grands ensembles régionaux, dont l’Europe. (…) la social-démocratie doit prendre appui sur l’Europe » (Le Monde du 29 octobre 2002).

En quoi les positions qui suivent de Lutte Ouvrière (LO) et de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) sont elles différentes au fond des positions citées ci-dessus de l’Internationale Socialiste ? Voyez vous-même et comparez :

Lutte Ouvrière, qui avait appelé à « l’abstention » lors du référendum sur Maastricht, explique ainsi son appel à voter NON le 29 mai : « Ce que la construction européenne a de positif, l’unification relative de l’espace économique de l’Union Européenne, la disparition des barrières protectionnistes les plus importantes et l’atténuation d’autres, la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes – en opposition aux cloisonnements protectionnistes - ainsi qu’une certaine homogénéisation des lois et de la fiscalité, la création d’une monnaie commune – même si elle n’a pas cours partout – ont été réalisées au fil du temps, et la constitution n’ajoute aucune nouveauté sur ce plan. Elle ne mérite ni cet excès d’honneur dont l’affublent les partisans du oui, ni cet excès d’indignité que lui opposent beaucoup de partisans du non » (Lutte de Classe N° 86, février 2005).

Contrainte et forcée de dire NON du bout des lèvres en raison du rejet politique des travailleurs qu’elle avait subi lors de son « ni ni » à Maastricht, Lutte Ouvrière tente néanmoins de faire croire que les capitalistes n’ont pas vraiment besoin de constitution pour préserver et défendre leurs intérêts : « Le fait de donner à ces nouvelles règles le nom de « constitution » au lieu de se contenter de la désignation de  « traité » comme cela a été le cas tout au long de la construction européenne, est une façon symbolique d’afficher cette volonté là (d’accepter ou de rejeter, mais pas de marchander), même si la future constitution n’est pas plus « gravée dans le marbre » que la litanie des traités dont elle n’est que le dernier en date des avatars. Les grandes puissances continueront à faire la part des choses pour elles-mêmes et à arranger les obligations institutionnelles en fonction de leurs intérêts » (Lutte de Classe N° 86, février 2005).

Niant l’ambition de suprématie mondiale des bourgeoisies européennes coalisées dans un Etat supranational, Lutte Ouvrière (LO) réduit « l’Europe » à la domination sur l’Europe de l’Est, c’est-à-dire les anciens pays du camp socialiste, domination qui de toute façon n’aurait point besoin de « constitution » : « Le projet de constitution, s’il est adopté, fixera donc les règles et, par la même occasion, consacrera sur le plan politique la domination des pays impérialistes d’Europe occidentale sur les pays de l’Est. Domination qui repose cependant fondamentalement sur la force économique des trusts allemands, français, britanniques, etc., et pas sur les articles alambiqués de la constitution » (Lutte de Classe N° 86, février 2005).

Pour Lutte Ouvrière, il n’y a aucune différence entre une Constitution adoptée en 1958 sur la base d’un rapport de force où existait l’URSS, un PCF relativement fort, une CGT à près de 5 millions d’adhérents et une Constitution Européenne qui est justement la concrétisation du nouveau rapport de force, largement favorable au capital, né de la défaite du Socialisme, de l’URSS, du mouvement ouvrier international et des peuples opprimés et qui  codifie ainsi « l’acte unique, Maastricht, Amsterdam, Nice, Lisbonne » : « Au référendum annoncé, nous dirons non à la constitution européenne. Pas par souverainisme, cela va sans dire, car l’unification européenne, nous sommes pour. Pas parce que le rejet de la constitution européenne protègerait les travailleurs en quoi que ce soit contre les attaques qu’ils subissent de la part de la bourgeoisie. Une constitution établie par la bourgeoisie ne protège jamais les travailleurs, en outre la constitution de la Ve République ne vaut certainement pas mieux que le projet de constitution Giscard pour l’Europe. Même telle quelle, réalisée sur des bases capitalistes, avec tout ce qui en découle d’injustices et d’insuffisances, l’Union Européenne représente un progrès dans un certain nombre de domaines. Rien que la fin des cloisonnements économiques et des douanes, ainsi que la liberté de circulation des personnes à l’échelle d’une partie du continent, représentent un avantage appréciable par rapport aux contrôles, aux barbelés, bien que cette liberté ne soit pas pleinement reconnue aux immigrés qui vivent et travaillent dans l’Union. C’est contre le patronat qu’il faut que les travailleurs se défendent… Pas contre une institution abstraite et pas contre les feuilles de papier d’une constitution. C’est le capitalisme qui est à combattre, et pas le fait que, contraintes et forcées, avec un retard d’un siècle, les bourgeoisies nationales aient fini par unifier, ne fût-ce que partiellement, une partie de l’Europe » (Lutte de Classe N° 86, février 2005).

La Ligue Communiste Révolutionnaire confirme que son programme est bien l’incroyable illusion d’une « Europe » capitaliste à « démocratiser » : « Nous ne sommes pas contre l’Europe, au contraire. Nous sommes contre cette Europe-là. Dès le XIXe siècle, c’est à l’échelle de l’Europe que s’est développée la vague des révolutions démocratiques de 1848 qui visait à mettre à bas les vieux régimes monarchiques. Après la boucherie de la première guerre mondiale, puis à nouveau après la seconde guerre mondiale, les révolutionnaires internationalistes avancèrent la perspective d’Etats Unis socialistes d’Europe. Il faut reprendre le chantier de la construction de l’Europe, en inversant totalement la logique sociale et politique qui a prévalu jusqu’à présent. Cela passe d’abord par l’élaboration d’une véritable charte des droits sociaux, alignant dans chaque domaine les acquis sociaux sur le niveau atteint dans le pays où ils sont le plus favorables. Une Europe sociale et démocratique qui instaurerait également un salaire minimum européen et des services publics à l’échelle européenne. Enfin une Europe qui exigerait la dissolution de l’OTAN et engagerait une politique de désarmement et de démilitarisation générale. (…) La transformation démocratique de la construction européenne implique que les décisions soient prises par des assemblées élues au suffrage universel au niveau national et européen, ce qui ne pourra se faire sans empiéter considérablement sur les pouvoirs aujourd’hui conférés par la propriété privée capitaliste. Il y a bien deux options politiques pour l’Europe : Valéry Giscard d’Estaing ou le Forum social européen de Florence » (Olivier Besancenot, Révolution ! 100 mots pour changer le monde, édition Flammarion, 2003, p.312-313).

La LCR annonce ici son abandon complet de la perspective de la révolution socialiste au profit d’une illusoire « transformation démocratique de la construction européenne » sous le régime capitaliste. Son horizon indépassable reste « le forum social européen de Florence » qui n’est en réalité qu’une étape dans le processus de prise de conscience des luttes populaires et démocratiques internationales et demeure pour l’instant marquée par l’illusion de la possibilité « d’une Europe sociale » sous le capitalisme. La LCR entretient délibérément la confusion historique d’époque entre le XIXe siècle, époque des révolutions bourgeoises démocratiques dirigées par les bourgeoisies contre les féodaux, les aristocraties nobiliaires et les monarchies et les XXe et XXIe siècles, époque où l’humanité est entrée dans la phase historique de « l’impérialisme et des révolutions prolétariennes » (Lénine). Cette confusion fait dire à la LCR que « dès le XIXe siècle, c’est à l’échelle de l’Europe que s’est développée la vague des révolutions démocratiques de 1848 qui visait à mettre à bas les vieux régimes monarchiques » dans une prise de position sur « l’Europe ». Il y a ici de la part des trotskistes de la LCR une escroquerie politique et un désir d’enjamber frauduleusement l’expérience fondamentale dans la lutte de classe du XXe siècle : la victoire de la Révolution socialiste d’Octobre 1917 et l’édification dans les années 1936 d’une société sans exploiteurs capitalistes et féodaux en URSS, le socialisme dans un seul pays. D’ailleurs même si on en restait au XIXe siècle, La Commune a été la première tentative réussie durant 3 mois de renversement révolutionnaire du pouvoir de la bourgeoisie en France. Rappelons que là aussi, comme l’enseigne K. Marx, la question nationale - la fuite de la bourgeoisie versaillaise abandonnant Paris aux armées prussiennes - a été un facteur décisif dans l’avènement de la première révolution prolétarienne de l’histoire de l’humanité.

L’unité d’action et les compromis nécessaires pour la victoire du NON au référendum sur la constitution instituant un Etat Fédéral impérialiste dénommé Union Européenne étaient justes. Il est nécessaire de maintenir et de développer les cadres de l’unité d’action partout où cela est possible après la victoire pour continuer à agir au sein des populations à partir de l’exigence de respect de la volonté du peuple, d’une mobilisation autour des revendications ouvrières, populaires et démocratiques.

Mais nous devons aussi le dire clairement, il y a opposition stratégique dans le camp du NON entre ceux qui, comme les sociaux démocrates de gauches (PCF, Attac, les socialistes pour le non, etc.) et les trotskistes (LO, LCR, etc) militent pour « l’Europe sociale », « l’Europe des travailleurs » sous le régime capitaliste et ceux qui, comme nous, militent pour « sortir de l’Europe ».

Dans la campagne pour le NON, les premiers avaient comme slogan le badge en forme de cœur « J’AIME L’EUROPE, JE VOTE NON » et les seconds avaient pour slogan « J’AIME LE MONDE, JE VOTE NON ». En effet, comme le dit Lénine contre les trotskistes et la social démocratie :

« Du point de vue des conditions économiques de l’impérialisme, c'est-à-dire de l’exportation des capitaux et du partage du monde par les puissances coloniales « avancées » et « civilisées », les Etats-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires. Le capital est devenu international et monopoliste. Le monde se trouve partagé entre une poignée de grandes puissances, c'est-à-dire de puissances qui s’enrichissent en pillant et en opprimant les nations sans retenue. (…) Les Etats-Unis d’Europe, en régime capitaliste, équivaudraient à une entente pour le partage des colonies. Or, en régime capitaliste, le partage ne peut avoir d’autre base, d’autre principe, que la force. (…) En régime capitaliste, le développement égal des différentes économies et des différents états est impossible. Les seuls moyens possibles, en régime capitaliste, de rétablir de temps en temps l’équilibre compromis, ce sont les crises dans l’industrie et les guerres en politique. Certes des ententes provisoires sont possibles entre capitalistes et entre puissances. En ce sens, les Etats-Unis d’Europe sont également possibles, comme une entente des capitalistes européens… dans le but d’étouffer en commun le socialisme en Europe, de protéger en commun les colonies accaparées contre le Japon et l’Amérique… » (A propos du mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe, tome 21, p.351-355).

DU NATIONALISME CHAUVIN MULTICOLORE

AU NATIONALISME CHAUVIN UNICOLORE

En fait le débat idéologique et politique sur « l’Etat supranational européen » pose la question nationale comme facteur d’une importance majeure dans le processus du renversement du capitalisme et de la révolution socialiste mondiale. Historiquement, la social-démocratie a considéré que l’internationalisation, tendance « naturelle » du capital, était un « processus progressif qui apportait le progrès en généralisant le mode de production capitaliste supérieur aux modes de productions antérieurs ». D’où la conception social-démocrate selon laquelle « le colonialisme développait les forces productives » et donc était une « œuvre civilisatrice des peuples barbares ». Hier à l’époque des luttes anti-coloniales dans la période d’avant et surtout d’après seconde guerre mondiale, la social-démocratie de droite sous la IVe République réprimait, assassinait les forces indépendantistes et internationalistes. Les trotskistes ignoraient les luttes d’émancipation des peuples au nom de la primauté de la « lutte de classe » et du rejet du « nationalisme multicolore ». Ils ont toujours opposé systématiquement « lutte de classe » et « lutte nationale ».

Cette conception social démocrate économiste et mécanique du processus de « mondialisation » capitaliste est à la base du nihilisme national qui caractérise le trotskisme, la social-démocratie, mais aussi la bourgeoisie bénéficiaire du processus d’internationalisation du capital. Pour le capital, la social-démocratie et le trotskisme, « l’Europe » est une des formes de la « mondialisation » qui fait comme le dit LO qu’« avec un retard d’un siècle, les bourgeoisies nationales aient fini par unifier, ne fût-ce que partiellement, une partie de l’Europe ».

Or « l’Europe » est justement la réponse « nationaliste chauvine unicolore » des bourgeoisies européennes en quêtes de suprématie, de domination mondiale et en quêtes de colonies, de profits maximums. Le trotskisme et la social-démocratie ignorent totalement la dialectique. En effet, « le capitalisme en développement, - dit Lénine - connaît deux tendances historiques dans la question nationale. La première : le réveil de la vie nationale et des mouvements nationaux, la lutte contre toute oppression nationale, la création d’Etats nationaux. La seconde : le développement et la multiplication de relations de toutes sortes entre les nations ; la destruction des barrières nationales, la création de l’unité internationale du capital, de la vie économique en général, de la politique, de la science, etc. Ces deux tendances constituent la loi universelle du capitalisme. La première domine au début de son développement, la seconde caractérise le capitalisme déjà mûr et qui va vers sa transformation en une société socialiste » (Notes critiques sur la question nationale, tome 20, p.20).

C’est pourquoi la stratégie léniniste de la révolution socialiste mondiale considère que « les intérêts de la classe ouvrière et de sa lutte contre le capitalisme exigent une solidarité complète et la plus étroite unité des ouvriers de toutes les nations ; ils exigent qu’une riposte soit infligée à la politique nationaliste de la bourgeoisie de quelque nationalité que ce soit. Aussi, ce serait pour les social-démocrates se soustraire aux tâches de la politique prolétarienne et subordonner les ouvriers à la politique bourgeoise que de dénier aux nations le droit de disposer d’elles-mêmes – c’est-à-dire le droit pour les nations opprimées de se séparer - aussi bien que d’appuyer toutes les revendications nationales de la bourgeoisie des nations opprimées. Il est indifférent à l’ouvrier salarié que son principal exploiteur soit la bourgeoisie grand-russe de préférence à la bourgeoisie allogène, ou la polonaise de préférence à la juive, etc. L’ouvrier salarié conscient des intérêts de sa classe est indifférent aux privilèges d’Etat dont bénéficient les capitalistes grands-russes, comme à la promesse des capitalistes polonais ou ukrainiens d’instaurer le paradis sur terre lorsqu’ils détiendront des privilèges d’Etat. De toute façon, le développement du capitalisme se poursuit et se poursuivra, dans un Etat hétérogène unique aussi bien que dans des Etats nationaux distincts. Dans tous les cas, l’ouvrier salarié subira l’exploitation, et, pour la combattre avec succès, il faut que le prolétariat soit étranger à tout nationalisme, que les prolétaires soient pour ainsi dire entièrement neutres dans la lutte de la bourgeoisie des différentes nations pour la suprématie. Le moindre appui accordé par le prolétariat d’une nation quelconque aux privilèges de « sa » bourgeoisie nationale provoquera inévitablement la défiance du prolétariat de l’autre nation, affaiblira la solidarité  internationale de classe des ouvriers, les désunira pour la plus grande joie de la bourgeoisie. Or, nier le droit de libre détermination ou de séparation conduit inévitablement, dans la pratique, à soutenir les privilèges de la nation dominante » (Lénine, Du droit des Nations à disposer d’elles-mêmes, tome 20, p 448).

« L’Europe sociale » ou « l’Europe des travailleurs » sous le régime capitaliste, c’est inviter les ouvriers à soutenir la construction par les bourgeoisies européennes d’un Etat supranational impérialiste dans lequel les couches moyennes, la bureaucratie et l’aristocratie ouvrière espèrent bénéficier des privilèges tirés de la surexploitation des peuples opprimés et de la position hégémonique de « son » impérialisme par rapport aux concurrents ; C’est briser le fait que le « prolétariat conscient doit être étranger à tout nationalisme ». Défendre le droit à la séparation de l’UE, lutter pour la sortie des Etats nations de « l’Europe » que les bourgeoisies européennes cherchent à unifier dans un Etat supranational unique, c’est contrecarrer les plans et les objectifs impérialistes des bourgeoisies européennes, c’est faire œuvre d’internationalisme prolétarien et c’est préparer l’avènement de la Révolution Socialiste.

Le nihilisme national trotskiste est en réalité la substitution d’un nationalisme bourgeois impérialiste unicolore européen aux « nationalismes multicolores » d’antan de chacune des bourgeoisies européennes engagées dans le projet de construction d’un Etat supranational ou « Etats unis d’Europe ». Mais cela est possible aujourd’hui parce que les trusts, les cartels, les konzerns, sous la houlette des banques, ont opéré des méga-fusions qui ont donné naissance à des monopoles capitalistes à dimension européenne et mondiale. C’est cela qui produit le nationalisme chauvin unicolore « européen » incarné à l’extrême par la droite fasciste qui contrairement aux apparences n’est pas anti, mais pro-européenne : Leur slogan est « l’Europe des patries ».

Il y a 140 ans, K. Marx combattait le nationalisme unicolore français ainsi : « Hier, écrit Marx le 20 juin 1866, il y a eu discussion au Conseil de l’Internationale sur la guerre en cours … Les débats, comme il fallait s’y attendre, se sont concentrés sur la question des nationalités et de notre attitude à son égard … Les représentants de la jeune France (qui n’étaient pas des ouvriers) défendirent le point de vue suivant lequel toute nationalité et la nation elle-même sont des préjugés surannés … Le monde entier doit attendre que les Français soient mûrs pour accomplir la révolution sociale … Les anglais ont bien ri lorsque j’ai commencé mon discours en disant que notre ami Lafargue et les autres abolisseurs des nationalités s’adressent à nous en français, c’est-à-dire en une langue incompréhensible aux neuf dixièmes de l’assemblée. Ensuite j’ai donné à entendre que, sans s’en rendre compte lui-même, Lafargue semble comprendre, par négation des nationalités, leur absorption par la nation française, considérée comme un modèle » (Lénine, Du droit des Nations à disposer d’elles-mêmes, tome 20, p461-62). En fait, les trotskistes d’aujourd’hui tout comme « les représentants de la jeune France » de l’époque de K. Marx considèrent que « toute nationalité et la nation elle-même sont des préjugés surannés…Le monde entier doit attendre que (les Européens) soient mûrs pour accomplir la révolution sociale ». C’est d’ailleurs pour cela que Lénine se demandait pourquoi parler des « Etats unis socialistes d’Europe » et pourquoi pas tout simplement des « Etats unis socialistes du monde ».

Et Lénine d’en tirer cet enseignement fondamental : « Toutes ces remarques critiques de Marx aboutissent à une conclusion très claire : la classe ouvrière est moins susceptible que personne de faire un fétiche de la question nationale, car le développement du capitalisme n’éveille pas forcément toutes les nations à une vie indépendante. Mais une fois que sont apparus des mouvements nationaux de masse, les répudier, refuser de soutenir ce qu’ils ont de progressif, c’est en fait céder aux préjugés nationalistes, c’est reconnaître « sa » nation comme la « nation modèle » (ou, ajouterons-nous pour notre part, comme la nation détenant le privilège exclusif d’édifier un Etat) (Lénine, Du droit des Nations à disposer d’elles-mêmes, tome 20, p 462). C’est justement cela que n’ont pas compris et ne peuvent pas comprendre les trotskistes : Le vote NON à près de 50% au référendum de Maastricht, puis le vote NON à 55% au référendum sur le projet de constitution européenne sont des manifestations incontestables de l’apparition des mouvements nationaux de masse en Europe même. C’est le développement même du capitalisme qui éveille ici le mouvement de masse en ce sens que comme le dit Lénine « les Etats-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires ».

En mettant en branle la machine de l’unification des bourgeoisies européennes dans un Etat supranational unique, les monopoles capitalistes à l’échelle européenne ont lancé l’infernale broyeuse sociale qui détruit les conquêtes et acquis sociaux, démocratiques des générations précédentes des travailleurs et des communistes. En paupérisant massivement les travailleurs, les « Etats-Unis d’Europe deviennent réactionnaires » plutôt qu’« impossibles » et font du même coup ré-émerger des mouvements nationaux de masse qui posent la revendication fondamentale de sortir de l’Europe, étape vers la révolution socialiste dans un seul pays. Comme notre brochure intitulée « Sortir de l’Union Européenne, c’est possible, c’est nécessaire pour les travailleurs, les peuples et les nations » le démontre, à chaque fois que les bourgeoisies européennes ont tenté des unifications, elles les ont faites sans et contre les peuples sur la base de l’hégémonie d’une ou de quelques bourgeoisies coalisées ou, pour détruire l’alternative socialiste au capitalisme, l’URSS et le camp socialiste. Et chaque fois jusqu’ici les peuples ont su à tour de rôle déjouer les plans des bourgeoisies européennes. C’est en fait à la répétition d’un tel scénario que nous venons d’assister avec les votes NON des peuples français et hollandais. Ils ont mis fin à une comédie prétendument démocratique, orchestrée par les MEDEF européens pour entériner leur projet d’Etat supranational après avoir imposé l’euro, l’austérité budgétaire, les délocalisations, les privatisations, la marchandisation de l’école et de la santé et autres recettes libérales d’un capitalisme libéré de la bride qui, de 1917 aux années 1984/91, refrénait relativement sa barbarie intrinsèque.

 

Le 6 novembre 2005


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