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Sortir de l'Union Européenne, c'est possible!

C'est nécessaire pour les travailleurs, les peuples et les nations!

Sortir de l’Union Européenne, c’est possible

L’élargissement de l’Union Européenne à dix nouveaux pays est le prétexte d’une vaste campagne idéologique visant à associer les travailleurs à la construction d’un nouveau bloc impérialiste. L’Union Européenne est ainsi présentée comme garantie de la paix et comme contre-poids à l’impérialisme états-unien[1] alors que chaque progrès de la « construction européenne » se traduit au contraire par des guerres locales produites par l’exacerbation de la concurrence avec l’impérialisme US et par une accélération de la marche vers une nouvelle guerre mondiale[2]. « L’Europe » est également présentée comme un progrès économique et social alors que chaque avancée de la construction économique s’est traduite par de nouvelles concentrations du capital, c’est-à-dire par de nouvelles charrettes massives de licenciements. Enfin l’Union Européenne est présentée comme incontournable et inévitable du fait de la mondialisation[3]. Sortir de l’Union Européenne serait ainsi tout bonnement impossible, alors que la bourgeoisie n’en est pas à sa première tentative manquée de « construction européenne » et que ce projet a été tenu jusqu’à présent en échec par les forces progressistes.

I. Le rêve d’une Europe bourgeoise unie n’est pas nouveau

L’idée européenne n’est pas neuve pour les bourgeoisies allemande et française, pour ne parler que des deux candidates à la domination du nouveau bloc impérialiste. Chacune d’entre elles a tenté et tente d’unifier l’Europe par la force et par les capitaux. « L’Europe » s’est donc faite et défaite plusieurs fois au gré des rapports de force et de la lutte des peuples. L’intérêt du prolétariat et des peuples a toujours été inversement proportionnel à l’avancée des différents projets d’unification européenne qui se sont succédés. C’est ce que souligne déjà Lénine en 1915, répondant ainsi d’emblée à tous ceux qui diffusent le mythe d’une « Europe sociale » ou d’une « Europe des travailleurs » :

« Du point de vue des conditions économiques de l’impérialisme, c’est-à-dire de l’exportation des capitaux et du partage du monde par les puissances coloniales « avancées » et « civilisées », les Etats-Unis d’Europe sont en régime capitaliste, ou bien impossibles ou bien réactionnaires »[4].

Les travailleurs doivent connaître l’histoire de ces constructions européennes du 19e et du 20e siècle pour ne pas être trompés par le révisionnisme historique diffusé en permanence dans les médias.

A. Les constructions européennes du 19e siècle

Le 19e siècle a été marqué par deux tentatives d’unification européenne qui ont été rendues impossibles par la lutte des peuples.

1) L’Europe de la bourgeoisie française ascendante

La victoire de la révolution bourgeoise française en 1789 est le signe d’une exacerbation des contradictions avec la bourgeoisie anglaise jusque là en situation prédominante du fait de la précocité de sa révolution industrielle et du développement des rapports de production capitaliste. La guerre contre l’Angleterre se traduira par la perte de l’espace maritime et colonial français.

Dans le même temps, la bourgeoisie française se lance dans des « conquêtes continentales » au prétexte d’étendre à toute l’Europe le régime républicain et de libérer les peuples asservis. La nouvelle classe dominante française peut ainsi dominer les marchés rhénans, italiens et belge d’une part et étendre son influence sur les marchés espagnol et hollandais. Contrairement à l’historiographie dominante actuelle, il s’agit bien de guerre de conquête du côté des armées françaises et non d’une volonté « progressiste » d’étendre la révolution[5]. Avec l’arrivée de Napoléon, le projet d’une Europe sous domination française connaît de nouveaux succès. Ce dernier déclare ainsi de manière explicite : « Il me faut un code européen, une cour de cassation européenne, une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes lois ».

Par le fer, le sang et la guerre, la bourgeoisie française tente d’unifier l’Europe sous sa domination pour chasser le concurrent anglais du continent d’une part et s’approprier les richesses de l’Est de l’Europe d’autre part. Cette première tentative d’unification européenne échoua par la mobilisation des peuples européens qui développèrent d’héroïques luttes de libération nationale. Voici comment Lénine décrit ce processus : « Quand Napoléon eut fondé l’empire français en asservissant toute une série d’Etats nationaux d’Europe importants, viables et depuis longtemps constitués, alors les guerres nationales françaises devinrent des guerres impérialistes qui engendrèrent à leur tour des guerres de libération nationale contre l’impérialisme de Napoléon »[6].

Les deux leçons tirées par Lénine de cette première tentative bourgeoise d’unification européenne sont les suivantes : « L’Europe unie » sous le capitalisme ne peut être que réactionnaire ; quel que soit le rapport de forces, il est possible de stopper ce mouvement par la lutte des peuples.

2) L’Europe de la Sainte Alliance

Les peuples des pays asservis n’ont pas été les seuls à se mobiliser contre la « construction européenne » napoléonienne même si ce sont eux qui ont constitué la « base d’offensive » c’est-à-dire qui en ont payés le prix en martyrs. Les classes dominantes des pays asservis ont, malgré de multiples hésitations, résisté à la « construction européenne » sous domination française. Les marchands hollandais, les producteurs de laines espagnols, les féodaux russes dominant la production de bois, de suifs, de lins et de peaux, etc. s’opposèrent également à cette « Europe unie ».

Cependant, ces mêmes classes dominantes des pays asservis, une fois la victoire acquise, reprennent à leur compte l’idée de « construire l’Europe ». Il s’agit cette fois-ci de réprimer par la terreur la dynamique de la lutte des classes développée au cours des luttes de libération nationale du fait d’une composante massivement populaire des Partisans. L’Europe de la Sainte Alliance réprime ainsi dans le sang les luttes étudiantes allemandes de 1819-1820, les mouvements sociaux de Naples et du Piémont en 1820-1821 et d’Espagne en 1823. L’Europe de la Sainte Alliance est une tentative de restauration féodale contre à la fois les bourgeoisies montantes, les peuples en lutte pour leurs droits nationaux et démocratiques et le tout nouveau prolétariat qui commence à prendre conscience de ses intérêts spécifiques. Une nouvelle fois, cette Europe sera balayée par la lutte des classes : révolution de 1830 en France et expulsion du roi de Hollande de son trône en septembre 1830, etc.

Les deux conclusions de Lénine sont une nouvelle fois confirmées par l’histoire : l’Europe unie est inévitablement réactionnaire et il est possible d’en sortir par la lutte des classes.

B. L’Europe à l’époque de l’impérialisme

Le XXe siècle se caractérise par l’émergence d’une puissance capitaliste nouvelle (l’Allemagne unifiée par Bismarck) ayant des spécificités dans son processus de développement. Cette nouvelle puissance impérialiste sera à la base de deux tentatives d’unification européenne : l’Europe antisoviétique de Locarno et l’Europe nazie de Hitler.

1) L’apparition de l’impérialisme allemand

Les liens entre l’Europe et l’Allemagne sont particuliers et doivent être compris pour saisir la place que prend ce pays impérialiste dans toutes les tentatives de construction européenne du XXe siècle et d’aujourd’hui.

A la différence des autres pays capitalistes, l’Allemagne ne possède pas au moment de son unification de colonies à piller pour enclencher l’accumulation primitive de son capital. C’est par le pillage guerrier de la France que seront réunis les fonds débouchant sur une industrialisation accélérée. C’est ce que souligne le camarade Staline : « c’est par la victoire contre la France au cours des années 70 que l’Allemagne accéléra sa propre industrialisation. A cette époque, l’Allemagne extorqua 5 milliards de francs d’indemnités aux français et les investit dans sa propre industrie »[7] et il ajoute dans une autre contribution que la spécificité de l’industrialisation allemande est sa réalisation par « des victoires et des contributions de guerre prélevées par un pays sur un autre »[8].

Le nouvel impérialisme en développement rapide exige très vite sa part du gâteau colonial, c’est-à-dire un repartage du monde. Sur le plan idéologique, l’impérialisme allemand justifie ses prétentions au nom du « pangermanisme », réunion dans un même Etat des populations de « langue et de sang » allemand. Son objectif est d’unifier l’Europe centrale autour d’elle et d’arracher à la Russie de nouvelles colonies. Le repartage du gâteau souhaité par l’Allemagne déboucha sur la première boucherie impérialiste mondiale. La victoire de la révolution bolchevique mit fin provisoirement à cette nouvelle tentative d’unification européenne sous domination allemande.

Cette page d’histoire nous amène à une troisième leçon : « l’Europe unie », c’est inévitablement la guerre mondiale, à un terme plus ou moins long en fonction des rapports de force.

2) L’Europe anti-bolchevique et antisoviétique du pacte de Locarno

L’échec des interventions militaires et du blocus contre la nouvelle république soviétique attise la lutte des classes dans les pays capitalistes, et les luttes de libération nationale dans les colonies. Les bourgeoisies européennes tentent une nouvelle unification sous direction anglaise pour détruire le pays du socialisme : l’Europe du pacte de Locarno (signé en 1925). C’est ce caractère anti-bolchevique et réactionnaire de Locarno que dénonce le dirigeant du Parti communiste allemand Ernst Thaelmann au Reichstag en 1925 : le pacte est « une offensive diplomatique anglaise en vue de constituer en Europe un bloc antisoviétique auquel l’Allemagne serait incorporée »[9]. Les partis communistes européens réunis à Bruxelles en novembre 1925 appellent à lutter contre cette idée « paneuropéenne » en la présentant pour ce qu’elle est réellement : une machine de guerre contre le prolétariat et l’URSS. Ils reprenaient ainsi l’analyse de Lénine qui dans le texte cité précédemment ajoutait : « Les Etats-Unis d’Europe sont également possibles comme une entente de capitalistes européens …Dans quel but ? Dans le seul but d’étouffer en commun le socialisme en Europe ».

La haine de classe anti-bolchevique pousse les bourgeoisies anglaise et états-unienne à relever l’impérialisme allemand. Compte tenu de la situation géographique stratégique de l’Allemagne, une guerre d’agression contre l’URSS était inimaginable sans le relèvement de l’impérialisme allemand. Des milliards seront ainsi investis en Allemagne et dès 1926, elle est autorisée à réorganiser sa « défense », c’est-à-dire à reconstituer son armée dans la prévision d’une future guerre contre le pays du socialisme[10]. Pour préparer la guerre contre l’URSS, les « réformes » se succèdent à un rythme accéléré : création d’un cartel européen de l’acier en octobre 1926, union douanière européenne en 1930, mise en place d’une « Commission économique franco-allemande » en 1931. Les discours de propagande de cette époque ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux que nous entendons aujourd’hui : « l’axe franco-allemand comme centre de l’Europe », « la paix garantie par l’entente entre les ennemis d’hier », etc. Dès cette époque, les partisans de « l’Europe » sont les mêmes que ceux d’aujourd’hui : les monopoles, les libéraux et les sociaux-démocrates[11]. Les conséquences sociales de cette union européenne des monopoles ne se font pas attendre : dès 1927, l’Allemagne compte deux millions de chômeurs, et en France l’indice du chômage passe de 92 en juillet 1926 à 169 en mars 1927.

Tout progrès dans la « construction européenne » est un progrès de la concentration capitaliste, c’est-à-dire une production massive de chômeurs.

3) L’Europe fasciste de Hitler

La haine de classe anti-bolchevique a conduit au relèvement de l’impérialisme allemand par les classes dominantes des autres pays européens et des Etats-Unis. La même haine les conduira à soutenir Hitler, qui se présente comme « défenseur de l’Europe ». Voici ce qu’il déclare dans un discours radiodiffusé dès 1931 : « 6 millions de communistes en Allemagne, c’est le danger communiste pour l’ensemble de l’Europe. C’est en Allemagne que sera livrée la bataille décisive. Notre pays est appelé à sauver l’humanité de la peste bolchevique »[12] .

L’Europe anti-bolchevique engendre le nazisme, qui se retournera ensuite contre ses géniteurs. Toutes les flatteries et félicitations idéalistes à Hitler n’empêcheront pas celui-ci de se retourner contre la France et l’Angleterre. Les contradictions inter-impérialistes reprennent le premier plan dès que l’Allemagne pense être en mesure de battre ses « alliés » pour se retourner ensuite contre l’URSS. A son tour, Hitler tente une nouvelle unification européenne par la guerre et la barbarie. Les peuples du monde entier ont été sauvés de cette Europe nazie par la lutte implacable de l’URSS de Staline.

Nous devions rappeler ces dimensions historiques dans la mesure où elles permettent de saisir le caractère inévitablement réactionnaire de toute « construction européenne » à l’époque du capitalisme. Les mêmes arguments de préservation de la « paix », de « nécessité économique », de contre-poids à une autre puissance, etc. ont accompagné les différentes tentatives de construction européenne sous la domination de telle ou telle puissance bourgeoise au 19e siècle et impérialiste au 20e siècle. A chaque fois, ces tentatives de construction européenne ont été réactionnaires, porteuses de guerres, de chômage massif et d’oppression des pays faibles et dépendants. A chaque fois, les discours de l’inéluctabilité de la construction européenne ont été démentis par la lutte, soit des mouvements nationaux, soit du prolétariat. A chaque fois, la lutte des classes a montré qu’il était possible et nécessaire de « sortir de l’union européenne » quel que soit son degré d’avancée.

II. L’EUROPE REACTIONNAIRE ACTUELLE

La fin de la seconde guerre mondiale se caractérise à la fois par un prestige sans précédent de l’URSS, principal acteur de la défaite du nazisme, et par un changement de leadership au sein du monde impérialiste. Pendant que les prolétariats de l’ouest et les peuples colonisés regardent vers l’URSS et le camp socialiste, les cartes se redistribuent en faveur des USA au sein du camp impérialiste. A la fin de l’année 1946, les indicateurs économiques indiquent nettement la place nouvelle des USA au sein du camp impérialiste : l’indice de production industrielle des USA indique 146 pour une base 100 en 1937,  contre 70 pour les pays capitalistes d’Europe.

A) Une Europe antisoviétique sous domination états-unienne

L’impérialisme états-unien, comme au sortir de la première guerre mondiale, est intéressé au relèvement de l’Europe pour s’opposer au « bolchevisme ». Les bourgeoisies européennes pour leur part sont contraintes par la lutte de classe et la victoire de l’URSS à des concessions aux forces populaires dirigées par les partis communistes. Elles sont dans le même temps effrayées par le poids de ces partis qui ont dirigé la résistance contre le nazisme. Elles préparent déjà la contre-offensive. Comme le souligne Jdanov en 1947, les 13 milliards du plan Marshall visent à créer une Europe anti-bolchevique sous domination US :

« Le fond des formules voilées, embrouillées intentionnellement, du « plan Marshall » consiste à former un bloc d’Etats liés aux USA par des engagements et à offrir aux Etats européens des crédits américains en paiement à la renonciation à leur indépendance économique et ensuite à leur indépendance politique (…). L’essentiel du plan Marshall est donc de reconstruire les régions dévastées d’Allemagne occidentale contrôlées par les monopoles américains »[13] .

Jdanov dénonce le plan Marshall et la doctrine Truman comme deux volets d’un même objectif : construire une Europe antisoviétique pour servir les intérêts hégémoniques de l’impérialisme US. Dès 1948 est créée l’Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE qui deviendra en 1960 l’OCDE), avec pour tâche la gestion de la répartition et de l’utilisation de l’aide US. Le 4 avril 1949, l’OTAN est mise en place à Washington comme « frontière de défense collective », c’est-à-dire d’attaque collective contre le camp socialiste. En 1949 toujours est fondé le « Conseil de l’Europe » ayant pour but de préparer l’union politique des états membres.

La préoccupation antisoviétique pousse les bourgeoisies européennes et états-unienne à soutenir et encourager une nouvelle fois la reconstruction de l’impérialisme allemand. Toutes les décisions de la fin des années 40 et des années 50 sont incompréhensibles si on ne tient pas compte de cette volonté d’une Europe antisoviétique sous direction US : absence de dénazification dans les zones occidentales de l’Allemagne occupée, unification des trois zones allemandes sous contrôle occidental (qui conduira à la création de la RFA dans ces zones en mai 1949), recouvrement par les monopoles allemands ayant soutenu Hitler de la propriété de leurs entreprises, intégration de la RFA dans le Conseil de l’Europe, création de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) en 1951, tentative de création d’une « Communauté Européenne de Défense » (CED - qui fut mise en échec en 1954 par le vote NON à l’Assemblée Nationale des députés communistes et gaullistes), autorisation pour la RFA de se doter d’une nouvelle armée nationale et intégration dans l’OTAN en 1955 (qui conduit l’URSS à mettre en place une alliance militaire défensive : le Pacte de Varsovie), etc.

L’Union Européenne actuelle a pour géniteur l’impérialisme US et pour objectif initial la destruction du camp socialiste. Dès sa naissance, c’est une Europe de guerre, une Europe réactionnaire, une Europe antisoviétique, une Europe anti-ouvrière, une Europe anti-mouvements de libération nationale.

B) Les débuts des contradictions euro/états-uniennes

Comme l’avait cependant annoncé Staline en 1952, la loi du développement inégal allait diviser de plus en plus les alliés d’hier que sont les bourgeoisies européennes et états-unienne[14]. Dès 1949, la production européenne a rattrapé celle de 1937, c’est-à-dire que les bourgeoisies européennes ont retrouvé leurs bases économiques. En 1953, le volume de production européen dépasse de 13 points celui des USA. De 1953 à 1958 la production européenne croît de 5,6% par an pour une croissance états-unienne de 0,6% l’an.

La loi du développement inégal produit ainsi une nouvelle contradiction euro/états-unienne, dans un premier temps contenue par l’existence de l’URSS, mais qui se déploiera entièrement dès la disparition de celle-ci.

La victoire du révisionnisme khrouchtchévien en URSS, à partir de 1956, encourage l’émergence de ce bloc européen impérialiste qui tout en se détachant peu à peu des USA lui reste lié. Mais tant que l’URSS n’est pas entièrement détruite, les bourgeoisies européennes hésitent à se détacher des USA.

C’est ce qui explique à la fois la création de la CEE par six pays européens en 1957 comme indicateur d’une volonté de construire un nouveau bloc impérialiste (c’est le pôle « exacerbation de la contradiction » avec les USA) et dans le même temps les actes d’allégeance à l’impérialisme états-unien (c’est le pôle « unité de la contradiction » lié à l’existence de l’URSS).

En 1958, une étape nouvelle est franchie par la décision des pays européens d’introduire la convertibilité de leurs monnaies avec l’or alors que jusqu’à présent et depuis la fin de la seconde guerre mondiale, seul le dollar était considéré comme moyen de paiement international du fait de sa convertibilité en or. Désormais, le dollar n’est plus l’unique moyen de paiement international, ni le seul moyen d’accumulation des stocks en devises. Les monopoles européens se situent par cette mesure au même niveau que les monopoles états-uniens. Cette première phase de la construction européenne est politiquement pilotée par la France impérialiste dirigée par De Gaulle.

Dans le même temps où les bourgeoisies européennes s’engagent dans la construction d’un nouveau bloc impérialiste indépendant des USA et opposé à l’impérialisme US, la lutte devient acharnée pour la domination de ce nouveau bloc impérialiste, en particulier entre l’Allemagne et la France. Chacune des bourgeoisies européennes confie à son Etat le mandat de restructurer l’appareil de production pour le rendre compétitif au sein de la « nouvelle Europe » face aux concurrents que constituent les autres bourgeoisies européennes.

En France, dans les années 70, le Ve plan prévoit la restructuration de l’appareil de production : mesures fiscales pour favoriser la concentration et les fusions entre grandes entreprises afin de faire émerger des monopoles français de taille européenne, distributions de milliards de subventions pour accompagner ces fusions et restructurations, aide à l’absorption de Trefimétaux par Péchiney puis à la fusion avec Ugine Kuhlman (qui possède désormais toute la filière aluminium, de l’extraction de la bauxite à la production des tubes d’aluminium), aide à l’absorption de Lorraine-Escaut par Usinor, aide à la naissance de Sacilor en 1974, etc.

Pour prétendre à un rôle dominant au sein de la « nouvelle Europe », la bourgeoisie française restructure l’appareil de production, autrement dit licencie massivement avec l’argent du contribuable. Le chômage massif qui débute dès la fin de la décennie 60 n’est pas le résultat du soi-disant « choc pétrolier » de 1973, mais un mouvement durable et consciemment construit par la bourgeoisie française et son Etat pour se placer en situation dominante face au concurrent allemand dans la construction de cette Europe capitaliste. Ainsi entre juillet 1967 et mai 68 (c’est-à-dire bien avant le « choc pétrolier » de 1973), le chômage passe de 300 000 personnes à 600 000. Avant même la chute du mur de Berlin, les pays coloniaux ou semi-coloniaux d’une part et les travailleurs d’Europe d’autre part ont vu leurs conditions d’existence particulièrement attaquées : en Afrique, intervention au Congo pour le cuivre, au Tchad pour l’uranium, au Sahara occidental pour le fer et le phosphate, etc.; dans la métropole, plan acier connu sous le nom de plan Davignon se traduisant par 100 000 licenciements en Europe et 40 000 en France, plan de la construction navale, plan des fibres synthétiques, ruine massive des agriculteurs, etc. Les années 70 sont celles de l’avancée systématique de la « construction européenne » qui signifie également production volontaire d’un chômage massif.

Toutefois l’impérialisme français, malgré sa politique dite de « redéploiement industriel », n’avait « pas assez développé les industries sophistiquées incorporant beaucoup de travail hautement qualifié. Dans ces secteurs à haute technicité, elle (la France) souffre d’un déficit par rapport aux grands pays industriels avancés (Etats-Unis, Allemagne, Japon). Elle s’est au contraire beaucoup trop spécialisée dans des activités faisant largement appel à une main-d’œuvre peu qualifiée d’OS (ouvriers spécialisés) »[15]. Le repositionnement économique de l’impérialisme français dans le cadre de l’Union Européenne nécessitait donc une restructuration industrielle, une adaptation de l’appareil de production qui sera conduite à partir de 1981 par le pouvoir social-démocrate PS flanqué du PCF révisionniste, et la cohabitation. C’est depuis lors le chômage et la précarité de masse.

La seconde phase de la « construction européenne » est marquée par le rôle pilote de l’impérialisme allemand. « L’Ostpolitik » — la politique vers l’Est — définie par Willy Brand au tournant des années 70 s’est traduite par la signature de l’acte final en 1975 à Helsinki de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (C.S.C.E.) jusqu’à… l’adoption de la « Charte pour une Nouvelle Europe » à Paris en 1990. L’impérialisme allemand (RFA), fort de son poids économique, impose alors l’annexion de la RDA et l’implosion de la Yougoslavie. Le continent européen, qui aura vécu des décennies de paix après 1945, connaît à nouveau la guerre avec l’agression de l’Etat yougoslave par l’OTAN. Les bourgeoisies européennes, notamment allemande à travers « l’Ostpolitik » ont joué un rôle majeur et décisif dans le processus qui a conduit à la défaite et à la restauration du capitalisme en URSS et dans les Démocraties Populaires de l’Est.

L’Union Européenne actuelle, c’est à la fois l’exacerbation de la concurrence avec les USA et une rivalité entre les bourgeoisies européennes en général et entre les bourgeoisies françaises et allemandes en particulier pour la domination du nouveau bloc impérialiste. L’aiguisement de ces rivalités pour arracher l’hégémonie en Europe s’est fait, se fait et se fera par une exploitation plus dure de chaque classe ouvrière.

C. Le nouveau bloc impérialiste européen

La disparition de l’URSS et du camp socialiste accélère la construction européenne avec le même résultat aggravé : la destruction de tous les acquis des travailleurs et la production d’un chômage structurel. C’est la mise en place du « couple franco-allemand » pilote de la troisième phase qui voit éclater de plus en plus au grand jour les contradictions inter-impérialistes euro/étatsunienne.

L’Acte unique européen en 1986, le traité de Maastricht en 1992, la mise en place de l’Euro, l’élargissement actuel à dix nouveaux pays, la mise en place de l’armée européenne, le projet de constitution européenne, tout cela constitue autant d’étapes dans le processus d’émergence d’un nouveau bloc impérialiste, d’un Etat impérialiste européen à ambition hégémonique. Chacun de ces pas reflète et exacerbe la contradiction avec les USA, c’est-à-dire rapproche l’échéance d’une nouvelle conflagration mondiale. Chacun de ces pas se traduit par la multiplication des guerres locales pour la maîtrise des sources d’énergies et de matières premières, c’est-à-dire une paupérisation massive, une re-colonisation et une désintégration des pays ex-coloniaux, semi-coloniaux et dépendants. Chacun de ces pas se traduit par une concurrence accrue entre les bourgeoisies européennes, c’est-à-dire par une exploitation aggravée de chacune des classes ouvrières « nationales ».

Sur ces mouvements de fonds liés à l’infrastructure matérielle des pays européens se développe une nouvelle superstructure idéologique à base de racisme et d’eurocentrisme chauvin, et le projet en cours d’édification accélérée d’un Etat impérialiste à ambition hégémonique. Pour détourner les colères populaires, les bourgeoisies européennes diffusent subtilement mais consciemment l’idée d’une « Europe blanche et chrétienne, gardienne de la civilisation » s’opposant à la fois aux « barbares » du Sud (et à leurs représentants ici, les immigrés légaux, les sans-papiers, les musulmans) et à l’hégémonisme états-unien.

Un seul mot d’ordre :

 SORTIR DE L’UNION EUROPEENNE !

 

L’Union Européenne n’en est pas à sa première tentative d’unification. Ces tentatives ont toujours été, depuis le début du capitalisme, des tentatives réactionnaires liées aux profits de telle ou telle bourgeoisie qui prétendait à la domination. Chaque fois la lutte des classes a défait ces tentatives de « construction européenne ». Non seulement il est possible de sortir de l’Europe mais cela a été, chaque fois, une réalité lorsque les travailleurs et les peuples sont montés à l’offensive pour défendre leurs intérêts. Aujourd’hui encore, « l’Europe » c’est la guerre, la régression sociale et la destruction de la souveraineté nationale. L’objectif ne peut donc pas être une « Europe sociale », une « Europe citoyenne », une « Europe des travailleurs » ou toute autre baliverne des « euro-constructeurs », rabatteurs trotskistes, sociaux démocrates, verts et révisionnistes mutants.

Sortir de l’Union Européenne est toujours possible et nécessaire !

Le 15 avril 2004


[1] Nous utilisons volontairement le terme « états-unien » plutôt que l’expression trop courante « américain ». L’impérialisme US considère le continent américain comme sa propriété à l’intérieur de laquelle tout lui serait permis pour des raisons de « sécurité nationale », de « continuité territoriale », de « cohérence économique », de « nécessité stratégique », etc. Cette expression consistant volontairement à confondre les Etats-Unis avec l’ensemble du continent n’est rien d’autre qu’un outil idéologique visant à préparer les esprits à des interventions « légitimes » contre Cuba et les autres forces révolutionnaires et nationalistes du continent.

[2] Compte-tenu de la loi du développement inégal mise en évidence par Lénine, cette nouvelle guerre mondiale est inéluctable. Chaque progrès de la « construction européenne » rend le partage du monde actuel insupportable pour les bourgeoisies européennes et les conduit à exiger de manière de plus en plus agressive un « repartage du monde » en leur faveur. Seule l’inégalité des potentiels militaires freine actuellement le processus inéluctable de la guerre mondiale, ce qui n’empêche pas les guerres locales par marionnettes interposées. Ce retard militaire est une des préoccupations essentielles du capital financier européen qui est entré de ce fait dans la préparation active de la nouvelle conflagration mondiale. Comme l’a démontré Staline en 1951, seul un mouvement anti-impérialiste pour la paix peut retarder l’échéance d’une guerre mondiale, en attendant que le rapport de force permette de supprimer les causes des guerres : le capitalisme.

[3] Sur ce discours sur l’inéluctabilité de l’Union Européenne et de la mondialisation, nous renvoyons le lecteur à notre analyse critique du mouvement alter-mondialiste. Loin de constituer des processus inévitables, ces deux constructions sont le résultat de choix précis correspondant aux intérêts du capital financier mondial et européen.

[4] Lénine, A propos du mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe.

[5] En témoigne un certain nombre de mesures économiques prises immédiatement : aménagement fluvial du Rhin, aménagement routier dans les Pyrénées et les Alpes, unification des poids et mesures sur le standard français, etc. Que du côté des peuples asservis il y ait eu « utilisation » consciente ou inconsciente, objective ou subjective, de ces contradictions entre les bourgeoisies européennes ne change rien à la situation. 

[6]  Lénine, tome 22 des œuvres complètes, p. 332.

[7] J Staline, La situation économique et politique du parti.

[8] J Staline, questions et réponses, NBE, p. 36.

[9] Cité par Badia dans l’Histoire de l’Allemagne contemporaine 1917 /1933, p.231.

[10] Les mêmes causes donnant les mêmes effets, il n’est pas étonnant que ce scénario se reproduise après la seconde guerre mondiale. Les rivalités inter-impérialistes sont une nouvelle fois mises au second plan après la collusion de classe contre le socialisme et les pays qui le construisent.

[11] En France, on trouve De Peyerimoff, dirigeant du comité des houillères, Duchemin, dirigeant de l’industrie chimique et premier président de l’organisation syndicale nationale du patronat français (la CGPF), Gignoux, futur président de la CGPF, les socialistes Blum, Spinasse, Boncour. En Allemagne, on retrouve les magnats de l’industrie lourde : Volger, Poegsen et Bosch.

[12] A la déclaration d’Hitler fait écho cette autre déclaration du socialiste français Boncour : « On est fier en France, de savoir que des soldats polonais lutteront avec des armes françaises pour la défense de la civilisation contre les barbares bolcheviques » (cité par Maurice Thorez, livre 2, tome 1, p.92).

[13] Rapport d’A. Jdanov sur la situation internationale, p. 21 .

[14] « De l’inévitabilité des guerres entre les pays capitalistes », dans Les problèmes économiques du socialisme, 1952. Seuls ceux qui ont une analyse non dialectique peuvent s’étonner de l’émergence de nouvelles contradictions opposant les alliés d’hier. L’analyse marxiste nous enseigne au contraire que tout phénomène est en évolution. Ceux qui étaient unis objectivement face à l’ennemi commun soviétique sont également objectivement divisés par leurs intérêts particuliers contradictoires. Ces contradictions euro/états-unienne sont contenues tant qu’existe l’URSS. Sa disparition rend premier les facteurs d’oppositions de la contradiction et second les facteurs d’unités. La marche vers une nouvelle guerre mondiale est enclenchée après cinquante ans de paix que nous devons à l’existence de l’URSS et du camp socialiste.

[15] Bialès/Goffin, Economie générale, tome 2, Foucher, 1982.


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