Sortir de l’Union Européenne, c’est possible
L’élargissement
de l’Union Européenne à dix nouveaux pays est le
prétexte d’une vaste campagne idéologique visant
à associer les travailleurs à la construction d’un
nouveau bloc impérialiste. L’Union Européenne est
ainsi présentée comme garantie de la paix et comme
contre-poids à l’impérialisme états-unien[1]
alors que chaque progrès de la « construction
européenne » se traduit au contraire par des
guerres locales produites par l’exacerbation de la concurrence
avec l’impérialisme US et par une accélération
de la marche vers une nouvelle guerre mondiale[2].
« L’Europe » est également
présentée comme un progrès économique et
social alors que chaque avancée de la construction économique
s’est traduite par de nouvelles concentrations du capital,
c’est-à-dire par de nouvelles charrettes massives de
licenciements. Enfin l’Union Européenne est présentée
comme incontournable et inévitable du fait de la
mondialisation[3]. Sortir de
l’Union Européenne serait ainsi tout bonnement
impossible, alors que la bourgeoisie n’en est pas à sa
première tentative manquée de « construction
européenne » et que ce projet a été
tenu jusqu’à présent en échec par les
forces progressistes.
I.
Le rêve d’une Europe bourgeoise unie n’est pas
nouveau
L’idée
européenne n’est pas neuve pour les bourgeoisies
allemande et française, pour ne parler que des deux candidates
à la domination du nouveau bloc impérialiste. Chacune
d’entre elles a tenté et tente d’unifier l’Europe
par la force et par les capitaux. « L’Europe »
s’est donc faite et défaite plusieurs fois au gré
des rapports de force et de la lutte des peuples. L’intérêt
du prolétariat et des peuples a toujours été
inversement proportionnel à l’avancée des
différents projets d’unification européenne qui
se sont succédés. C’est ce que souligne déjà
Lénine en 1915, répondant ainsi d’emblée à
tous ceux qui diffusent le mythe d’une « Europe
sociale » ou d’une « Europe des
travailleurs » :
« Du
point de vue des conditions économiques de l’impérialisme,
c’est-à-dire de l’exportation des capitaux et du
partage du monde par les puissances coloniales « avancées »
et « civilisées », les Etats-Unis
d’Europe sont en régime capitaliste, ou bien impossibles
ou bien réactionnaires »[4].
Les
travailleurs doivent connaître l’histoire de ces
constructions européennes du 19e et du 20e
siècle pour ne pas être trompés par le
révisionnisme historique diffusé en permanence dans les
médias.
A. Les constructions européennes
du 19e siècle
Le
19e siècle a été marqué par
deux tentatives d’unification européenne qui ont été
rendues impossibles par la lutte des peuples.
1) L’Europe
de la bourgeoisie française ascendante
La
victoire de la révolution bourgeoise française en 1789
est le signe d’une exacerbation des contradictions avec la
bourgeoisie anglaise jusque là en situation prédominante
du fait de la précocité de sa révolution
industrielle et du développement des rapports de production
capitaliste. La guerre contre l’Angleterre se traduira par la
perte de l’espace maritime et colonial français.
Dans
le même temps, la bourgeoisie française se lance dans
des « conquêtes continentales » au
prétexte d’étendre à toute l’Europe
le régime républicain et de libérer les peuples
asservis. La nouvelle classe dominante française peut ainsi
dominer les marchés rhénans, italiens et belge d’une
part et étendre son influence sur les marchés espagnol
et hollandais. Contrairement à l’historiographie
dominante actuelle, il s’agit bien de guerre de conquête
du côté des armées françaises et non d’une
volonté « progressiste » d’étendre
la révolution[5]. Avec
l’arrivée de Napoléon, le projet d’une
Europe sous domination française connaît de nouveaux
succès. Ce dernier déclare ainsi de manière
explicite : « Il
me faut un code européen, une cour de cassation européenne,
une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes
lois ».
Par
le fer, le sang et la guerre, la bourgeoisie française tente
d’unifier l’Europe sous sa domination pour chasser le
concurrent anglais du continent d’une part et s’approprier
les richesses de l’Est de l’Europe d’autre part.
Cette première tentative d’unification européenne
échoua par la mobilisation des peuples européens qui
développèrent d’héroïques luttes de
libération nationale. Voici comment Lénine décrit
ce processus : « Quand
Napoléon eut fondé l’empire français en
asservissant toute une série d’Etats nationaux d’Europe
importants, viables et depuis longtemps constitués, alors les
guerres nationales françaises devinrent des guerres
impérialistes qui engendrèrent à leur tour des
guerres de libération nationale contre l’impérialisme
de Napoléon »[6].
Les
deux leçons tirées par Lénine de cette première
tentative bourgeoise d’unification européenne sont les
suivantes : « L’Europe unie » sous
le capitalisme ne peut être que réactionnaire ;
quel que soit le rapport de forces, il est possible de stopper ce
mouvement par la lutte des peuples.
2) L’Europe
de la Sainte Alliance
Les
peuples des pays asservis n’ont pas été les seuls
à se mobiliser contre la « construction
européenne » napoléonienne même si ce
sont eux qui ont constitué la « base d’offensive »
c’est-à-dire qui en ont payés le prix en martyrs.
Les classes dominantes des pays asservis ont, malgré de
multiples hésitations, résisté à la
« construction européenne » sous
domination française. Les marchands hollandais, les
producteurs de laines espagnols, les féodaux russes dominant
la production de bois, de suifs, de lins et de peaux, etc.
s’opposèrent également à cette « Europe
unie ».
Cependant,
ces mêmes classes dominantes des pays asservis, une fois la
victoire acquise, reprennent à leur compte l’idée
de « construire l’Europe ». Il s’agit
cette fois-ci de réprimer par la terreur la dynamique de la
lutte des classes développée au cours des luttes de
libération nationale du fait d’une composante
massivement populaire des Partisans. L’Europe de la Sainte
Alliance réprime ainsi dans le sang les luttes étudiantes
allemandes de 1819-1820, les mouvements sociaux de Naples et du
Piémont en 1820-1821 et d’Espagne en 1823. L’Europe
de la Sainte Alliance est une tentative de restauration féodale
contre à la fois les bourgeoisies montantes, les peuples en
lutte pour leurs droits nationaux et démocratiques et le tout
nouveau prolétariat qui commence à prendre conscience
de ses intérêts spécifiques. Une nouvelle fois,
cette Europe sera balayée par la lutte des classes :
révolution de 1830 en France et expulsion du roi de Hollande
de son trône en septembre 1830, etc.
Les deux conclusions de
Lénine sont une nouvelle fois confirmées par
l’histoire : l’Europe unie est inévitablement
réactionnaire et il est possible d’en sortir par la
lutte des classes.
B. L’Europe à
l’époque de l’impérialisme
Le
XXe siècle se caractérise par l’émergence
d’une puissance capitaliste nouvelle (l’Allemagne unifiée
par Bismarck) ayant des spécificités dans son processus
de développement. Cette nouvelle puissance impérialiste
sera à la base de deux tentatives d’unification
européenne : l’Europe antisoviétique de
Locarno et l’Europe nazie de Hitler.
1) L’apparition
de l’impérialisme allemand
Les liens entre l’Europe
et l’Allemagne sont particuliers et doivent être compris
pour saisir la place que prend ce pays impérialiste dans
toutes les tentatives de construction européenne du XXe
siècle et d’aujourd’hui.
A
la différence des autres pays capitalistes, l’Allemagne
ne possède pas au moment de son unification de colonies à
piller pour enclencher l’accumulation primitive de son capital.
C’est par le pillage guerrier de la France que seront réunis
les fonds débouchant sur une industrialisation accélérée.
C’est ce que souligne le camarade Staline : « c’est
par la victoire contre la France au cours des années 70 que
l’Allemagne accéléra sa propre industrialisation.
A cette époque, l’Allemagne extorqua 5 milliards de
francs d’indemnités aux français et les investit
dans sa propre industrie »[7]
et il ajoute dans une autre contribution que la spécificité
de l’industrialisation allemande est sa réalisation par
« des
victoires et des contributions de guerre prélevées par
un pays sur un autre »[8].
Le nouvel impérialisme
en développement rapide exige très vite sa part du
gâteau colonial, c’est-à-dire un repartage du
monde. Sur le plan idéologique, l’impérialisme
allemand justifie ses prétentions au nom du « pangermanisme »,
réunion dans un même Etat des populations de « langue
et de sang » allemand. Son objectif est d’unifier
l’Europe centrale autour d’elle et d’arracher à
la Russie de nouvelles colonies. Le repartage du gâteau
souhaité par l’Allemagne déboucha sur la première
boucherie impérialiste mondiale. La victoire de la révolution
bolchevique mit fin provisoirement à cette nouvelle tentative
d’unification européenne sous domination allemande.
Cette page d’histoire
nous amène à une troisième leçon :
« l’Europe unie »,
c’est inévitablement la guerre mondiale, à un
terme plus ou moins long en fonction des rapports de force.
2) L’Europe
anti-bolchevique et antisoviétique du pacte de Locarno
L’échec
des interventions militaires et du blocus contre la nouvelle
république soviétique attise la lutte des classes dans
les pays capitalistes, et les luttes de libération nationale
dans les colonies. Les bourgeoisies européennes tentent une
nouvelle unification sous direction anglaise pour détruire le
pays du socialisme : l’Europe du pacte
de Locarno
(signé en 1925). C’est ce caractère
anti-bolchevique et réactionnaire de Locarno que dénonce
le dirigeant du Parti communiste allemand Ernst Thaelmann au
Reichstag en 1925 : le pacte est « une
offensive diplomatique anglaise en vue de constituer en Europe un
bloc antisoviétique auquel l’Allemagne serait
incorporée »[9].
Les
partis communistes européens réunis à Bruxelles
en novembre 1925 appellent à lutter contre cette idée
« paneuropéenne » en la présentant
pour ce qu’elle est réellement : une machine de
guerre contre le prolétariat et l’URSS. Ils reprenaient
ainsi l’analyse de Lénine qui dans le texte cité
précédemment ajoutait : « Les
Etats-Unis d’Europe sont également possibles comme une
entente de capitalistes européens …Dans quel but ?
Dans le seul but d’étouffer en commun le socialisme en
Europe ».
La
haine de classe anti-bolchevique pousse les bourgeoisies anglaise et
états-unienne à relever l’impérialisme
allemand. Compte tenu de la situation géographique stratégique
de l’Allemagne, une guerre d’agression contre l’URSS
était inimaginable sans le relèvement de l’impérialisme
allemand. Des milliards seront ainsi investis en Allemagne et dès
1926, elle est autorisée à réorganiser sa
« défense », c’est-à-dire à
reconstituer son armée dans la prévision d’une
future guerre contre le pays du socialisme[10].
Pour préparer la guerre contre l’URSS, les « réformes »
se succèdent à un rythme accéléré :
création d’un cartel européen de l’acier en
octobre 1926, union douanière européenne en 1930, mise
en place d’une « Commission économique
franco-allemande » en 1931. Les discours de propagande de
cette époque ressemblent comme deux gouttes d’eau à
ceux que nous entendons aujourd’hui : « l’axe
franco-allemand comme centre de l’Europe », « la
paix garantie par l’entente entre les ennemis d’hier »,
etc. Dès cette époque, les partisans de « l’Europe »
sont les mêmes que ceux d’aujourd’hui : les
monopoles, les libéraux et les sociaux-démocrates[11].
Les conséquences sociales de cette union européenne des
monopoles ne se font pas attendre : dès 1927, l’Allemagne
compte deux millions de chômeurs, et en France l’indice
du chômage passe de 92 en juillet 1926 à 169 en mars
1927.
Tout progrès dans
la « construction européenne » est un
progrès de la concentration capitaliste, c’est-à-dire
une production massive de chômeurs.
3) L’Europe
fasciste de Hitler
La
haine de classe anti-bolchevique a conduit au relèvement de
l’impérialisme allemand par les classes dominantes des
autres pays européens et des Etats-Unis. La même haine
les conduira à soutenir Hitler, qui se présente comme
« défenseur de l’Europe ». Voici
ce qu’il déclare dans un discours radiodiffusé
dès 1931 : « 6
millions de communistes en Allemagne, c’est le danger
communiste pour l’ensemble de l’Europe. C’est en
Allemagne que sera livrée la bataille décisive. Notre
pays est appelé à sauver l’humanité de la
peste bolchevique »[12] .
L’Europe
anti-bolchevique engendre le nazisme, qui se retournera ensuite
contre ses géniteurs. Toutes les flatteries et félicitations
idéalistes à Hitler n’empêcheront pas
celui-ci de se retourner contre la France et l’Angleterre. Les
contradictions inter-impérialistes reprennent le premier plan
dès que l’Allemagne pense être en mesure de battre
ses « alliés » pour se retourner ensuite
contre l’URSS. A son tour, Hitler tente une nouvelle
unification européenne par la guerre et la barbarie. Les
peuples du monde entier ont été sauvés de cette
Europe nazie par la lutte implacable de l’URSS de Staline.
Nous devions rappeler
ces dimensions historiques dans la mesure où elles permettent
de saisir le caractère inévitablement réactionnaire
de toute « construction européenne » à
l’époque du capitalisme. Les mêmes arguments de
préservation de la « paix », de
« nécessité économique »,
de contre-poids à une autre puissance, etc. ont accompagné
les différentes tentatives de construction européenne
sous la domination de telle ou telle puissance bourgeoise au 19e
siècle et impérialiste au 20e siècle.
A chaque fois, ces tentatives de construction européenne ont
été réactionnaires, porteuses de guerres, de
chômage massif et d’oppression des pays faibles et
dépendants. A chaque fois, les discours de l’inéluctabilité
de la construction européenne ont été démentis
par la lutte, soit des mouvements nationaux, soit du prolétariat.
A chaque fois, la lutte des classes a montré qu’il était
possible et nécessaire de « sortir de l’union
européenne » quel que soit son degré
d’avancée.
II.
L’EUROPE REACTIONNAIRE ACTUELLE
La
fin de la seconde guerre mondiale se caractérise à la
fois par un prestige sans précédent de l’URSS,
principal acteur de la défaite du nazisme, et par un
changement de leadership au sein du monde impérialiste.
Pendant que les prolétariats de l’ouest et les peuples
colonisés regardent vers l’URSS et le camp
socialiste, les cartes se redistribuent en faveur des USA au sein du
camp impérialiste. A la fin de l’année 1946, les
indicateurs économiques indiquent nettement la place nouvelle
des USA au sein du camp impérialiste : l’indice de
production industrielle des USA indique 146 pour une base 100 en
1937, contre 70 pour les pays capitalistes d’Europe.
A) Une Europe antisoviétique
sous domination états-unienne
L’impérialisme
états-unien, comme au sortir de la première guerre
mondiale, est intéressé au relèvement de
l’Europe pour s’opposer au « bolchevisme ».
Les bourgeoisies européennes pour leur part sont contraintes
par la lutte de classe et la victoire de l’URSS à des
concessions aux forces populaires dirigées par les partis
communistes. Elles sont dans le même temps effrayées par
le poids de ces partis qui ont dirigé la résistance
contre le nazisme. Elles préparent déjà la
contre-offensive. Comme le souligne Jdanov en 1947, les 13 milliards
du plan Marshall visent à créer une Europe
anti-bolchevique sous domination US :
« Le
fond des formules voilées, embrouillées
intentionnellement, du « plan Marshall »
consiste à former un bloc d’Etats liés aux USA
par des engagements et à offrir aux Etats européens des
crédits américains en paiement à la renonciation
à leur indépendance économique et ensuite à
leur indépendance politique (…). L’essentiel du
plan Marshall est donc de reconstruire les régions dévastées
d’Allemagne occidentale contrôlées par les
monopoles américains »[13] .
Jdanov
dénonce le plan Marshall et la doctrine Truman comme deux
volets d’un même objectif : construire une Europe
antisoviétique pour servir les intérêts
hégémoniques de l’impérialisme US. Dès
1948 est créée l’Organisation Européenne
de Coopération Economique (OECE qui deviendra en 1960 l’OCDE),
avec pour tâche la gestion de la répartition et de
l’utilisation de l’aide US. Le 4 avril 1949, l’OTAN
est mise en place à Washington comme « frontière
de défense collective », c’est-à-dire
d’attaque collective contre le camp socialiste. En 1949
toujours est fondé le « Conseil de l’Europe »
ayant pour but de préparer l’union politique des états
membres.
La
préoccupation antisoviétique pousse les bourgeoisies
européennes et états-unienne à soutenir et
encourager une nouvelle fois la reconstruction de l’impérialisme
allemand. Toutes les décisions de la fin des années 40
et des années 50 sont incompréhensibles si on ne tient
pas compte de cette volonté d’une Europe antisoviétique
sous direction US : absence de dénazification dans les
zones occidentales de l’Allemagne occupée, unification
des trois zones allemandes sous contrôle occidental (qui
conduira à la création de la RFA dans ces zones en mai
1949), recouvrement par les monopoles allemands ayant soutenu Hitler
de la propriété de leurs entreprises, intégration
de la RFA dans le Conseil de l’Europe, création de la
CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier)
en 1951, tentative de création d’une « Communauté
Européenne de Défense » (CED - qui fut mise
en échec en 1954 par le vote NON à l’Assemblée
Nationale des députés communistes et gaullistes),
autorisation pour la RFA de se doter d’une nouvelle armée
nationale et intégration dans l’OTAN en 1955 (qui
conduit l’URSS à mettre en place une alliance militaire
défensive : le Pacte de Varsovie), etc.
L’Union
Européenne actuelle a pour géniteur l’impérialisme
US et pour objectif initial la destruction du camp socialiste. Dès
sa naissance, c’est une Europe de guerre, une Europe
réactionnaire, une Europe antisoviétique, une Europe
anti-ouvrière, une Europe anti-mouvements de libération
nationale.
B)
Les débuts des contradictions euro/états-uniennes
Comme
l’avait cependant annoncé Staline en 1952, la loi du
développement inégal allait diviser de plus en plus les
alliés d’hier que sont les bourgeoisies européennes
et états-unienne[14].
Dès 1949, la production européenne a rattrapé
celle de 1937, c’est-à-dire que les bourgeoisies
européennes ont retrouvé leurs bases économiques.
En 1953, le volume de production européen dépasse de 13
points celui des USA. De 1953 à 1958 la production européenne
croît de 5,6% par an pour une croissance états-unienne
de 0,6% l’an.
La loi du développement
inégal produit ainsi une nouvelle contradiction
euro/états-unienne, dans un premier temps contenue par
l’existence de l’URSS, mais qui se déploiera
entièrement dès la disparition de celle-ci.
La victoire du
révisionnisme khrouchtchévien en URSS, à partir
de 1956, encourage l’émergence de ce bloc européen
impérialiste qui tout en se détachant peu à peu
des USA lui reste lié. Mais tant que l’URSS n’est
pas entièrement détruite, les bourgeoisies européennes
hésitent à se détacher des USA.
C’est ce qui
explique à la fois la création de la CEE par six pays
européens en 1957 comme indicateur d’une volonté
de construire un nouveau bloc impérialiste (c’est le
pôle « exacerbation de la contradiction »
avec les USA) et dans le même temps les actes d’allégeance
à l’impérialisme états-unien (c’est
le pôle « unité de la contradiction »
lié à l’existence de l’URSS).
En 1958, une étape
nouvelle est franchie par la décision des pays européens
d’introduire la convertibilité de leurs monnaies avec
l’or alors que jusqu’à présent et depuis la
fin de la seconde guerre mondiale, seul le dollar était
considéré comme moyen de paiement international du fait
de sa convertibilité en or. Désormais, le dollar n’est
plus l’unique moyen de paiement international, ni le seul moyen
d’accumulation des stocks en devises. Les monopoles européens
se situent par cette mesure au même niveau que les monopoles
états-uniens. Cette première phase de la construction
européenne est politiquement pilotée par la France
impérialiste dirigée par De Gaulle.
Dans le même temps
où les bourgeoisies européennes s’engagent dans
la construction d’un nouveau bloc impérialiste
indépendant des USA et opposé à l’impérialisme
US, la lutte devient acharnée pour la domination de ce nouveau
bloc impérialiste, en particulier entre l’Allemagne et
la France. Chacune des bourgeoisies européennes confie à
son Etat le mandat de restructurer l’appareil de production
pour le rendre compétitif au sein de la « nouvelle
Europe » face aux concurrents que constituent les
autres bourgeoisies européennes.
En France, dans les
années 70, le Ve plan prévoit la
restructuration de l’appareil de production : mesures
fiscales pour favoriser la concentration et les fusions entre grandes
entreprises afin de faire émerger des monopoles français
de taille européenne, distributions de milliards de
subventions pour accompagner ces fusions et restructurations, aide à
l’absorption de Trefimétaux par Péchiney puis à
la fusion avec Ugine Kuhlman (qui possède désormais
toute la filière aluminium, de l’extraction de la
bauxite à la production des tubes d’aluminium), aide à
l’absorption de Lorraine-Escaut par Usinor, aide à la
naissance de Sacilor en 1974, etc.
Pour prétendre à
un rôle dominant au sein de la « nouvelle Europe »,
la bourgeoisie française restructure l’appareil de
production, autrement dit licencie massivement avec l’argent du
contribuable. Le chômage massif qui débute dès la
fin de la décennie 60 n’est pas le résultat du
soi-disant « choc pétrolier » de 1973,
mais un mouvement durable et consciemment construit par la
bourgeoisie française et son Etat pour se placer en situation
dominante face au concurrent allemand dans la construction de cette
Europe capitaliste. Ainsi entre juillet 1967 et mai 68 (c’est-à-dire
bien avant le « choc pétrolier » de
1973), le chômage passe de 300 000 personnes à 600 000.
Avant même la chute du mur de Berlin, les pays coloniaux ou
semi-coloniaux d’une part et les travailleurs d’Europe
d’autre part ont vu leurs conditions d’existence
particulièrement attaquées : en Afrique,
intervention au Congo pour le cuivre, au Tchad pour l’uranium,
au Sahara occidental pour le fer et le phosphate, etc.; dans la
métropole, plan acier connu sous le nom de plan Davignon se
traduisant par 100 000 licenciements en Europe et 40 000 en France,
plan de la construction navale, plan des fibres synthétiques,
ruine massive des agriculteurs, etc. Les années 70 sont celles
de l’avancée systématique de la « construction
européenne » qui signifie également
production volontaire d’un chômage massif.
Toutefois
l’impérialisme français, malgré sa
politique dite de « redéploiement industriel »,
n’avait « pas
assez développé les industries sophistiquées
incorporant beaucoup de travail hautement qualifié. Dans ces
secteurs à haute technicité, elle (la
France) souffre
d’un déficit par rapport aux grands pays industriels
avancés (Etats-Unis,
Allemagne, Japon). Elle
s’est au contraire beaucoup trop spécialisée dans
des activités faisant largement appel à une
main-d’œuvre peu qualifiée d’OS
(ouvriers spécialisés) »[15].
Le repositionnement économique de l’impérialisme
français dans le cadre de l’Union Européenne
nécessitait donc une restructuration industrielle, une
adaptation de l’appareil de production qui sera conduite à
partir de 1981 par le pouvoir social-démocrate PS flanqué
du PCF révisionniste, et la cohabitation. C’est depuis
lors le chômage et la précarité de masse.
La seconde phase de la
« construction européenne » est marquée
par le rôle pilote de l’impérialisme allemand.
« L’Ostpolitik » — la politique
vers l’Est — définie par Willy Brand au tournant
des années 70 s’est traduite par la signature de l’acte
final en 1975 à Helsinki de la Conférence sur la
sécurité et la coopération en Europe (C.S.C.E.)
jusqu’à… l’adoption de la « Charte
pour une Nouvelle Europe » à Paris en 1990.
L’impérialisme allemand (RFA), fort de son poids
économique, impose alors l’annexion de la RDA et
l’implosion de la Yougoslavie. Le continent européen,
qui aura vécu des décennies de paix après 1945,
connaît à nouveau la guerre avec l’agression de
l’Etat yougoslave par l’OTAN. Les bourgeoisies
européennes, notamment allemande à travers
« l’Ostpolitik » ont joué un rôle
majeur et décisif dans le processus qui a conduit à la
défaite et à la restauration du capitalisme en URSS et
dans les Démocraties Populaires de l’Est.
L’Union Européenne
actuelle, c’est à la fois l’exacerbation de la
concurrence avec les USA et une rivalité entre les
bourgeoisies européennes en général et entre les
bourgeoisies françaises et allemandes en particulier pour la
domination du nouveau bloc impérialiste. L’aiguisement
de ces rivalités pour arracher l’hégémonie
en Europe s’est fait, se fait et se fera par une exploitation
plus dure de chaque classe ouvrière.
C. Le nouveau bloc impérialiste
européen
La disparition de l’URSS
et du camp socialiste accélère la construction
européenne avec le même résultat aggravé :
la destruction de tous les acquis des travailleurs et la production
d’un chômage structurel. C’est la mise en place du
« couple franco-allemand » pilote de la
troisième phase qui voit éclater de plus en plus au
grand jour les contradictions inter-impérialistes
euro/étatsunienne.
L’Acte unique
européen en 1986, le traité de Maastricht en 1992, la
mise en place de l’Euro, l’élargissement actuel à
dix nouveaux pays, la mise en place de l’armée
européenne, le projet de constitution européenne, tout
cela constitue autant d’étapes dans le processus
d’émergence d’un nouveau bloc impérialiste,
d’un Etat impérialiste européen à ambition
hégémonique. Chacun de ces pas reflète et
exacerbe la contradiction avec les USA, c’est-à-dire
rapproche l’échéance d’une nouvelle
conflagration mondiale. Chacun de ces pas se traduit par la
multiplication des guerres locales pour la maîtrise des sources
d’énergies et de matières premières,
c’est-à-dire une paupérisation massive, une
re-colonisation et une désintégration des pays
ex-coloniaux, semi-coloniaux et dépendants. Chacun de ces pas
se traduit par une concurrence accrue entre les bourgeoisies
européennes, c’est-à-dire par une exploitation
aggravée de chacune des classes ouvrières
« nationales ».
Sur
ces mouvements de fonds liés à l’infrastructure
matérielle des pays européens se développe une
nouvelle superstructure idéologique à base de racisme
et d’eurocentrisme chauvin, et le projet en cours d’édification
accélérée d’un Etat impérialiste à
ambition hégémonique. Pour détourner les colères
populaires, les bourgeoisies européennes diffusent subtilement
mais consciemment l’idée d’une « Europe
blanche et chrétienne, gardienne de la civilisation »
s’opposant à la fois aux « barbares »
du Sud (et à leurs représentants ici, les immigrés
légaux, les sans-papiers, les musulmans) et à
l’hégémonisme états-unien.
Un seul mot d’ordre :
SORTIR
DE L’UNION EUROPEENNE !
L’Union Européenne
n’en est pas à sa première tentative
d’unification. Ces tentatives ont toujours été,
depuis le début du capitalisme, des tentatives réactionnaires
liées aux profits de telle ou telle bourgeoisie qui prétendait
à la domination. Chaque fois la lutte des classes a défait
ces tentatives de « construction européenne ».
Non seulement il est possible de sortir de l’Europe mais cela a
été, chaque fois, une réalité lorsque les
travailleurs et les peuples sont montés à l’offensive
pour défendre leurs intérêts. Aujourd’hui
encore, « l’Europe » c’est la
guerre, la régression sociale et la destruction de la
souveraineté nationale. L’objectif ne peut donc pas être
une « Europe sociale », une « Europe
citoyenne », une « Europe des travailleurs »
ou toute autre baliverne des « euro-constructeurs »,
rabatteurs trotskistes, sociaux démocrates, verts
et révisionnistes mutants.
Sortir de l’Union
Européenne est toujours possible et nécessaire !
Le
15 avril 2004
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