ELECTION DE LULA AU BRESIL
Mettant
fin à la succession des gouvernements libéraux depuis
1990, le peuple brésilien vient de porter Luiz Ignàcio
Lula da Silva du Parti des Travailleurs à la présidence
de la République. Lula est le symbole politique du Forum
Social de Porto Alegre, de la lutte des paysans sans terre, des
syndicats ouvriers qu’il a dirigé dans les années
70/80, de l’implication des milieux populaires dans la
« gestion participative » à
l’administration de Municipalités, de l’exigence
de l’annulation de la dette, etc. Mais ce symbole résistera
t-il à l’épreuve du pouvoir ? N’est-ce
pas là une nouvelle étape pour frayer la voie à
l’alternative ouvrière, populaire et anti-impérialiste
?
Le
Brésil, dixième pays le plus riche, mais dont le peuple
est si pauvre !
De
par son Produit Intérieur Brut (PIB) le Brésil fait
partie du G20, c’est-à-dire des 20 pays les plus riches
du monde. Des décennies de dictatures militaires ont cédé
la place, à partir de 1985, à des coalitions civiles
libérales et social-démocrates chargées
d’exécuter les politiques décidées à
Washington, Londres, Paris, Bonn et Tokyo. La crise de la dette
commencée en 79/80 va précipiter le Brésil comme
la plupart des pays du tiers monde dans l’ornière des
plans d’ajustement structurel dictés par le FMI et la
Banque Mondiale. Les conséquences de cette mainmise des
institutions de Bretton Woods sont éloquentes :
« La crise financière a entraîné 2
emprunts au FMI – l’un de 10 milliards de dollars [plus
de 6 milles milliards de francs CFA], l’autre de 30
milliards de dollars [plus de 19 milles milliards de francs
CFA] (…) le service de la dette publique représente
plus de 32,7 milliards d’euros par an. En 2002, 2003, et 2004,
le Brésil aura besoin de 1,02 milliards d’euros
[plus de 669 milliards de francs CFA] par semaine pour financer
l’amortissement d’une dette extérieure de 30,6
milliards d’euros et d’un déficit du compte
courant de 20,4 milliards d’euros [plus de 13 milles
milliards de francs cfa], alors que jusque là, les flux
s’élevaient à 20,4 milliards d’euros par
an » (Le Monde Diplomatique, octobre 02). Les
politiques libérales imposées par le diktat du FMI et
de la BM impliquent que « les dépenses
d’éducation (qui) représentaient 20,3% des
recettes courantes en 1995, ne comptent plus que pour 8,9% en 2000 ;
le paiement des intérêts de la dette, qui absorbait
24,9% des recettes, en détourne aujourd’hui 55,1% »
(idem). Sur le plan social, « si en 1991, 53,7% des
travailleurs avaient pris pied dans l’économie formelle
et accédé aux droits que confère un contrat de
travail, ils ne sont plus que 45% en 2000. Les 55% restants
s’activent dans l’économie parallèle » (idem).
Le Brésil est devenu de ce fait un concentré explosif
de terribles maux sociaux engendrés par le capitalisme en
crise : chômage généralisé et
chronique, misère endémique, narcotrafic, trafic
d’organes humains, d’enfants, maladies, violences
urbaines, escadrons de la mort -véritables milices des
riches-, foisonnement de sectes religieuses, etc. En outre, la
discrimination raciale, dont la source réside dans l’esclavage
et la traite des noirs, perdure, fortement amplifiée par la
crise économique et sociale : les noirs forment 45% de la
population, mais constituent 65% des 30 millions de brésiliens
qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Lula
devra choisir de satisfaire la bourgeoisie ou les travailleurs
Le
Parti des Travailleurs (PT) de Lula vient historiquement de la
conjonction de deux forces sociales : à la fois le
mouvement syndical - Lula a été dirigeant de la
Centrale Unique des Travailleurs (CUT) du Brésil dans les
années 70/80 - et le Mouvement des Paysans Sans Terre (MST)
apparus dans les années 80. Mais, après trois échecs
aux présidentielles de 1989, 1994 et 1998, Lula s’est
peu à peu éloigné des luttes et revendications
radicales des ouvriers et des paysans sans terre. Lula a ainsi peu à
peu troqué son alliance politique avec les forces sociales
ouvrières et paysannes contre une alliance avec des sections
nationalistes de la bourgeoisie brésilienne représentée
par le parti libéral de José Alencar. Le projet de Lula
est un « partenariat entre syndicats ouvriers,
mouvements paysans et patrons », pacte social entre le
capital et le travail qu’il a expérimenté dans la
gestion municipale en utilisant « la transparence et la
démocratie participative ». Dans un Brésil
où le cancer de la corruption, de la gabegie, du népotisme
gangrène toute la classe politique de la droite libérale
à la social-démocratie officielle, la « démocratie
participative » modélisée par le Forum
Social de Porto Alegre est en effet objectivement un progrès.
L’alliance du PT de Lula et d’une fraction importante de
la bourgeoisie brésilienne a conduit le PT et Lula à
présenter « un programme dont la dominante est
la consolidation du marché intérieur. Si davantage de
gens voient leur salaire augmenter, ils pourront acheter mes
produits… j’applaudis Lula lorsqu’il dit que le
pays doit accomplir des progrès afin d’être en
mesure de limiter les importations » commente un
directeur d’une société d’informatique de
l’Etat de Rio de Janeiro. En effet, des fractions plus ou moins
importantes de la bourgeoisie nationale dans les pays opprimés
sont confrontées au choix entre la soumission et la résistance
face aux exigences prédatrices de l’impérialisme
en crise, mais aujourd’hui totalement libéré par
la mise à mort temporaire du socialisme, de l’URSS.
L’élection
de Lula inquiète l’impérialisme US
Dans
le journal ouvrier et populaire québécois
L’aut’journal, on peut lire les déclarations
suivantes d’Allan Greenspan, président de la Réserve
Fédérale des USA : « Le problème
du Brésil est à 100% politique ». L’un
des patrons brésiliens très lié aux milieux du
FMI et de la Banque Mondiale devait ajouter : « Le
capital a peur, les capitaux étrangers vont fuir ».
Même si Lula a cessé de critiquer le FMI, la Banque
Mondiale et l’ALCA (aire de libre commerce) imposé par
les USA et faisant du Brésil « un marché
ouvert » aux capitaux US, le New York Times, journal
des milliardaires américains, criait à « la
menace d’effondrement de la 10e
économie du monde avec sa dette de 264 milliards de dollars
[plus de 173 milles milliards de francs CFA] (le double de
l’Argentine) » (Courrier International, 31
octobre au 6 novembre 2002). C’est à un véritable
délire que se livrent certains milieux impérialistes
des USA face à la victoire de Lula. Un ex-conseiller de Ronald
Reagan écrit dans le Washington Times : « Une
nouvelle menace terroriste constituée d’armes nucléaires
et de missiles balistiques peut provenir d’un axe qui comprend
Cuba de Fidel Castro, le régime d’Hugo Chavez au
Venezuela et le président gauchiste du Brésil, qui tous
entretiennent des liens avec l’Iran, l’Irak et la Chine »
(idem). Le cauchemar des impérialistes est en effet qu’un
« axe Castro – Chavez - Lula signifierait
associer les quarante trois ans de guerre politique de Fidel Castro
contre les Etats-Unis avec la richesse pétrolière du
Venezuela et avec le potentiel nucléaro-balistique et
économique du Brésil ». La pression
états-unienne a même poussé Lula a insister lors
de la campagne électorale sur le fait que le PT soit
« pacifiste et donc opposé à la
construction de la bombe atomique de la part du Brésil ou de
tout autre Etat » (idem). Les impérialistes
voient d’un très mauvais œil l’alliance
montante possible entre le mouvement anti-globalisation en occident
et les résistances nationales montantes dans le tiers monde
contre le « nouvel ordre mondial »
impérialiste : « M. Lula Da Silva ne fait
pas mystère de ses sympathies. C’est un allié de
M. Castro depuis plus de vingt cinq ans. Avec le soutien de M.
Castro, il a fondé en 1990 le Forum de Sao Paulo, un sommet
annuel qui rassemble des organisations communistes et autres groupes
radicaux et terroristes d’Amérique Latine, d’Europe
et du Moyen-Orient. Ces sommets ont servi à coordonner et à
planifier les activités terroristes et politiques dans le
monde et contre les Etats-Unis » (idem). Le Brésil
de Lula est à ajouter manifestement à « l’axe
du mal » dixit Washington.
Lénine
avait déjà analysé que l’impérialisme
est l’ère du « maintien artificiel du
capitalisme à l’aide de colonies, de monopoles, de
privilèges et d’oppression nationale ».
Cette tendance fondamentale pousse l’impérialisme à
attaquer le droit à la souveraineté nationale, à
l’indépendance nationale des peuples. En effet, le
« nouvel ordre mondial » US laisse peu
de choix aux différentes sections de la bourgeoisie nationale
des pays opprimés : ou capituler et se mettre aux ordres
des maîtres impérialistes ou en revenir, jusqu’à
un certain point tout au moins, à la défense de
l’intérêt national. Nous sommes loin de
l’utilisation par les bourgeoisies nationales de l’opposition
entre le capitalisme et le socialisme, les USA et l’URSS, comme
cela se faisait parfois dans la période du monde bipolaire.
L’élection de Lula au Brésil est partie prenante
de la montée cette résistance nationale. Dans ce
contexte la montée parallèle des contradictions
inter-impérialistes peut être utilisée jusqu’à
un certain point pour résister, dans un contexte où le
rapport des forces est largement favorable à
l’impérialisme.
Pour
l’unité de la résistance au Nord et au Sud contre
le « nouvel ordre mondial »
impérialiste
Ainsi
l’élection de Lula participe au mouvement de plus en
plus perceptible de contestation du « nouvel ordre
mondial » impérialiste, notamment l’hégémonisme
américain. Les résistances sociales et nationales
momentanément tétanisées par la chute du mur de
Berlin, la défaite du socialisme, de l’URSS, ont
commencé à se relever en particulier contre les
conséquences économiques, sociales, écologiques
et anti-nationales catastrophiques. Le mouvement anti-mondialisation,
qui a réussi à organiser des contre-manifestations
massives à tous les sommets des impérialistes depuis
Seattle, doit développer le rapprochement et la solidarité
internationaliste avec les résistances nationales des Etats et
des peuples sous domination impérialiste. Ces
résistances prennent de multiples formes :
·
Les impérialistes ont pensé que les
régimes socialistes restants s’effondreraient mais les
dirigeants de ces pays, notamment cubains et nord-coréens,
sont restés liés aux masses et préservent leur
indépendance nationale.
·
De même, des dirigeants confrontés
aux agressions coloniales des impérialistes ont pris le chemin
de la résistance nationale. C’est la voie prise par
Slobodan Milosevic qui continue de défier les impérialistes
au TPI et retourne son procès en procès de
l’impérialisme. La politique de Mugabe de remise des
terres des fermiers blancs aux noirs, au Zimbabwe, fait partie de ce
mouvement. Le sommet de Johannesburg a été une tribune
pour dénoncer l’esclavage comme crime contre l’humanité,
exiger des réparations, pour dénoncer le sionisme comme
une des pires formes du racisme. A Johannesburg, A. Wade s’est
situé ouvertement dans le camp de la soumission aux
impérialistes.
·
La guerre contre la Yougoslavie a provoqué
une nouvelle forme d’opposition. En effet, cette agression a
montré que les impérialistes s’apprêtent à
balkaniser tous les pays multinationaux (la quasi-totalité des
pays) ce qui provoque un mouvement d’opposition chez de
nombreux gouvernements (russe, chinois, brésilien, indien...),
expression de la montée de l’opposition à
l’hégémonisme américain au sein des
peuples, y compris donc parmi les plus liés aux impérialistes
en général et aux Etats-Unis en particulier.
·
La résistance se manifeste chez de plus en
plus de peuples. Des luttes armées progressistes se
poursuivent aux Philippines, au Népal, en Colombie sous la
direction des FARC pour ne citer que ces exemples.
·
La résistance la plus symbolique est la
nouvelle Intifada des Palestiniens, qui montre à tous les
peuples du monde qu’un peuple uni
même très faiblement armé peut s’opposer à
une armée sioniste qui a le soutien inconditionnel des USA.
·
Le régime irakien et son peuple continue à
s’opposer courageusement au diktat des Etats-Unis, à
l’embargo qui y a fait plus d’un million de morts et à
la guerre d’agression en préparation.
·
Le processus en cours de la recolonisation fait
cohabiter à la fois les « marécages
de l’histoire » (le génocide
au Rwanda, la guerre d’occupation réactionnaire du
Rwanda et de l’Ouganda soutenus par les impérialistes
Yankees au Congo de Lumumba et de Mulélé, la menace
intégriste islamiste en Algérie et la guerre civile
réactionnaire qui menace de faire imploser la Côte
d’Ivoire) et les résistances sociales et nationales
montantes multiples et diverses.
·
Les rivalités intestines entre les
impérialistes pour le profit maximum les poussent à
mener des politiques de plus en plus réactionnaires, au niveau
social, démocratique, national et provoquent de plus en plus
de résistances.
·
Les forces révolutionnaires et
anti-impérialistes conséquentes doivent participer aux
mobilisations populaires et nationales pour contribuer à
affaiblir les impérialistes et préparer ainsi
l’avènement de véritables alternatives ouvrières
et populaires.
|