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Crise du système impérialiste mondial, exacerbation des contradictions et guerre inter-imperialiste

Contribution au Séminaire Communiste International

Tous les continents sont maintenant touchés par la crise du mode de production capitaliste

Le Cercle Henri Barbusse soumet ce texte au débat dans le cadre du séminaire Communiste International organisé annuellement par les camarades du PTB (2-4 mai 2002). Il est donc soumis à la critique des participants à ce forum.

Ce texte pointe des facteurs essentiels s’ajoutant au fur et à mesure des conflits qui se succèdent depuis la défaite du socialisme et la disparition de l’URSS, éléments du conflit majeur en préparation entre l’impérialisme américain et l’impérialisme européen en construction.

Le Cercle Henri Barbusse poursuit bien entendu le travail d’élaboration théorique sur la question fondamentale de la crise de l’impérialisme et la guerre mondiale inter-impérialiste vers laquelle l’exacerbation des contradictions inter-impérialistes conduit l’humanité.

La chute du mur de Berlin a signifié l’accélération du processus de contre-révolution mondiale en œuvre depuis déjà plusieurs décennies du fait du révisionnisme au pouvoir dans les pays de l’Est. La disparition des pays socialistes à l’Est débouche sur une disparition des équilibres issus de la seconde guerre mondiale. L’histoire nous apprend que la disparition d’un équilibre entre puissances débouche toujours sur une nouvelle guerre visant à instaurer un nouvel équilibre déterminé par le nouveau rapport de force. Contrairement au discours sur le « nouvel ordre mondial » nous sommes entrés dans une période de menaces lourdes pour les peuples, une période de guerres annonciatrices d’une conflagration entre puissances impérialistes.

1)    CRISE DE L’IMPERIALISME ET GUERRES

L’ensemble de la planète est touché par une crise de surproduction chronique. Celle-ci se traduit par des périodes de stagnation de plus en plus longues suivies de périodes de reprises économiques de plus en plus brèves. Dans ce contexte, chaque impérialisme tente de se placer au mieux dans la lutte pour la nouvelle répartition des marchés, c’est à dire dans la lutte pour le repartage impérialiste du monde. Il ne s’agit pas simplement d’un choix guerrier des dirigeants des principales puissances impérialistes, mais de la logique impitoyable du mode de production capitaliste.

En effet, le système impérialiste mondial est confronté à une baisse tendancielle du taux de profit moyen. Comme l’a souligné Marx, les contre-tendances à cette loi sont à rechercher inévitablement dans la revalorisation du capital, c’est à dire dans la destruction des forces productives en excès (prolétaires, moyens de productions, etc.)[1] . Chaque impérialisme tente de revaloriser son capital et d’accroître son taux de profit au détriment de ses concurrents par la conquête de marchés détenus auparavant par les autres impérialismes. Au delà de l’unanimité apparente qu’a affichée le système impérialiste mondial au moment des guerres contre l’Irak et la Yougoslavie, les contradictions s’aiguisent et les intérêts s’opposent.

Le 20 août 2002, c’est à dire 22 jours avant le 11 septembre, la Une du New York Times était consacrée au danger d’une nouvelle stagnation mondiale de grande ampleur : « Les plus récentes statistiques économiques de partout dans le monde montrent que plusieurs puissances économiques (l’Italie et l’Allemagne, le Mexique et le Brésil, le Japon et Singapour), font maintenant face à la stagnation économique, ce qui annule l’espoir que la croissance dans d’autres pays aiderait à compenser le ralentissement aux Etats-Unis ». Les trois pôles actuels du système impérialiste mondial, les Etats-Unis, le Japon et l’Europe sont simultanément touchés par le ralentissement. Le spectre d’une récession mondiale hante les dirigeants du système impérialiste mondial. Jamais depuis ce que les économistes bourgeois ont appelé le « choc pétrolier de 1973 » le recul des taux de croissance n’a été aussi important pour les principaux pays impérialistes. A la différence de 1973, il n’y a pas une « cause extérieure » déterminante qui pourrait faire espérer (après son élimination) une relance rapide. La chute a été particulièrement brutale compte tenu des taux de croissance élevés l’année précédente. En réalité nous sommes passés rapidement de l’euphorie économique à la chute vertigineuse. En effet, l’économie US (qui représente plus de 25 % de la production et de la demande mondiale) a connu une hausse de son PIB limitée à 1,3 % au premier trimestre 2001, puis à 0,3 % au second et le PIB a encore baissé de 0,4 % au troisième trimestre. La récession sévit également en Europe et en particulier en Allemagne et en France. 250 000 emplois ont été supprimés en Europe et aux Etats-Unis dans le seul secteur des télécommunications. L’économie japonaise est en crise depuis plus d’une décennie. La croissance du commerce mondial a chuté de 13,3 % en 2000 à un peu plus de 1% en 2001. Aux Etats-Unis les signes annonciateurs de la crise sont particulièrement éloquents :

- Recul depuis plus d’un an dans la haute technologie et l’industrie manufacturière ;

- Augmentation importante du chômage (le taux de chômage passe de 4,5 % à 4,9 % en un seul mois selon le rapport du département du travail pour le mois d’août, c’est à dire la suppression de près d’un million de postes de travail en un an) pour tous les secteurs de l’économie ;

- Devant le danger d’une chute de la consommation les investisseurs se sont empressés de vendre leurs actions faisant poindre une crise boursière ;

La nouvelle crise mondiale qui s’annonce n’est que la généralisation d’un processus qui a d’abord débouché sur des crises financières locales : crise mexicaine en 1994 - crise en Asie en 1997 - crise du Brésil et de l’Argentine en 1998 - crise Russe en 1999 - nouvelle crise Argentine, etc.

La multiplication de ces crises financières conduit d’ailleurs le G7 à la mise en place du G20, le 25 septembre 1999, regroupant les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales des 19 nations « stratégiques », un représentant de l’Union Européenne et les directions du FMI et de la Banque mondiale. En fait, la mise en place du G20 est un indicateur de la crise et de la concurrence acharnée qu’elle produit. La baisse tendancielle du taux de profit accélère la crise de valorisation du capital. Chaque entreprise capitaliste, chaque état, chaque groupe d’états entre en concurrence acharnée avec les autres pour valoriser son capital au détriment des autres.

Cette concurrence n’empêche pas une unité sur les besoins communs : réduire le coût des forces de travail nationales afin d’accroître le taux de profit : dérégulation, remises en causes des acquis sociaux, baisse des budgets sociaux, etc. Les conférences internationales de type G7 ou G20 expriment une contradiction ayant les deux pôles suivants comme composantes : Un pôle d’unité entre puissances pour faire payer la crise aux travailleurs et aux peuples / Un pôle d’opposition dans une concurrence de plus en plus acharnée pour le repartage du monde.

Derrière les discours unitaires de façade, c’est l’éclatement de l’OTAN qui s’annonce à terme. Nous ne sommes pas dans un processus d’unification de l’impérialisme comme pourrait le faire croire le slogan erroné de « mondialisation » (qui est de plus en plus utilisé en remplacement du concept marxiste-léniniste d’impérialisme)[2].

Le danger d’une crise de grande ampleur intervient également dans un contexte international particulier. Après l’unanimité imposée au monde et aux concurrents impérialistes au cours de la guerre du Golfe, des remises en causes commencent à poindre : 1) les sanctions économiques contre l’Irak sont de moins en moins respectées par des Etats de plus en plus nombreux ; 2) la Chine, la Russie, la France et l’Allemagne critiquent ouvertement les USA sur leur volonté de maintenir l’embargo ; 3) le conseil de sécurité de l’ONU refuse sur plusieurs grandes questions les résolutions proposées par les USA ; 4) des oppositions publiques et ouvertes se font jour au sein de l’OTAN sur plusieurs questions : défense anti-missile, réchauffement de la planète, etc. 5) La contestation mondiale des peuples monte contre les grands sommets de l’impérialisme (Seattle, Gênes, etc.).

C’est dans ce contexte global qu’il faut resituer les attentats du 11 septembre et l’agression impérialiste contre l’Afghanistan et le soutien inconditionnel de Bush à l’offensive de destruction de la résistance palestinienne par Sharon. La guerre d’Afghanistan est, après celles du Golfe et de la Yougoslavie, une étape dans la création des conditions, sur les fronts intérieurs et extérieurs, permettant à l’impérialisme US de maintenir sa domination sur le monde face à la colère montante des peuples et aux prétentions également impérialistes de ses concurrents. Cette guerre en annonce d’autres inévitablement.

La stratégie US est, depuis la crise des Balkans, offensive. Elle a permis à l’impérialisme US de remporter deux victoires : l’une au Moyen-Orient et l’autre dans les Balkans. Les axes principaux de cette stratégie sont :

-          Le continent américain qu’ils veulent garder comme « chasse gardée » tant au niveau économique que militaire. C’est à cela que sert le bloc économique qu’est l’ALENA. La hargne contre Cuba est issue du fait que par son existence, sa résistance et son influence, Cuba est un obstacle à cette hégémonie sur le continent. Le récent coup d’état au Venezuela souligne l’importance de cet espace stratégique pour l’impérialisme US ;

-          L’Asie où il s’agit de contrecarrer l’impérialisme japonais, et de se préparer à contrer la montée en puissance de la Chine;

-          L’Europe afin de contrecarrer l’émergence d’une nouvelle puissance hégémonique sous domination Allemande. Pour ce faire les USA jouent les rivalités européennes en s’appuyant sur leur allié britannique. Les républiques de l’ex-Union Soviétique sont un gâteau énorme qui déclenche et déclenchera une rivalité multiforme. Le démantèlement de la Russie  et son affaiblissement sont le résultat de ces rivalités et un objectif commun aux USA et à l’Europe ;

-          Le Moyen-Orient pour des raisons de maîtrise des sources énergétiques. Cela a déjà provoqué les guerres du Golfe, d’Afghanistan et la nouvelle offensive de Sharon contre les palestiniens.

Comme tous les impérialismes dominants à toutes les périodes de l’histoire, les USA tentent d’imposer une division internationale du travail selon leurs besoins et au détriment de leurs concurrents. Pour ce faire ils ont besoin d’imposer leur hégémonie militaire et leur domination politique.

2)    CAPITAL MONOPOLISTE ET NEGATION DES ETATS-NATIONS OU MULTINATIONAUX

Depuis la décennie 70, la bourgeoisie impérialiste est confrontée à une crise de surproduction, précisément à une crise profonde de valorisation de son capital du fait de la baisse tendancielle du taux de profit. Pour y répondre le capital monopoliste accélère les processus de concentration et d’internationalisation des capitaux et des profits. La loi absolue du capitalisme, à son stade suprême l’impérialisme, est la recherche du profit maximum. Le résultat est l’exacerbation des contradictions entre impérialismes, une attaque sans précédent contre les niveaux de vie des masses populaires sur l’ensemble de la planète et une recolonisation des peuples opprimés ou dépendants. Cette crise aurait pu être mortelle et déboucher sur une situation révolutionnaire inédite si les pays de l’Est et le Mouvement Communiste International n’avaient pas été gangrenés par le révisionnisme.  La disparition du camp socialiste a constitué une bouffée d’air pour un système impérialiste mondial surchargé de capitaux en quête de valorisation. La perspective de nouveaux marchés à l’Est s’est traduite par une lutte sans merci entre les différents impérialismes avec comme conséquence le retour de la guerre en Europe. Crise de l’impérialisme, notamment du système d’endettement usurier et défaite de l’URSS ont impulsé auparavant les plans d’ajustement structurel, l’offensive libérale contre les travailleurs et les peuples, puis ont poussé l’impérialisme dans des guerres successives contre les Etats et les peuples qui résistent à l’hégémonie impérialiste. C’est dans ce cadre que l’impérialisme a substitué à « l’empire du mal soviétique » d’hier le nouvel ennemi qu’il dénomme « terrorisme », « le bien contre le mal », « la civilisation contre la barbarie », etc. En réalité, ce qui est le plus avantageux, le plus commode pour l’impérialisme, c’est la recolonisation pure et simple des pays, régions ou zones où se concentrent les matières premières stratégiques comme le pétrole et le gaz. Voilà pourquoi, les peuples subissent à nouveau, comme au 19e siècle lors des conquêtes coloniales, la politique de l’asservissement par le feu et le fer. Voilà pourquoi, les pays indépendants comme l’Afghanistan, l’Irak ou la Yougoslavie sont dépecés et/ou soumis à un protectorat par la force. Voilà pourquoi, l’ethnisme ou l’islamisme politique sont utilisés comme moyens d’implosion des états multinationaux et de recolonisation.

« Le capitalisme en développement, dit Lénine, connaît deux tendances historiques dans la question nationale. La première : le réveil de la vie nationale et des mouvements nationaux, la lutte contre toute oppression nationale, la création d’Etats nationaux. La seconde : le développement et la multiplication de relations de toutes sortes entre les nations ; la destruction des barrières nationales, la création de l’unité internationale du capital, de la vie économique en général, de la politique, de la science, etc. Ces deux tendances constituent la loi universelle du capitalisme. La première domine au début de son développement, la seconde caractérise le capitalisme déjà mûr et qui va vers sa transformation en une société socialiste » (Notes critiques sur la question nationale, tome 20, p.20).

Il faut prendre toute la mesure des effets désastreux de la disparition de l’URSS. Cette dernière faisait contrepoids  dans le monde entier à la domination de l’impérialisme. Cette contradiction première avec l’URSS a en quelque sorte surdéterminé les contradictions inter-impérialistes. C’est ce qui a conduit les USA à aider à la reconstruction des économies européenne et japonaise après la seconde guerre mondiale. La disparition de l’URSS produit la fin de cette surdétermination, c’est à dire le retour à l’antagonisme « pur » entre les USA et leurs « alliés ». Désormais les USA comptent faire valoir entièrement leurs intérêts.

Dans ce combat inter-impérialiste pour le repartage du monde, les états-nations sont devenus une entrave à la reproduction élargie du capital. Les différents impérialismes s’attaquent donc à la structure et à l’existence même des états en démembrant les états multinationaux, en balkanisant les pays ayant une importance stratégique au niveau économique ou militaire, en soutenant le développement des particularismes ethniques, religieux ou identitaires.

C’est pourquoi, comme le soulignait déjà Staline le 14 octobre 1952 dans son discours de clôture du XIXe congrès du PCUS, la question de la souveraineté nationale redevient centrale pour les peuples et pour les communistes : « Autrefois, la bourgeoisie était considérée comme la tête de la nation, elle défendait les droits et l’indépendance de la nation, les plaçant « au dessus de tout ». Maintenant, il ne reste plus trace du « principe national ». Maintenant, la bourgeoisie troque les droits et l’indépendance de la nation contre des dollars. Le drapeau de l’indépendance nationale et de la souveraineté nationale est jeté par-dessus bord. Sans aucun doute, c’est à vous, représentants des partis communistes et démocratiques, de relever ce drapeau et de le porter en avant si vous voulez être des patriotes, si vous voulez devenir la force dirigeante de la nation » (Numéro spécial des Cahiers du Communisme, novembre 1952). L’actualité du « nouvel ordre impérialiste » US accentue encore plus cette exigence.

En réalité l’ensemble des contradictions s’aiguise aujourd’hui :

- la contradiction entre le travail et le capital : Sur l’ensemble de la planète, la bourgeoisie tente de restaurer son profit              maximum en attaquant les acquis des décennies de luttes antérieures.[3]

- la contradiction entre l’impérialisme et le socialisme : Les quelques pays socialistes encore existants sont soumis à une pression économique et politique sans précédent visant à les contraindre à des concessions de plus en plus grandes au fonctionnement capitaliste de l’économie. L’objectif de cette pression est la dégradation des conditions de vie populaire afin de susciter des contradictions entre masses populaires et dirigeants des états socialistes. Ces pays sont également menacés militairement sous prétexte de « lutte pour les droits de l’homme »[4], de lutte contre le totalitarisme[5] et de lutte contre le terrorisme[6].

- la contradiction entre impérialisme et peuples coloniaux et semi-coloniaux : Les politiques du FMI, de la Banque Mondiale et de l’OMC poussent ces peuples à la misère. Une véritable recolonisation des pays est en cours. Tout un arsenal idéologique est mis en œuvre pour déstabiliser et pousser à la balkanisation des états-nations ou multinationaux qui avaient arraché leur indépendance dans les décennies 50, 60 et 70 :  islamisme[7], ethnisme[8], idéologie des droits de l’homme, etc.

- la contradiction inter-impérialiste : C’est la contradiction aujourd’hui la plus explosive sur la planète, productrice de guerres derrière lesquelles se cache la lutte pour le repartage du globe avec comme point commun des différents belligérants le besoin de casser les cadres étatiques nationaux (Volonté de casser l’état central congolais, éclatement de l’ex-Yougoslavie, volonté d’éclatement de la Russie et de la Chine, etc.). C’est dans ce combat sans merci que doivent se resituer les contradictions entre les deux blocs les plus dynamiques et offensifs : l’Europe et les USA.  La lutte des USA contre l’Europe ne se réalise pour l’instant pas ouvertement. La tactique de l’impérialisme US consiste à détruire les pays « récalcitrants », c’est à dire ceux s’appuyant ou tentant de s’appuyer sur un impérialisme européen pour desserrer l’étau de la  domination US : Irak, Libye, Algérie, Cuba, etc.

3)                LA TACTIQUE DES IMPERIALISMES EUROPEENS

Staline a, dès 1952 en pleine « guerre froide », perçu et signalé la montée à terme de la contradiction inter-impérialiste : « En apparence, la « sérénité » règne partout : les Etats-Unis d’Amérique ont réduit à la portion congrue l’Europe occidentale, le Japon et autres pays capitalistes ; l’Allemagne (de l’ouest), la Grande Bretagne, la France, l’Italie et le Japon, tombés dans les griffes des Etats-Unis, exécutent docilement leurs injonctions. Mais on aurait tort de croire que cette « sérénité » puisse se maintenir « pour l’éternité » ; que ces pays supporteront sans fin la domination et le joug des Etats-Unis d’Amérique ; qu’ils n’essaieront pas de s’arracher au joug américain pour s’engager sur le chemin de l’indépendance. (…) Ces pays mènent aujourd’hui une existence lamentable sous la botte de l’impérialisme américain, leur industrie et leur agriculture, leur commerce, leur politique extérieure et intérieure, toute leur existence sont enchaînés par le « régime » d’occupation américain. Pourtant, hier encore, c’étaient de grandes puissances impérialistes… Penser que ces pays n’essayeront pas de se relever, de briser le « régime » des Etats-Unis et de s’engager sur le chemin de l’indépendance, c’est croire aux miracles » (Les problèmes économiques du socialisme, 1952, p.123/124, édition Lignes de Démarcation).

Une fois le dernier kopeck des prêts américains du Plan Marshall remboursé vers 1978, notamment par la République Fédérale Allemande, les bourgeoisies impérialistes d’Europe ont accéléré le processus d’unification européenne en vue de construire la nouvelle puissance à prétention hégémonique. Les principales étapes de cette construction sont le traité de Maastricht, d’Amsterdam, de Nice et l’avènement récent de la monnaie unique l’Euro rivale du dollar américain. Signalons le rôle particulier de la social-démocratie européenne dans ce processus et l’alignement progressif des partis communistes révisionnistes devenus complètement réformistes.

Dans le cadre de cette lutte globale pour le repartage du monde, la bourgeoisie européenne est de moins en moins passive. Contrairement à l’idée simpliste qui la décrit à la remorque des USA, la bourgeoisie européenne accélère son processus de construction afin de faire face aux prétentions hégémoniques américaines. Ce processus d’unification des différentes fractions du capital financier européen est bien sûr contradictoire, chacune des bourgeoisies tentant de se placer au mieux dans la nouvelle configuration européenne. L’union dont il est question est donc instable. Il s’agit en fait d’une renégociation permanente en fonction des rapports de force. Les pays dominants l’Europe et en tout premier lieu l’Allemagne (la France en second lieu) s’asservissent ainsi les puissances européennes plus faibles. Dans le cadre de ces renégociations permanentes, les différentes bourgeoisies continuent de s’affronter soutenues chacune par leur état respectif. Ce processus d’unification contradictoire conduit de nouveau à une remise en cause des états-nations dans la perspective de constituer une nouvelle entité supranationale plus adaptée à la lutte contre le concurrent US. La mise en circulation de l’Euro est un pas qualitatif nouveau dans la mise en place de cette nouvelle puissance à prétention hégémonique.

Les prétentions européennes à intervenir partout sur la planète ne sont actuellement que des potentialités du fait des contradictions d’intérêt qui rongent les différentes fractions du capital financier. Le processus est cependant suffisamment avancé pour faire peur à l’impérialisme US et pour l’amener à se repositionner brutalement sur l’ensemble de la planète.

Donnons deux  exemples parmi beaucoup d’autres de cette rivalité grandissante entre l’Europe et les USA :

1)       la guerre du Golfe et l’embargo :

Le 20 mai 1996 un aménagement de l’embargo contre l’Irak est décrété avec comme nom « pétrole contre nourriture ». Immédiatement, les industriels européens et en particulier français se rendent à Bagdad. Le 1er juillet les USA mettent leur veto à l’accord du 20 mai. Les USA veulent ainsi apparaître comme les seuls maîtres dans la région. N’oublions pas que l’Irak possède la seconde réserve mondiale de pétrole.

 

2)       De la loi Helms-Burton à la loi d’Amato :

La loi Helms-Burton signée le 12 mars 1996 vise à renforcer l’embargo contre Cuba. Elle permet de refuser tout visa aux dirigeants des entreprises non américaines qui utilisent à Cuba des actifs anciennement expropriés. L’article 3 permet également aux anciens propriétaires cubains expropriés d’attaquer en justice les entreprises qui utilisent leurs anciens biens. Cuba est ainsi posé comme chasse gardée US. C’est une attaque directe contre l’Union Européenne avec qui Cuba traite 45% de son commerce extérieur. Les européens protestent mais les USA votent une seconde loi touchant cette fois la Lybie et l’Iran accusés de soutenir le terrorisme: la loi d’Amato. Cette loi vise les sociétés vendant à ces pays des technologies ou des équipements pour une valeur supérieure à 40 millions de dollars. Ce sont directement des sociétés européennes qui sont visées : Elf, Shell, Agip, Schlumberger, Technip, etc. De nouveau, les Européens s’insurgent mais sans aucun résultat.

Nous pourrions multiplier ces exemples. Aucun impérialisme ne peut aujourd’hui envisager une confrontation armée avec les USA, mais cela n’empêche pas les Européens d’entretenir des conflits indirects en utilisant les peuples comme chair à canon. Du conflit avec les islamistes en Algérie au génocide et à l’hécatombe dans l’Afrique des grands lacs, les guerres inter-impérialistes indirectes ont fait déjà des millions de morts.

Les participations européennes aux guerres déclenchées par les USA ne sont pas antinomiques avec l’existence d’une contradiction aiguë entre eux. Le choix américain d’impliquer l’Europe vise à attiser les contradictions au sein de l’UE entre les différents pays. Pour les Européens, une fois la guerre considérée comme inévitable et compte tenu de l’impossibilité actuelle d’un conflit avec les USA, la participation à la guerre vise à participer au partage du butin. En participant à la guerre les Européens ont les mêmes objectifs que les USA : accès aux matières premières et contrôle des régions géostratégiques.

L’impérialisme européen doit en conséquence se percevoir au travers des contradictions suivantes :

-          Celle qui oppose l’ensemble des travailleurs et des peuples européens à la bourgeoisie monopoliste européenne : la construction européenne ne peut se réaliser comme outil de lutte contre le concurrent US  que par la remise en cause de l’ensemble des acquis sociaux dans l’ensemble des pays européens : dérégulation, privatisation, remise en cause des acquis sociaux et démocratiques, etc. ;

-          Celle qui oppose la bourgeoisie monopoliste européenne à l’impérialisme US. Cette contradiction est pour l’instant parfois difficilement perceptible du fait que les dirigeants européens tiennent compte du rapport de force militaire en faveur de l’impérialisme US. L’accélération du processus de militarisation européenne est une réponse à ce rapport de force et porte en lui à terme l’éclatement de l’OTAN ;

-          Celle qui oppose la bourgeoisie monopoliste européenne ou telle ou telle de ses fractions nationales avec les peuples coloniaux et semi-coloniaux. Dans le cadre de sa concurrence avec les USA, cette contradiction peut conduire l’Europe à se présenter comme rempart contre la volonté d’hégémonie US et comme un défenseur de tel ou tel peuple. Ce n’est là qu’illusion, dans la mesure bien sûr où cette contradiction n’élimine pas l’aspect commun à tous les impérialismes : lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit, revaloriser son capital au détriment des peuples et des concurrents, recoloniser pour s’emparer des marchés et sources de matières premières;

-          Celle qui oppose les différentes fractions nationales du capital financier européen dans le cadre d’un processus d’unification contradictoire.

Ces contradictions sont à considérer dans leurs liaisons. Elles font système. Cela suffit pour tordre le coup à l’illusion de s’appuyer sur un impérialisme pour en combattre un autre. Cela est particulièrement vrai pour le Moyen-Orient où de nombreuses illusions peuvent se faire jour quant aux véritables intentions européennes. En réalité, c’est l’ensemble  méditerranéen, moyen-oriental s’étendant à l’Asie centrale qui est analysé comme zone stratégique par l’impérialisme européen. Elle est le terrain d’affrontement le plus virulent des contradictions inter-impérialistes.

Pour des raisons historiques, économiques et géopolitiques cette zone est un terrain dangereux de confrontation entre impérialismes. Au niveau historique, cette zone a été dominée par les différents colonialismes européens qui gardent de nombreux atouts en particulier dans la dépendance des gouvernements des pays méditerranéens et moyen-orientaux. Une lutte féroce de plus en plus oppose les USA et l’Europe pour le contrôle des gouvernements de cet ancien « pré-carré » colonial. Au niveau économique, cette zone recèle une partie non négligeable des ressources en gaz naturel. Si le pétrole a été l’énergie du 20e siècle, le gaz sera celui du 21e siècle. Au niveau géopolitique, cette zone fait transition avec l’ensemble du continent africain qui est un autre enjeu des rivalités inter-impérialistes.

Cette région du monde est également essentielle au niveau idéologique. Elle a été, et est encore un des espaces essentiels des luttes de libération nationale. De la guerre d’indépendance algérienne aux différents nationalismes Arabes (Irak, Syrie, etc.) en passant par la figure de l’Egyptien G. A. Nasser, la région a symbolisé la décolonisation et la révolution nationale et démocratique. La résistance palestinienne est aux yeux du monde entier le symbole de la lutte des peuples pour leurs droits nationaux. Si par le passé les USA ont tenté d’utiliser les luttes de libération nationale pour affaiblir les puissances coloniales européennes, l’Europe tente de se présenter à son tour aujourd’hui comme rempart à l’hégémonisme US et à son allié israélien.

En d’autres termes, comme le dit Lénine contre les trotskistes: « Du point de vue des conditions économiques de l’impérialisme, c'est-à-dire de l’exportation des capitaux et du partage du monde par les puissances coloniales « avancées » et « civilisées », les Etats-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires. Le capital est devenu international et monopoliste. Le monde se trouve partagé entre une poignée de grandes puissances, c'est-à-dire de puissances qui s’enrichissent en pillant et en opprimant les nations sans retenue. (…) Les Etats-Unis d’Europe, en régime capitaliste, équivaudraient à une entente pour le partage des colonies. Or, en régime capitaliste, le partage ne peut avoir d’autre base, d’autre principe, que la force. (…) En régime capitaliste, le développement égal des différentes économies et des différents états est impossible. Les seuls moyens possibles, en régime capitaliste, de rétablir de temps en temps l’équilibre compromis, ce sont les crises dans l’industrie et les guerres en politique. Certes des ententes provisoires sont possibles entre capitalistes et entre puissances. En ce sens, les Etats-Unis d’Europe sont également possibles, comme une entente des capitalistes européens…dans le but d’étouffer en commun le socialisme en Europe, de protéger en commun les colonies accaparées contre le Japon et l’Amérique… » (A propos du mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe, tome 21, p.351-355).

CONCLUSION : GUERRE INTER-IMPERIALISTE MONDIALE INEVITABLE

Comparaison n’est pas toujours raison, mais force est de constater que le processus de recolonisation en cours impulsé par l’hégémonisme américain actuel et partagé par l’Europe impérialiste en construction est comparable à la politique de conquête coloniale menée par les puissances européennes à la fin du 19e siècle (avec à l’époque l’Angleterre comme puissance dominante et hégémonique). Cette « mondialisation » du capitalisme par le canon et la mort déboucha sur la guerre inter-impérialiste de 1914-1918. L’histoire retiendra que c’est au cours de ce conflit militaire inter-impérialiste que surgit la Révolution Socialiste d’Octobre 1917. C’est à cette répétition générale que le Mouvement Communiste en reconstruction et le prolétariat international doivent se préparer pour s’acquitter de la mission historique : renverser la dictature du capital.



[1] Lors de ses crises, le système capitaliste réagit par l’élimination massive de capital obsolète, par la dévalorisation du capital constant et de la force de travail. Dès lors s’enclenche une nouvelle hausse du taux de profit. Celle-ci suscite des investissements. Nous sommes alors en présence d’un nouveau cycle de l’économie capitaliste en attendant la prochaine crise inévitable.

[2] Un certain nombre de nouveaux termes entrent dans le vocabulaire courant : mondialisation, ultralibéralisme, etc. Ces termes ne sont pas neutres. Ils tentent d’enterrer les concepts marxistes de capitalisme et d’impérialisme qui sont les seuls capables de saisir la réalité des exploitations et dominations contemporaines. Alors que les concurrences s’exacerbent, ils laissent entendre que nous ne serions plus dans le stade impérialiste mais dans une sorte de post-impérialisme. Nous sommes ici dans la rénovation d’une très ancienne théorie révisionniste déjà démasquée par Lénine : le Kautskisme. L’impérialisme a été depuis longtemps décrit par Lénine comme la domination du capital financier. Comme ce dernier est fractionné en capitaux concurrents et du fait de loi du développement inégal, cela conduit inévitablement à des rivalités de plus en plus violentes entre états bourgeois défenseurs de leur propre capital financier national. Cette lutte sans merci conduit inévitablement à la guerre pour le repartage du monde. Enfin, l’impérialisme c’est aussi la tendance à l’universalisation du mode de production capitaliste c’est à dire à construire le processus de production à l’échelle mondiale afin d’accroître le profit. Il n’y a donc pas de nouvelle phase ou étape qui serait la « mondialisation », mais simplement mise en œuvre des lois de l’impérialisme plus conséquentes du fait de la disparition du contre-poids que constituaient les pays de l’Est.  

[3] Ces acquis sont à la fois le résultat des luttes du prolétariat dirigé par des partis communistes non encore entièrement social- démocratisés, même s’ils étaient déjà gangrenés par le révisionnisme. Ils sont également issus de l’affaiblissement objectif du système impérialiste du fait de la lutte des peuples colonisés pour leur indépendance et du fait de l’existence d’un camp socialiste même gangrené par le révisionnisme. Ces différents facteurs (lutte des  peuples colonisés, lutte du prolétariat et existence du camp socialiste) se renforçaient l’un l’autre dialectiquement constituant ainsi ce que Lénine et Staline appelaient la « Révolution mondiale ».

[4] L’idéologie des droits de l’homme a été dénoncée à son époque par Marx dans la question juive comme idéologie de l’homme bourgeois et du propriétaire. Elle a été resservie et rénovée par l’impérialisme comme outil de lutte contre les états socialistes et comme prétexte à des interventions impérialistes pour démembrer des états ou remettre à l’ordre les états récalcitrants au « nouvel ordre mondial ».

[5] Le concept de totalitarisme a été fondé dans le cadre de la lutte idéologique contre le socialisme et l’URSS Il visait à permettre l’amalgame entre Socialisme et Nazisme en présentant la démocratie bourgeoise comme seule forme de démocratie possible. Aujourd’hui elle est un des outils idéologiques permettant de justifier les guerres contre les peuples.

[6] Le concept de terrorisme est produit idéologiquement pour amalgamer les luttes armées des peuples et les méthodes fascistes de déstabilisation des états. Ce concept vise à gommer la différence entre lutte juste et lutte injuste en n’insistant que sur la dimension « violence ».

[7] Le discours actuel de Bush ne doit pas faire illusion. L’islamisme politique a toujours été un outil contre les peuples. Le premier aspect de son programme est le refus de toute entrave au commerce et à l’intervention de l’état ce qui convient entièrement au capital monopoliste dominant le monde aujourd’hui. Le second aspect est la restriction de tous les droits démocratiques ce qui n’est pas non plus pour déplaire au système impérialiste mondial. Le troisième aspect est enfin la négation des nations pour les remplacer par une oumma au niveau international et des émirats au niveau régional, ce qui est en harmonie avec le besoin de balkanisation de la régulation capitaliste mondiale.

[8] L’ethnisme n’est pas non plus une soudaine conversion de l’impérialisme aux droits des minorités mais un outil parmi d’autres pour balkaniser et détruire les états- nations ou multinationaux pouvant entraver l’internationalisation du capital.


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