Les bases de la stratégie de l’impérialisme français
Pour
ce séminaire dont le thème est « la
révolution socialiste mondiale dans les conditions de la
globalisation impérialiste », il nous semble
important de republier notre intervention au séminaire
international de Bruxelles de 1996. En effet, nous y analysions
brièvement la stratégie de l’impérialisme
français, replacée dans son contexte historique, ce
qui est essentiel pour déterminer une politique
révolutionnaire. Nous ne changeons rien en particulier à
ce que nous écrivions alors en terme de lutte contre
« l’Union Européenne ».
1.
La situation au sortir de la deuxième guerre mondiale
Au
sortir de la deuxième guerre mondiale antifasciste, les USA
devinrent la puissance impérialiste hégémonique.
Comme le notait en 1952 J. Staline : « les Etats-Unis
d'Amérique ont réduit à la portion congrue
l'Europe occidentale, le Japon et autres pays capitalistes;
l'Allemagne (de l'Ouest), la Grande- Bretagne, la France, l'Italie,
le Japon, tombés dans les griffes des Etats-Unis, exécutent
docilement leurs injonctions ». Face à l'apparition
d'un camp socialiste sous la direction de l'URSS, les USA devenaient
la puissance tutélaire du monde impérialiste. Au niveau
économique, le plan Marshall assurait des débouchés
aux entreprises US et organisait cette hégémonie US.
Quant à l'existence de l'OTAN, elle venait traduire au niveau
politique et militaire ce leadership alors incontesté
des USA.
L'Allemagne,
qui se reconstruisit rapidement grâce au plan Marshall,
ne possédait pas d'empire colonial: elle dut donc compter
uniquement sur ses propres forces pour redevenir compétitive
dans la lutte pour le leadership mondial. Ce que les
économistes bourgeois ont appelé le « miracle
économique allemand » était basé sur
la priorité accordée à l'investissement dans les
nouvelles technologies.
La
France, au contraire, bénéficiait encore de son empire
colonial. Celui-ci, après les indépendances, sera
réaménagé en empire semi-colonial.
C'est une caractéristique « nationale »
de la bourgeoisie monopoliste française - que Lénine
avait qualifiée de « tondeuse de coupons » - que
de vivre de ses rentes: elle continua donc après-guerre à
investir dans des industries qui utilisaient une main d’œuvre
bon marché, taillable et corvéable à merci,
notamment l'immigration.
2.
L'évolution de De Gaulle à Mitterrand
Deux
caractéristiques fondamentales de la stratégie de
l'impérialisme français à l'époque de De
Gaulle: De Gaulle était réticent face à la
construction européenne. Après avoir agi dans le sens
d’un découpage de l'Allemagne en cinq entités,
c'était la politique des « petits pas ».
Elle exprimait la tactique de la fraction alors dominante de la
bourgeoisie de prendre la tête d'une construction européenne
non-soumise aux Etats-Unis, et ce en contradiction avec l'Allemagne.
On peut vérifier cela avec la sortie de la France de la
structure militaire intégrée de l'OTAN dont l'une des
manifestations fut la fermeture des bases militaires. Au plan
économique, cette politique de la « France forte »
était conditionnée par la constitution de grands
groupes industriels nationaux et la préservation, dans le
cadre d'un réaménagement semi-colonial, de son empire,
ce qui était en contradiction avec les objectifs de
l'impérialisme yankee d'ouverture des marchés des
anciennes colonies au nom du « droit à
l'autodétermination ».
La
crise économique des années 1970 révéla
cependant les faiblesses structurelles de l'impérialisme
français face à l'Allemagne et son incapacité à
prendra la tête d'un bloc européen face aux USA. Giscard
chercha, sans la trouver, une voie permettant à l'impérialisme
français de ne pas sombrer dans le déclin. Sa politique
dite de « redéploiement industriel »
visait à donner aux PME-PMI un « rôle
éminent dans l'adaptation de notre appareil productif »
(Les dossiers noirs de l'industrie française, Fayard
1985). Mais le vrai problème était la «
perception tardive des mutations technologiques »
(idem). Sur le plan de la production des moyens de production,
la France n'a « pas assez développé les
industries sophistiquées incorporant beaucoup de travail
hautement qualifié. Dans ces secteurs à haute
technicité, elle souffre d'un déficit par rapport aux
grands pays industriels avancés (Etats-Unis, Allemagne,
Japon). Elle s'est au contraire beaucoup trop spécialisée
dans des activités faisant largement appel à une main
d'œuvre peu qualifiée d'OS (ouvriers spécialisés)
» (Bialès/Goffin, Economie générale,
tome 2, Foucher 1982). Au seuil des années 1980, la France
connaissait un solde négatif très important dans le
secteur des machines-outils qui revêt une importance
stratégique fondamentale. Elle dépendait fortement des
autres pays industrialisés et en particulier de son voisin
allemand.
La
conséquence sur le plan du commerce extérieur est que
la France était (et reste) déficitaire vis à vis
de ses principaux concurrents impérialistes. Son solde
industriel en particulier vis-à-vis de ces pays a toujours été
déficitaire depuis 1974.
Le
repositionnement économique de l'impérialisme français
nécessitait des restructurations industrielles, une adaptation
de l'appareil de production. C'est pour cette politique que fut porté
au pouvoir Mitterrand en 1981 avec l'appui des révisionnistes
du PCF. Pour ramener le coût unitaire de production des
entreprises à un niveau plus proche de la moyenne européenne,
la social-démocratie a procédé d'une part à
des licenciements massifs dans la sidérurgie, les mines et
l'automobile, à une délocalisation du textile, a fait
appel massivement à la robotisation d'autre part. La force de
travail issue de l'empire colonial a été touchée
en premier lieu par les licenciements massifs, la montée du
racisme venant faciliter ces licenciements. Lors de la grève
de Talbot en 1982, le Premier Ministre Pierre Mauroy, actuel
président de l'Internationale Socialiste, s'est fendu d'une
diatribe sur un soi-disant danger « intégriste »
en comparant les grévistes immigrés à Khomeyni.
3.
Les faiblesses structurelles de l’impérialisme français
Premièrement,
en dépit des restructurations mitterrandiennes des années
80 et 90, seule une petite fraction de l'industrie manufacturière
française (20%) est aujourd'hui en capacité de se
situer en position dominante sur le plan mondial, essentiellement
dans des industries de base comme le verre, les ciments et bétons,
métaux, caoutchouc et dans quelques industries d'équipement
comme l’eau, le matériel électrique et la
télécommunication. A noter que ces entreprises
françaises sont celles qui ont réussi à
préserver un certain contrôle de leur marché
intérieur sur lequel s'appuie leur stratégie
d'internationalisation.
Deuxièmement,
si l'internationalisation des firmes françaises s'est
accentuée au cours des années 80/90 par le biais d'une
progression constante des investissements à l'étranger
(principalement dans l’Union Européenne, surtout
l'Allemagne, et les USA), toutefois ces investissements concernent
surtout les services marchands (pour 47%), l'agroalimentaire, le
matériel électrique et la télécommunication.
Troisièmement,
on peut observer que les filiales de grands groupes allemands,
américains et japonais s'emparent peu à peu de pans
entiers du marché intérieur français au point
qu'ils contrôlent 22% des emplois industriels en France.
Ces
facteurs déterminent l'évolution pro-maastrichienne
d'une fraction aujourd'hui dominante de la bourgeoisie impérialiste
française.
Ils expliquent en outre que l'impérialisme français
n'est pas en mesure de rivaliser avec les Konzern
allemands dans la conquête des nouveaux marchés des
anciens pays de l'Est. On peut voir une preuve de cela dans
l'alignement de l'impérialisme français sur la
stratégie allemande de désagrégation de l'Etat
yougoslave qui a conduit aux massacres fratricides qui ensanglantent
ce pays.
Ce
qui caractérise donc fondamentalement la stratégie de
l'impérialisme français aujourd'hui est sa
tendance à s'aligner sur l'impérialisme
allemand pour faire face à l'impérialisme
américain: telle est la signification de « l'axe
franco-allemand », moteur de la construction européenne.
4.
L'impérialisme français et l'Afrique
Le
dernier atout de l'impérialisme français pour rivaliser
dans la cour des « grands » reste la possession
de son empire semi-colonial, constitué essentiellement du
« pré-carré » africain.
Déjà
en 1971, comme le disait Yvon Bourges, « sur le plan
économique, il est incontestable que la France retire certains
avantages de sa politique de coopération dans la mesure où
celle-ci lui permet d'exporter des hommes, des techniques ou des
productions (...) et si le commerce qu'effectue la France avec
les Etats africains et malgaches de la zone franc ne dépasse
pas 4 à 5% de son commerce total, il n'est
pas négligeable pour autant à ses yeux que ces échanges
lui permettent d'acquérir, sans sortir de devises, 83%
de ses besoins en cacao, 87% de ses besoins en bois
tropicaux, 62% de ses besoins en café, 68%
de ses importations d'uranium » (Qui a peur du
Tiers-monde?, Editions du Seuil 1980, p.112). La dévaluation
du franc CFA en 1994 a renforcé la position hégémonique
des filiales africaines des entreprises françaises en divisant
par deux le coup de la force de travail africaine et des matières
premières et en multipliant par deux la dette des Etats
africains.
Il
est à noter que cet atout est fragilisé par la
pénétration croissante en Afrique de ses concurrents
américain et allemand, qui dominent dans le FMI: c'est par
exemple le FMI qui a exigé la dévaluation du franc CFA.
Malgré
la rivalité inter-impérialiste, en Afrique, le « nouvel
ordre international » né de la défaite du
socialisme maintient, pour l'essentiel, le continent dans son statut
de zone de prédilection de l'impérialisme français.
Mais cela dans un contexte de crise structurelle du capitalisme
mondial. Cette donne fait que la marque essentielle des rapports
Nord/Sud est « la crise de l'endettement »,
laquelle détermine les politiques d'ajustement structurel
dictées par les institutions de Bretton Woods pour
récupérer la dette. C'est la base sur laquelle s'opère
une véritable recolonisation de l'Afrique dont le principal
bénéficiaire demeure l'impérialisme français.
L'exemple le plus éloquent de la barbarie macabre à
laquelle l'impérialisme, notamment français, peut être
conduit dans le but de conserver son empire semi-colonial a été
l'organisation, la planification et l'exécution d’un
crime contre l’Humanité comme le génocide
ethno-fasciste perpétré par la dictature ethniciste
pro-impérialiste d'Habyarimana au Rwanda en 1994.
C'est
pourquoi l'impérialisme français tient si fermement à
garder ses 6 bases militaires et ses 10000 hommes de troupe sur le
continent africain. C'est pourquoi Chirac vient de lancer une réforme
de l'armée dont l'objectif est la mise sur pied d'une armée
professionnelle capable de rapidement « projeter - selon sa
propre expression - 60000 hommes à l'extérieur ».
Il s'agit de la constitution d'une armée de mercenaires coupée
du peuple (et donc de l'influence des idées révolutionnaires
dans le peuple), une armée chargée de rétablir
rapidement l’ordre semi-colonial.
5.
Conclusion : quels axes de combat pour les communistes en
France ?
Il
apparaît que le mouvement ouvrier en France doit absolument
partir des éléments de base ci-dessus mentionnés
pour définir un politique révolutionnaire susceptible
de lui permettre d'abattre son capitalisme.
·
Un premier axe est
la question du combat intransigeant et sans concession contre la
construction de ce nouveau pôle impérialiste sous
hégémonie allemande qu'est l'Europe. Il est fondamental
de comprendre que le
mot d'ordre central est : Sortir de l'Union Européenne!
Le prolétariat, dans l'optique que « chaque
prolétaire en finisse d'abord avec sa propre bourgeoisie »
(Karl Marx), ne peut être indifférent au sort de la
nation. L'expérience historique d'ailleurs abonde dans ce
sens, car la question de l'indépendance nationale a été
un des facteurs décisifs de l'insurrection ouvrière qui
a débouché sur la Commune en 1871. Devant la
capitulation de la bourgeoisie, la question nationale doit être
brandie par le prolétariat comme tactique pour la démasquer,
l'affaiblir et dresser ainsi sous sa direction toutes les couches
sociales, principalement les classes moyennes urbaines et rurales
pour la conquête du pouvoir. Dans le mouvement gréviste
de masse de décembre 95, cette opposition est d'ailleurs
apparue, en ce sens que la bourgeoisie présentait l'Allemagne
comme « modèle » à suivre alors
que le mouvement ouvrier s'y opposait radicalement.
·
Le second axe est la
question de l'internationalisme, c'est-à-dire en particulier
la solidarité active entre le prolétariat et les
peuples opprimés. Il est vital et capital pour la révolution
socialiste de renouer avec la politique d'alliance stratégique
entre la lutte de classe au centre du système capitaliste et
la lutte d'émancipation anti-impérialiste des peuples
opprimés. En effet, les coups portés par les peuples à
l'oppression impérialiste l'affaiblissent et facilitent pour
les prolétaires du centre son renversement. Les minorités
nationales immigrées constituent le lien vivant, concret entre
les prolétaires de France et les peuples opprimés
d'Afrique.
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