CONCLUSION GENERALE : LE MAOISME, UN COURANT REVISIONNISTE
La
fin de la Seconde guerre mondiale a signifié d’une part
la création d’un vaste camp socialiste auquel s’adjoint
en 1949 la Chine populaire, et d’autre part un renforcement
considérable de l’influence des partis communistes dans
les autres pays. Dans les « démocraties
populaires », les communistes sont confrontés à
des tâches nouvelles depuis longtemps résolues en Union
Soviétique. La tâche première des « démocraties
populaires » était décrite de la manière
suivante par les camarades soviétiques:
« Après
l’écrasement des occupants allemands par l’Armée
soviétique et le renversement des anciens régimes par
les travailleurs des pays en question, les tâches fondamentales
des fronts populaires étaient: anéantissement de la
réaction, lutte pour l’indépendance nationale,
démocratisation de la vie sociale et politique. En gros, ces
tâches étaient réalisées en 1947-48. Elles
ne constituent plus, aujourd’hui, un guide pratique pour
l’action (...).»[1].
Après
cette première étape se posait la question du devenir
des « démocraties populaires ».
Fallait-il considérer celles-ci comme une étape vers le
socialisme ou les considérer comme un nouveau type d’Etat
stable sur le long terme?.
Dans
la plupart des « démocraties populaires »
se développa un courant révisionniste demandant une
« pause » et considérant que les
alliances de classes de la première étape devaient être
maintenues sur une longue période. C’est exactement ce
que Mao préconise avec sa « démocratie
nouvelle ». Le titisme comme le maoïsme ne sont, on
le voit, que des variantes parmi d’autres du courant
révisionniste qui se développa après la Seconde
guerre mondiale. Le courant révisionniste s’appuya sur
la thèse de la « spécificité »
(encore une fois comme Mao) pour justifier ses déviations vers
l’idéologie bourgeoise. Voici comment les
marxistes-léninistes répondaient à cette
déviation nationaliste:
« Il
n’existe pas, pour les pays de démocratie populaire, de
voie différente de celle suivie par l’U.R.S.S. pour
arriver au socialisme. Et cependant il ne s’agit pas non plus
d’une simple réédition de la voie suivie par
l’U.R.S.S. L’identité porte sur les problèmes
fondamentaux. Dans les deux cas, la voie est celle de
l’industrialisation socialiste, de la collectivisation
socialiste, de la lutte des classes intensives et de la suppression
des classes exploiteuses, de l’union de la classe ouvrière
avec la paysannerie laborieuse, le rôle dirigeant devant
appartenir à la classe ouvrière, elle-même guidée
par le Parti communiste. Les différences (aussi bien entre la
voie suivie par l’Union soviétique et celles à
suivre par les démocraties populaires, qu’entre les
voies des divers pays de démocratie populaire eux-mêmes)
concernent certaines particularités dans les mesures concrètes
à adopter, les moyens de leur exécution, les formes et
les rythmes du mouvement. Mais, en aucun cas, ces différences
ne mettent en question l’identité des principes
fondamentaux. Inversement, reconnaître le fond commun ne
signifie pas qu’il faille passer outre les particularités
conditionnées par le développement historique. Il
serait, en effet, absurde de ne pas voir les différences qui
existent entre la Tchécoslovaquie, pays industriel et
l’Albanie pays agricole. Cependant, c’est une déviation
nationaliste que de prétendre qu’il existe autant de
voie menant au socialisme qu’il existe de pays »[2].
Dans
les pays impérialistes disposant de puissants partis
communistes, le même point de vue sur la « spécificité »
se développait. Cette analyse révisionniste amenait les
partis communistes à des positions opportunistes et
électoralistes. Comme pour les démocraties populaires,
la déviation nationaliste conduisait à vouloir
maintenir indéfiniment les alliances de classes qui avaient
été nécessaires dans le combat antinazi. Maurice
Thorez théorisa cette déviation de droite dans sa
fameuse interview au Times le 18 novembre 1946:
« Les
progrès de la démocratie à travers le monde, en
dépit de rares exceptions qui confirment la règle,
permettent d’envisager, pour la marche au socialisme, d’autres
chemins que celui suivi par les communistes russes. De toute façon,
le chemin est nécessairement différent pour chaque
pays. Nous avons toujours pensé et déclaré que
le peuple de France, riche d’une glorieuse tradition,
trouverait lui-même sa voie vers plus de démocratie, de
progrès et de justice sociale »[3].
La
mise en place du Kominform en septembre 1947 est le signe de la
contre-attaque marxiste-léniniste face à la montée
des tendances révisionnistes dans le Mouvement Communiste
International. Le Kominform remet les pendules à l’heure
marxiste-léniniste en critiquant très sévèrement
les déviations nationalistes et de droite autant dans les pays
de démocraties populaires que dans les pays comme la France et
l’Italie.
Concernant
les pays de démocratie populaire, Jdanov rappelle que
l’objectif reste le socialisme. Il coupe court ainsi à
toutes les spéculations sur une « troisième
voie » entre capitalisme et socialisme que seraient les
« démocraties populaires »:
« Dans
ces pays, ce sont les représentants des ouvriers, des paysans,
des intellectuels progressistes qui sont arrivés au pouvoir.
Partout, dans ces pays, ce fut la classe ouvrière qui a
manifesté le plus grand héroïsme, le plus de
conséquence et d’intransigeance dans la lutte
antifasciste, et, partant, son autorité et son influence se
sont énormément accrues. Le nouveau pouvoir
démocratique en Yougoslavie, en Bulgarie, en Roumanie, en
Pologne, en Tchécoslovaquie, en Hongrie et en Albanie,
s’appuyant sur les masses populaires, a réussi à
réaliser, dans le délai le plus court, des
transformations démocratiques progressistes telles que la
bourgeoisie n’est déjà plus capable d’en
faire. La réforme agraire a remis la terre aux paysans et a
conduit à la liquidation de la classe des hobereaux. La
nationalisation de la grande industrie et des banques et la
confiscation de la propriété des traîtres qui
avaient collaboré avec les Allemands ont sapé d’une
manière radicale des positions du capital monopoliste dans ces
pays et ont affranchi les masses de la servitude impérialiste.
En même temps, ont été établis les
fondements de la propriété de l’Etat. Un nouveau
type d’Etat a été créé: la
République populaire, où le pouvoir appartient au
peuple, où la grande industrie, le transport et les banques
appartiennent à l’Etat et où la force dirigeante
est constituée par le bloc des classes travailleuses de la
population, ayant à sa tête la classe ouvrière.
Les
peuples de ces pays se sont libérés de l’étau
impérialiste, mais ils sont en train d’édifier
les bases du passage vers le développement socialiste
(souligné par nous) »[4].
Les
déviations nationalistes et révisionnistes mises en
cause par Jdanov (qui réaffirme le but socialiste et donc le
caractère transitoire de la « démocratie
populaire ») convergent toutes vers le « mythe
d’une troisième voie » qui serait justifiée
par les « spécificités nationales ».
Au niveau économique, cette déviation s’exprima
sous la forme de la « théorie du capitalisme
d’Etat ». Elle fut développée par
Varga:
« Dans
son ouvrage « Les modifications dans l’économie
du capitalisme à la suite de la deuxième guerre
mondiale », l’académicien Varga qualifie
l’industrie d’Etat des pays de démocratie
populaire d’industrie capitaliste d’Etat. « Une
grande partie des moyens de production de l’industrie,
écrit-il, est passée au pouvoir et sous la direction de
l’Etat, c’est à dire que le capitalisme d’Etat
prédomine.. ». Il est vrai que, dans son discours
prononcé en conclusion des débats consacrés au
livre en question (mai 1947), E. Varga a reconnu s’être
trompé. La question n’en mérite pas moins d’être
examinée. Considérer l’industrie d’Etat des
pays de démocratie populaire comme une forme de capitalisme
d’Etat, c’est méconnaître l’essence
même du régime de démocratie populaire, c’est
oublier cette simple vérité que, dans la production
capitaliste d’Etat, les bénéfices vont aux
capitalistes et que cette production est basée sur l’existence
de deux classes antagonistes: la bourgeoisie qui possède les
moyens de production et le prolétariat qui, exploité,
les fait fonctionner. (...). En ce qui concerne le secteur privé
capitaliste, dont la part relative est insignifiante dans l’industrie
et le commerce de gros, mais qui possède encore une certaine
importance dans le commerce de détail, l’Etat de
démocratie populaire applique à son égard une
politique restrictive consistant dans la réglementation des
fournitures de matières premières et de combustible,
dans le contrôle des prix et dans le système fiscal.
Cette politique est destinée à limiter, à isoler
et finalement à évincer les éléments
capitalistes »[5].
L’enjeu
est donc de taille. Il ne s’agit ni plus ni moins que de poser
la question de la nature du secteur d’Etat comme point d’appui
à la limitation puis à l’éviction de la
bourgeoisie, c’est à dire comme point d’appui du
passage à l’étape socialiste de la révolution.
Le concept de « capitalisme d’Etat » a,
en effet, été utilisé en U.R.S.S. à la
période de la N.E.P., mais c’était là une
période de « recul provisoire »:
« Le
capitalisme d’Etat était, à côté du
secteur socialiste, une forme d’organisation économique
adoptée par l’U.R.S.S. au sortir de la guerre civile,
alors que l’économie délabrée exigeait le
concours de capitalistes russes et étrangers dans certaines
limites et pour un certain temps, sous le contrôle de l’Etat
prolétarien. Ce qui est important à retenir, c’est
que le capitalisme d’Etat, recul provisoirement nécessaire,
n’a représenté à aucun degré une
forme de transition vers le socialisme, celui-ci ayant été
réalisé par l’élargissement du secteur
socialiste et le développement de la coopération
paysanne »[6].
Ni
capitalisme d’Etat, ni capitalistes, les démocraties
populaires ne s’assimilent pas non plus à l’Etat
soviétique. Elles sont une étape transitoire vers
l’Etat soviétique, étape que les révisionnistes
ont voulu figer comme Mao l’a fait avec sa théorie de la
« démocratie nouvelle ». Comme
l’expliquent les stalinistes:
« La
forme de l’Etat des pays de démocratie populaire est
celle de la république populaire, dont la base politique est
constituée par les comités populaires, les conseils
populaires, les comités nationaux, tous élus au
suffrage universel et égal. Tous les organismes du pouvoir,
inférieurs, moyens et supérieurs, sont élus au
suffrage direct. Une des formes de l’union de la classe
ouvrière et de son parti avec les masses laborieuses dans les
pays de démocratie populaire est celle des fronts populaires,
type d’organisation qui n’existait pas en U.R.S.S. La
classe ouvrière elle-même, qui est cependant la classe
dirigeante dans les pays de démocratie populaire, ne possède
aucun avantage au point de vue électoral sur les paysans,
comme cela a été le cas en Union Soviétique dans
la première phase de son développement et jusqu’à
la constitution de 1936. Toutefois, si la forme de l’Etat dans
les pays de démocratie populaire est différente de la
forme soviétique dans la première phase de son
développement, la loi essentielle du passage du capitalisme au
socialisme n’est pas modifiée, à savoir: l’Etat
exerce la dictature révolutionnaire du prolétariat.
(...). Entre l’Etat des pays de démocratie populaire et
l’Etat soviétique actuel, il existe une différence
de développement historique: l’Etat de l’U.R.S.S.
est celui du socialisme vainqueur, l’Etat des pays de
démocratie populaire est celui du socialisme en
construction »[7].
Ces
précisions étaient nécessaires dans la mesure où
ce sont sur ces aspects que se sont développées les
déviations nationalistes et révisionnistes autant dans
les démocraties populaires qu’en Chine. C’est en
effet autour de deux questions que le révisionnisme est passé
à l’attaque: la question des fronts populaires et du
rôle dirigeant du prolétariat et de son parti d’une
part et la question paysanne d’autre part. Dans la plupart des
pays, les déviations furent corrigées, ce qui obligea
Khrouchtchev à éliminer les dirigeants des partis
communistes pour parvenir à ses fins. En Yougoslavie, non
seulement elles se sont maintenues, mais ont abouti à une
trahison complète. Le Parti communiste de l’Union
Soviétique, Staline lui-même et le Kominform auront eu
le grand mérite de démasquer les renégats
yougoslaves et le danger qu’ils faisaient courir aux
démocraties populaires.
La
réunion du Kominform insista sur la nécessité de
passer à une nouvelle étape dans la transition au
socialisme et sur l’aiguisement de la lutte des classes au
cours de ce processus. Elle stigmatisa les nombreuses erreurs
révisionnistes. Voici l’analyse des soviétiques
rappelant en 1949 la réunion du Kominform:
« Aujourd’hui,
l’union de la classe ouvrière et de la paysannerie
signifie: prendre appui sur les petits paysans et renforcer l’union
avec les paysans moyens. Elle est maintenant dirigée contre
les éléments capitalistes de la campagne et des villes,
pour aboutir concrètement au refoulement et à
l’élimination des éléments capitalistes,
au renforcement des éléments socialistes, à une
aide accrue aux exploitations des paysans laborieux, au développement
des coopératives agricoles. (...). Cette intensification de la
lutte des classes est dans la nature des choses. Les survivants de la
réaction intérieure sont soutenus et inspirés
par les impérialistes anglo-américains. (...). Les
éléments appartenant aux classes ennemies s’efforcent
aussi d’agir sur les partis ouvriers eux-mêmes. C’est
leur influence qui explique que, depuis fin 1947, les éléments
nationalistes, chauvins dominent dans le parti communiste yougoslave
où ils ne s’étaient pas manifestés
auparavant. Ils font ainsi peser sur le peuple yougoslave la menace
d’une transformation de la Yougoslavie en un Etat bourgeois. En
Pologne la déviation opportuniste et nationaliste s’est
manifestée dans la position de l’ancien secrétaire
général du Comité Central du Parti de Pologne
Gomulka. Sous-estimant le caractère exploiteur de la classe
des koulaks, il a pensé que la Pologne pourrait parvenir au
socialisme par des voies qui lui seraient « propres ».
En fait, cette voie propre n’était rien d’autre
que la théorie du « juste milieu », une
troisième voie qui se situerait quelque part entre le
capitalisme et le socialisme, comparable aux « troisièmes
forces » occidentales. Comme on sait, le Parti ouvrier
polonais a vaincu cette tendance opportuniste et s’est encore
renforcé sur la base de la lutte des classes. Certaines
erreurs ont également été commises dans la
direction du Parti communiste bulgare, surtout par la sous-estimation
de la nécessité d’intensifier la lutte des
classes dans la période de transition menant au socialisme. On
a parlé en Bulgarie (comme d’ailleurs en Pologne et en
Roumanie) de rapports harmonieux qui seraient possibles entre les
trois secteurs de l’économie nationale (secteur d’Etat,
secteur capitaliste, secteur du petit commerce et des boutiquiers).
Cette théorie des rapports harmonieux entre les trois secteurs
était en fait l’équivalent de la théorie
« de l’équilibre » fustigée
par Staline en 1929 »[8]
En
Chine aussi, Mao prétendait que la bourgeoisie pouvait
construire le socialisme « compte tenu des spécificités
nationales ». C’était la version chinoise de
la théorie des « rapports harmonieux »
ou de la théorie de « l’équilibre ».
C’était le retour en force du « boukharinisme ».
Nous sommes bien en présence d’une offensive
révisionniste internationale soutenue par les impérialistes.
Analysons
encore un dernier aspect commun à Tito, aux autres
révisionnistes des démocraties populaires et à
Mao: la question du pouvoir, des fronts populaires, de la classe
dirigeante.
Voici
comment le Polonais Bierut analyse les erreurs de son parti:
« Le
système de pensée du camarade Wladyslaw (Gomulka;
précisé par nous)
est entâché d’un particularisme national, d’un
esprit national borné, qui rétrécit l’horizon
politique et ne permet pas de voir la liaison étroite qui
existe à l’époque actuelle entre les aspirations
nationales et les aspirations internationales; il aboutit à
des conclusions politiques fausses et très nuisibles. De là,
la tendance à détacher, dans l’analyse du passé
du mouvement ouvrier polonais, le problème de l’indépendance
de celui de la lutte de classe du prolétariat, de là
l’interprétation erronée de la nature de la
démocratie populaire, des transformations qui s’opèrent
dans son sein, de là aussi le glissement sur des positions
d’un « juste milieu » entre la démocratie
bourgeoise libérale et la démocratie socialiste. (...).
Ces erreurs découlent d’une position absolument fausse,
anti-léniniste, dans la question nationale, d’une
position opportuniste absolument fausse dans la question paysanne. Il
y a là une analogie frappante avec des phénomènes
similaires qui n’ont pas été freinés et
qui ont abouti à une dégénérescence
totale en Yougoslavie. Les liens de parenté entre ces
phénomènes ne sont pas fortuits, car ils sont de la
même origine »[9].
Les
éléments d’analyses que nous avons présentés
au long de cette brochure ont de nombreux points communs avec les
critiques avancées par Bierut. Cela nous amène à
caractériser le maoïsme comme un révisionnisme
de la même nature que le titisme et que tous ceux qui
furent combattus par Staline, l’IC et le Kominform.
Ces
aspects ne nous font pas conclure que Mao n’a rien fait de
positif. Ils indiquent simplement que le P.C.C. et Mao ont pu
globalement mener à bien les tâches de la première
étape de la révolution, mais que l’intensification
de la lutte des classes liée à la transition au
socialisme les ont conduit vers la conciliation avec la « bourgeoisie
nationale ». Nous avons montré dans nos chapitres
les racines historiques, idéologiques, philosophiques et
politiques qui rendaient le P.C.C. et Mao incapables de mener en
bolchévik la transition socialiste. Mao n’est pas le
seul à être passé de l’inconséquence
dans la compréhension du marxisme-léninisme au
révisionnisme. Voici comment Bierut explique le révisionnisme
de Gomulka:
« Au
moment où les forces essentielles de la réaction
fasciste ont été écrasées, la démocratie
populaire en Pologne est entrée dans une nouvelle phase de
développement. Mais dès le moment où les
capitalistes et les éléments spéculateurs qui
tiraient profit des difficultés de la période
d’après-guerre et exploitaient la paysannerie pauvre,
ont commencé à se renforcer, une autre contradiction
fondamentale est apparue entre les forces populaires, foncièrement
démocratiques, c’est à dire les ouvriers et les
paysans travailleurs, d’une part, et les forces capitalistes
dans les villes et les campagnes, d’autre part. C’est
alors que des fissures se sont fait jour dans la position de combat
du camarade Wladyslaw et que s’est révélée
sa faiblesse idéologique. Il est hors de doute que ce n’est
pas seulement dans notre pays, mais aussi dans les autres pays de
démocratie populaire (comme l’atteste éloquemment
le signal d’alarme yougoslave) que la contradiction entre les
forces capitalistes et anti-capitalistes existant en régime de
démocratie populaire, prend de plus en plus une place de
premier plan, ainsi que l’indique la résolution. Les
forces capitalistes voudraient voir la « frigorification »
du rapport des forces actuelles, en attendant une situation plus
propice. Elles aspirent à une « stabilisation »
qui maintiendrait dans le système de la démocratie
populaire, même dans la mesure actuelle, les possibilités
de développement des éléments capitalistes car
ils comptent sur leur souplesse et le fait que le capitalisme naît
organiquement de la petite économie marchande, ils comptent
aussi sur un appui éventuel de l’extérieur
(...) »[10].
Une
nouvelle fois, les propos de Bierut peuvent entièrement
s’appliquer au P.C.C. et à Mao Tsé-Toung. Pour
n’avoir pas réussi sa bolchévisation, pour avoir
rejeté par nationalisme les conseils de l’I.C. et de
Staline, le P.C.C. et Mao n’ont pas réussi à
rompre avec le socialisme petit-bourgeois, le socialisme paysan qui
dans les pays coloniaux et semi-coloniaux prend des formes
spécifiques. Ces aspects ont déjà été
analysés depuis longtemps par l’I.C.:
« Dans
les pays coloniaux, le communisme se heurte, au sein du mouvement
ouvrier, à l’influence de courants particuliers qui
jouèrent un rôle positif important dans une certaine
phase de leur développement, mais qui, dans la nouvelle étape
de ce développement, deviennent une force conservatrice. Le
sun-yatsénisme, comme idéologie du socialisme
petit-bourgeois, a joué un rôle positif considérable
durant la première phase de la révolution chinoise.
Cependant, grâce à la différenciation des classes
dans le pays et au développement ultérieur de la
révolution chinoise, le sun-yatsénisme, parce qu’il
a une conception « démocratique »,
« au-dessus des classes » du socialisme, s’est
transformé en une force conservatrice qui entrave le
développement de la révolution. Les courants comme le
ghandisme dans les Indes, complètement imprégnés
d’idées religieuses, qui prêchent la passivité
et nient la lutte des classes, se transforment, au cours du
développement de la révolution, en une force
ouvertement réactionnaire. Ils doivent être l’objet
d’une lutte énergique de la part du communisme »[11].
La
victoire du courant maoïste au sein du P.C.C. a signifié
un retour du sun-yatsénisme. Cela allait certes permettre au
P.C.C. de prendre le pouvoir et de réaliser les tâches
de la révolution démocratique bourgeoise, mais cela
allait aussi le rendre incapable de diriger le passage à
l’étape socialiste de la révolution. Dans les
pays coloniaux et semi-coloniaux, le maoïsme va permettre à
de nombreux partis de justifier leurs tendances au « socialisme
petit-bourgeois ». En Occident, il sera investi
consciemment ou non par de nombreux petit-bourgeois comme une
alternative au « stalinisme ». Le maoïsme
était ainsi la version « révolutionnaire »
de l’anti-stalinisme qui lui-même n’était
que le « cheval de Troie » de l’impérialisme,
pour reprendre l’expression de Nina Andréyéva, la
secrétaire générale du Parti communiste des
bolchéviks de toute l’Union Soviétique.
Nous
qui voulons contribuer à construire le parti du prolétariat,
devons rompre avec cette forme de révisionnisme et nous
éduquer en bolchévik avec l’œuvre théorique
et pratique de Staline et de l’Internationale Communiste.
A
partir de tous ces éléments nous pouvons mieux
comprendre les critiques sévères de Staline à
l’égard de Mao, que ce dernier a lui-même révélé:
« Staline
a commis un certain nombre d’erreurs au sujet de la Chine. Il
fut à l’origine de l’aventurisme « de
gauche » de Wang Ming, vers la fin de la Deuxième
guerre civile révolutionnaire, et de son opportunisme de
droite, au début de la Guerre de Résistance contre le
Japon. Pendant la période de la Guerre de libération,
d’abord, il ne nous autorisa pas à faire la révolution,
affirmant qu’une guerre civile risquerait de ruiner la nation
chinoise. Puis lorsque la guerre eut éclaté, il se
montra sceptique à notre endroit. Quand nous eûmes gagné
la guerre, il soupçonna que c’était
là une victoire du genre de celle de Tito
(souligné par nous) et, en 1949 et 1950, il exerça sur
nous une très forte pression »[12].
Cet
aveu de Mao sur la parenté idéologique entre le maoïsme
et le titisme, parentée démasquée en son temps
par Staline, est fondamental. En effet, comme l’analysa
l’Internationale Communiste lors de son VIème
congrès en 1928: « Les
intellectuels petits-bourgeois, les étudiants, etc, sont très
souvent les représentants les plus énergiques, non
seulement des intérêts spécifiques de la petite
bourgeoisie, mais encore des intérêts objectifs et
généraux de l’ensemble de la bourgeoisie
nationale. Dans la première période du mouvement
national, ils interviennent fréquemment comme champions des
aspirations nationales. Leur rôle est relativement grand à
la surface du mouvement. (...) La vague révolutionnaire
montante peut les pousser dans le mouvement ouvrier, où ils
apportent leur idéologie petite-bourgeoise hésitante et
indécise. Quelques-uns seulement peuvent rompre avec leur
classe, au cours de la lutte, s’élever jusqu’à
concevoir les tâches de la lutte de classe du prolétariat
et devenir d’actifs défenseurs des intérêts
prolétariens. Il
n’est pas rare que des intellectuels petits-bourgeois donnent à
leur idéologie une couleur socialiste et même
communiste.
Dans la lutte contre l’impérialisme, ils ont joué
et jouent encore aujourd’hui dans certains pays un rôle
révolutionnaire. Le mouvement de masse peut les entraîner
mais aussi les pousser dans le camp de la pire réaction ou
bien favoriser la diffusion, dans leurs rangs, de tendances
réactionnaires utopiques »[13].
Conscient
du danger que constitue la déviation nationaliste
petite-bourgeoise et bourgeoise pour les partis communistes dans les
colonies et semi-colonies, le VIème
congrès
précisait: « L’expérience
a démontré que dans la plupart des pays coloniaux et
semi-coloniaux, une partie importante, sinon prédominante des
cadres communistes est recrutée, au début, parmi la
petite bourgeoisie et notamment parmi les intellectuels
révolutionnaires, très fréquemment parmi les
étudiants. Il n’est pas rare que ces éléments
viennent au parti parce qu’ils voient en lui l’ennemi le
plus énergique de l’impérialisme; ils
ne comprennent cependant pas toujours assez que le parti communiste
n’est pas seulement un parti de lutte contre l’exploitation
impérialiste et l’oppression nationale, mais qu’il
lutte en tant que parti du prolétariat, énergiquement,
contre toute exploitation et oppression.
Au cours de la lutte révolutionnaire, un grand nombre de ces
communistes s’élèvent jusqu’au point de vue
de classe prolétarien, tandis qu’une partie d’entre
eux se débarrasse difficilement de l’état
d’esprit, des hésitations et des oscillations de la
petite-bourgeoisie. Ce
sont précisément ces éléments du parti
qui ont le plus de difficultés à apprécier avec
justesse, au moment critique, le rôle de la bourgeoisie
nationale,
et d’agir méthodiquement et sans hésitation dans
le problème de la révolution agraire, etc. Les pays
coloniaux n’ont aucune tradition social-démocrate, mais
ils n’ont aussi aucune tradition marxiste. Nos jeunes partis
doivent se débarrasser des survivances de l’idéologie
nationaliste petite-bourgeoise au cours de la lutte et de la
formation du parti, pour trouver la voie du bolchévisme »[14].
On
trouve là les racines et l’essence du maoïsme en
tant que déviation nationaliste petite bourgeoise puis
bourgeoise.
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