Rechercher sur le site

Retourner à la liste Imprimer 2000
Réflexions sur le maoïsme - Conclusion

Le maoïsme, un courant révisionniste

CONCLUSION GENERALE : LE MAOISME, UN COURANT REVISIONNISTE

La fin de la Seconde guerre mondiale a signifié d’une part la création d’un vaste camp socialiste auquel s’adjoint en 1949 la Chine populaire, et d’autre part un renforcement considérable de l’influence des partis communistes dans les autres pays. Dans les « démocraties populaires », les communistes sont confrontés à des tâches nouvelles depuis longtemps résolues en Union Soviétique. La tâche première des « démocraties populaires » était décrite de la manière suivante par les camarades soviétiques:

« Après l’écrasement des occupants allemands par l’Armée soviétique et le renversement des anciens régimes par les travailleurs des pays en question, les tâches fondamentales des fronts populaires étaient: anéantissement de la réaction, lutte pour l’indépendance nationale, démocratisation de la vie sociale et politique. En gros, ces tâches étaient réalisées en 1947-48. Elles ne constituent plus, aujourd’hui, un guide pratique pour l’action (...).»[1].

Après cette première étape se posait la question du devenir des « démocraties populaires ». Fallait-il considérer celles-ci comme une étape vers le socialisme ou les considérer comme un nouveau type d’Etat stable sur le long terme?.

Dans la plupart des « démocraties populaires » se développa un courant révisionniste demandant une « pause » et considérant que les alliances de classes de la première étape devaient être maintenues sur une longue période. C’est exactement ce que Mao préconise avec sa « démocratie nouvelle ». Le titisme comme le maoïsme ne sont, on le voit, que des variantes parmi d’autres du courant révisionniste qui se développa après la Seconde guerre mondiale. Le courant révisionniste s’appuya sur la thèse de la « spécificité » (encore une fois comme Mao) pour justifier ses déviations vers l’idéologie bourgeoise. Voici comment les marxistes-léninistes répondaient à cette déviation nationaliste:

« Il n’existe pas, pour les pays de démocratie populaire, de voie différente de celle suivie par l’U.R.S.S. pour arriver au socialisme. Et cependant il ne s’agit pas non plus d’une simple réédition de la voie suivie par l’U.R.S.S. L’identité porte sur les problèmes fondamentaux. Dans les deux cas, la voie est celle de l’industrialisation socialiste, de la collectivisation socialiste, de la lutte des classes intensives et de la suppression des classes exploiteuses, de l’union de la classe ouvrière avec la paysannerie laborieuse, le rôle dirigeant devant appartenir à la classe ouvrière, elle-même guidée par le Parti communiste. Les différences (aussi bien entre la voie suivie par l’Union soviétique et celles à suivre par les démocraties populaires, qu’entre les voies des divers pays de démocratie populaire eux-mêmes) concernent certaines particularités dans les mesures concrètes à adopter, les moyens de leur exécution, les formes et les rythmes du mouvement. Mais, en aucun cas, ces différences ne mettent en question l’identité des principes fondamentaux. Inversement, reconnaître le fond commun ne signifie pas qu’il faille passer outre les particularités conditionnées par le développement historique. Il serait, en effet, absurde de ne pas voir les différences qui existent entre la Tchécoslovaquie, pays industriel et l’Albanie pays agricole. Cependant, c’est une déviation nationaliste que de prétendre qu’il existe autant de voie menant au socialisme qu’il existe de pays »[2].

Dans les pays impérialistes disposant de puissants partis communistes, le même point de vue sur la « spécificité » se développait. Cette analyse révisionniste amenait les partis communistes à des positions opportunistes et électoralistes. Comme pour les démocraties populaires, la déviation nationaliste conduisait à vouloir maintenir indéfiniment les alliances de classes qui avaient été nécessaires dans le combat antinazi. Maurice Thorez théorisa cette déviation de droite dans sa fameuse interview au Times le 18 novembre 1946:

« Les progrès de la démocratie à travers le monde, en dépit de rares exceptions qui confirment la règle, permettent d’envisager, pour la marche au socialisme, d’autres chemins que celui suivi par les communistes russes. De toute façon, le chemin est nécessairement différent pour chaque pays. Nous avons toujours pensé et déclaré que le peuple de France, riche d’une glorieuse tradition, trouverait lui-même sa voie vers plus de démocratie, de progrès et de justice sociale »[3].

La mise en place du Kominform en septembre 1947 est le signe de la contre-attaque marxiste-léniniste face à la montée des tendances révisionnistes dans le Mouvement Communiste International. Le Kominform remet les pendules à l’heure marxiste-léniniste en critiquant très sévèrement les déviations nationalistes et de droite autant dans les pays de démocraties populaires que dans les pays comme la France et l’Italie.

Concernant les pays de démocratie populaire, Jdanov rappelle que l’objectif reste le socialisme. Il coupe court ainsi à toutes les spéculations sur une « troisième voie » entre capitalisme et socialisme que seraient les « démocraties populaires »:

« Dans ces pays, ce sont les représentants des ouvriers, des paysans, des intellectuels progressistes qui sont arrivés au pouvoir. Partout, dans ces pays, ce fut la classe ouvrière qui a manifesté le plus grand héroïsme, le plus de conséquence et d’intransigeance dans la lutte antifasciste, et, partant, son autorité et son influence se sont énormément accrues. Le nouveau pouvoir démocratique en Yougoslavie, en Bulgarie, en Roumanie, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Hongrie et en Albanie, s’appuyant sur les masses populaires, a réussi à réaliser, dans le délai le plus court, des transformations démocratiques progressistes telles que la bourgeoisie n’est déjà plus capable d’en faire. La réforme agraire a remis la terre aux paysans et a conduit à la liquidation de la classe des hobereaux. La nationalisation de la grande industrie et des banques et la confiscation de la propriété des traîtres qui avaient collaboré avec les Allemands ont sapé d’une manière radicale des positions du capital monopoliste dans ces pays et ont affranchi les masses de la servitude impérialiste. En même temps, ont été établis les fondements de la propriété de l’Etat. Un nouveau type d’Etat a été créé: la République populaire, où le pouvoir appartient au peuple, où la grande industrie, le transport et les banques appartiennent à l’Etat et où la force dirigeante est constituée par le bloc des classes travailleuses de la population, ayant à sa tête la classe ouvrière. Les peuples de ces pays se sont libérés de l’étau impérialiste, mais ils sont en train d’édifier les bases du passage vers le développement socialiste (souligné par nous) »[4].

Les déviations nationalistes et révisionnistes mises en cause par Jdanov (qui réaffirme le but socialiste et donc le caractère transitoire de la « démocratie populaire ») convergent toutes vers le « mythe d’une troisième voie » qui serait justifiée par les « spécificités nationales ». Au niveau économique, cette déviation s’exprima sous la forme de la « théorie du capitalisme d’Etat ». Elle fut développée par Varga:

« Dans son ouvrage « Les modifications dans l’économie du capitalisme à la suite de la deuxième guerre mondiale », l’académicien Varga qualifie l’industrie d’Etat des pays de démocratie populaire d’industrie capitaliste d’Etat. « Une grande partie des moyens de production de l’industrie, écrit-il, est passée au pouvoir et sous la direction de l’Etat, c’est à dire que le capitalisme d’Etat prédomine.. ». Il est vrai que, dans son discours prononcé en conclusion des débats consacrés au livre en question (mai 1947), E. Varga a reconnu s’être trompé. La question n’en mérite pas moins d’être examinée. Considérer l’industrie d’Etat des pays de démocratie populaire comme une forme de capitalisme d’Etat, c’est méconnaître l’essence même du régime de démocratie populaire, c’est oublier cette simple vérité que, dans la production capitaliste d’Etat, les bénéfices vont aux capitalistes et que cette production est basée sur l’existence de deux classes antagonistes: la bourgeoisie qui possède les moyens de production et le prolétariat qui, exploité, les fait fonctionner. (...). En ce qui concerne le secteur privé capitaliste, dont la part relative est insignifiante dans l’industrie et le commerce de gros, mais qui possède encore une certaine importance dans le commerce de détail, l’Etat de démocratie populaire applique à son égard une politique restrictive consistant dans la réglementation des fournitures de matières premières et de combustible, dans le contrôle des prix et dans le système fiscal. Cette politique est destinée à limiter, à isoler et finalement à évincer les éléments capitalistes »[5].

L’enjeu est donc de taille. Il ne s’agit ni plus ni moins que de poser la question de la nature du secteur d’Etat comme point d’appui à la limitation puis à l’éviction de la bourgeoisie, c’est à dire comme point d’appui du passage à l’étape socialiste de la révolution. Le concept de « capitalisme d’Etat » a, en effet, été utilisé en U.R.S.S. à la période de la N.E.P., mais c’était là une période de « recul provisoire »:

« Le capitalisme d’Etat était, à côté du secteur socialiste, une forme d’organisation économique adoptée par l’U.R.S.S. au sortir de la guerre civile, alors que l’économie délabrée exigeait le concours de capitalistes russes et étrangers dans certaines limites et pour un certain temps, sous le contrôle de l’Etat prolétarien. Ce qui est important à retenir, c’est que le capitalisme d’Etat, recul provisoirement nécessaire, n’a représenté à aucun degré une forme de transition vers le socialisme, celui-ci ayant été réalisé par l’élargissement du secteur socialiste et le développement de la coopération paysanne »[6].

Ni capitalisme d’Etat, ni capitalistes, les démocraties populaires ne s’assimilent pas non plus à l’Etat soviétique. Elles sont une étape transitoire vers l’Etat soviétique, étape que les révisionnistes ont voulu figer comme Mao l’a fait avec sa théorie de la « démocratie nouvelle ». Comme l’expliquent les stalinistes:

« La forme de l’Etat des pays de démocratie populaire est celle de la république populaire, dont la base politique est constituée par les comités populaires, les conseils populaires, les comités nationaux, tous élus au suffrage universel et égal. Tous les organismes du pouvoir, inférieurs, moyens et supérieurs, sont élus au suffrage direct. Une des formes de l’union de la classe ouvrière et de son parti avec les masses laborieuses dans les pays de démocratie populaire est celle des fronts populaires, type d’organisation qui n’existait pas en U.R.S.S. La classe ouvrière elle-même, qui est cependant la classe dirigeante dans les pays de démocratie populaire, ne possède aucun avantage au point de vue électoral sur les paysans, comme cela a été le cas en Union Soviétique dans la première phase de son développement et jusqu’à la constitution de 1936. Toutefois, si la forme de l’Etat dans les pays de démocratie populaire est différente de la forme soviétique dans la première phase de son développement, la loi essentielle du passage du capitalisme au socialisme n’est pas modifiée, à savoir: l’Etat exerce la dictature révolutionnaire du prolétariat. (...). Entre l’Etat des pays de démocratie populaire et l’Etat soviétique actuel, il existe une différence de développement historique: l’Etat de l’U.R.S.S. est celui du socialisme vainqueur, l’Etat des pays de démocratie populaire est celui du socialisme en construction »[7].

Ces précisions étaient nécessaires dans la mesure où ce sont sur ces aspects que se sont développées les déviations nationalistes et révisionnistes autant dans les démocraties populaires qu’en Chine. C’est en effet autour de deux questions que le révisionnisme est passé à l’attaque: la question des fronts populaires et du rôle dirigeant du prolétariat et de son parti d’une part et la question paysanne d’autre part. Dans la plupart des pays, les déviations furent corrigées, ce qui obligea Khrouchtchev à éliminer les dirigeants des partis communistes pour parvenir à ses fins. En Yougoslavie, non seulement elles se sont maintenues, mais ont abouti à une trahison complète. Le Parti communiste de l’Union Soviétique, Staline lui-même et le Kominform auront eu le grand mérite de démasquer les renégats yougoslaves et le danger qu’ils faisaient courir aux démocraties populaires.

La réunion du Kominform insista sur la nécessité de passer à une nouvelle étape dans la transition au socialisme et sur l’aiguisement de la lutte des classes au cours de ce processus. Elle stigmatisa les nombreuses erreurs révisionnistes. Voici l’analyse des soviétiques rappelant en 1949 la réunion du Kominform:

« Aujourd’hui, l’union de la classe ouvrière et de la paysannerie signifie: prendre appui sur les petits paysans et renforcer l’union avec les paysans moyens. Elle est maintenant dirigée contre les éléments capitalistes de la campagne et des villes, pour aboutir concrètement au refoulement et à l’élimination des éléments capitalistes, au renforcement des éléments socialistes, à une aide accrue aux exploitations des paysans laborieux, au développement des coopératives agricoles. (...). Cette intensification de la lutte des classes est dans la nature des choses. Les survivants de la réaction intérieure sont soutenus et inspirés par les impérialistes anglo-américains. (...). Les éléments appartenant aux classes ennemies s’efforcent aussi d’agir sur les partis ouvriers eux-mêmes. C’est leur influence qui explique que, depuis fin 1947, les éléments nationalistes, chauvins dominent dans le parti communiste yougoslave où ils ne s’étaient pas manifestés auparavant. Ils font ainsi peser sur le peuple yougoslave la menace d’une transformation de la Yougoslavie en un Etat bourgeois. En Pologne la déviation opportuniste et nationaliste s’est manifestée dans la position de l’ancien secrétaire général du Comité Central du Parti de Pologne Gomulka. Sous-estimant le caractère exploiteur de la classe des koulaks, il a pensé que la Pologne pourrait parvenir au socialisme par des voies qui lui seraient « propres ». En fait, cette voie propre n’était rien d’autre que la théorie du « juste milieu », une troisième voie qui se situerait quelque part entre le capitalisme et le socialisme, comparable aux « troisièmes forces » occidentales. Comme on sait, le Parti ouvrier polonais a vaincu cette tendance opportuniste et s’est encore renforcé sur la base de la lutte des classes. Certaines erreurs ont également été commises dans la direction du Parti communiste bulgare, surtout par la sous-estimation de la nécessité d’intensifier la lutte des classes dans la période de transition menant au socialisme. On a parlé en Bulgarie (comme d’ailleurs en Pologne et en Roumanie) de rapports harmonieux qui seraient possibles entre les trois secteurs de l’économie nationale (secteur d’Etat, secteur capitaliste, secteur du petit commerce et des boutiquiers). Cette théorie des rapports harmonieux entre les trois secteurs était en fait l’équivalent de la théorie « de l’équilibre » fustigée par Staline en 1929 »[8]

En Chine aussi, Mao prétendait que la bourgeoisie pouvait construire le socialisme « compte tenu des spécificités nationales ». C’était la version chinoise de la théorie des « rapports harmonieux » ou de la théorie de « l’équilibre ». C’était le retour en force du « boukharinisme ». Nous sommes bien en présence d’une offensive révisionniste internationale soutenue par les impérialistes.

Analysons encore un dernier aspect commun à Tito, aux autres révisionnistes des démocraties populaires et à Mao: la question du pouvoir, des fronts populaires, de la classe dirigeante.

Voici comment le Polonais Bierut analyse les erreurs de son parti:

« Le système de pensée du camarade Wladyslaw (Gomulka; précisé par nous) est entâché d’un particularisme national, d’un esprit national borné, qui rétrécit l’horizon politique et ne permet pas de voir la liaison étroite qui existe à l’époque actuelle entre les aspirations nationales et les aspirations internationales; il aboutit à des conclusions politiques fausses et très nuisibles. De là, la tendance à détacher, dans l’analyse du passé du mouvement ouvrier polonais, le problème de l’indépendance de celui de la lutte de classe du prolétariat, de là l’interprétation erronée de la nature de la démocratie populaire, des transformations qui s’opèrent dans son sein, de là aussi le glissement sur des positions d’un « juste milieu » entre la démocratie bourgeoise libérale et la démocratie socialiste. (...). Ces erreurs découlent d’une position absolument fausse, anti-léniniste, dans la question nationale, d’une position opportuniste absolument fausse dans la question paysanne. Il y a là une analogie frappante avec des phénomènes similaires qui n’ont pas été freinés et qui ont abouti à une dégénérescence totale en Yougoslavie. Les liens de parenté entre ces phénomènes ne sont pas fortuits, car ils sont de la même origine »[9].

Les éléments d’analyses que nous avons présentés au long de cette brochure ont de nombreux points communs avec les critiques avancées par Bierut. Cela nous amène à caractériser le maoïsme comme un révisionnisme de la même nature que le titisme et que tous ceux qui furent combattus par Staline, l’IC et le Kominform.

Ces aspects ne nous font pas conclure que Mao n’a rien fait de positif. Ils indiquent simplement que le P.C.C. et Mao ont pu globalement mener à bien les tâches de la première étape de la révolution, mais que l’intensification de la lutte des classes liée à la transition au socialisme les ont conduit vers la conciliation avec la « bourgeoisie nationale ». Nous avons montré dans nos chapitres les racines historiques, idéologiques, philosophiques et politiques qui rendaient le P.C.C. et Mao incapables de mener en bolchévik la transition socialiste. Mao n’est pas le seul à être passé de l’inconséquence dans la compréhension du marxisme-léninisme au révisionnisme. Voici comment Bierut explique le révisionnisme de Gomulka:

« Au moment où les forces essentielles de la réaction fasciste ont été écrasées, la démocratie populaire en Pologne est entrée dans une nouvelle phase de développement. Mais dès le moment où les capitalistes et les éléments spéculateurs qui tiraient profit des difficultés de la période d’après-guerre et exploitaient la paysannerie pauvre, ont commencé à se renforcer, une autre contradiction fondamentale est apparue entre les forces populaires, foncièrement démocratiques, c’est à dire les ouvriers et les paysans travailleurs, d’une part, et les forces capitalistes dans les villes et les campagnes, d’autre part. C’est alors que des fissures se sont fait jour dans la position de combat du camarade Wladyslaw et que s’est révélée sa faiblesse idéologique. Il est hors de doute que ce n’est pas seulement dans notre pays, mais aussi dans les autres pays de démocratie populaire (comme l’atteste éloquemment le signal d’alarme yougoslave) que la contradiction entre les forces capitalistes et anti-capitalistes existant en régime de démocratie populaire, prend de plus en plus une place de premier plan, ainsi que l’indique la résolution. Les forces capitalistes voudraient voir la « frigorification » du rapport des forces actuelles, en attendant une situation plus propice. Elles aspirent à une « stabilisation » qui maintiendrait dans le système de la démocratie populaire, même dans la mesure actuelle, les possibilités de développement des éléments capitalistes car ils comptent sur leur souplesse et le fait que le capitalisme naît organiquement de la petite économie marchande, ils comptent aussi sur un appui éventuel de l’extérieur (...) »[10].

Une nouvelle fois, les propos de Bierut peuvent entièrement s’appliquer au P.C.C. et à Mao Tsé-Toung. Pour n’avoir pas réussi sa bolchévisation, pour avoir rejeté par nationalisme les conseils de l’I.C. et de Staline, le P.C.C. et Mao n’ont pas réussi à rompre avec le socialisme petit-bourgeois, le socialisme paysan qui dans les pays coloniaux et semi-coloniaux prend des formes spécifiques. Ces aspects ont déjà été analysés depuis longtemps par l’I.C.:

« Dans les pays coloniaux, le communisme se heurte, au sein du mouvement ouvrier, à l’influence de courants particuliers qui jouèrent un rôle positif important dans une certaine phase de leur développement, mais qui, dans la nouvelle étape de ce développement, deviennent une force conservatrice. Le sun-yatsénisme, comme idéologie du socialisme petit-bourgeois, a joué un rôle positif considérable durant la première phase de la révolution chinoise. Cependant, grâce à la différenciation des classes dans le pays et au développement ultérieur de la révolution chinoise, le sun-yatsénisme, parce qu’il a une conception « démocratique », « au-dessus des classes » du socialisme, s’est transformé en une force conservatrice qui entrave le développement de la révolution. Les courants comme le ghandisme dans les Indes, complètement imprégnés d’idées religieuses, qui prêchent la passivité et nient la lutte des classes, se transforment, au cours du développement de la révolution, en une force ouvertement réactionnaire. Ils doivent être l’objet d’une lutte énergique de la part du communisme »[11].

La victoire du courant maoïste au sein du P.C.C. a signifié un retour du sun-yatsénisme. Cela allait certes permettre au P.C.C. de prendre le pouvoir et de réaliser les tâches de la révolution démocratique bourgeoise, mais cela allait aussi le rendre incapable de diriger le passage à l’étape socialiste de la révolution. Dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, le maoïsme va permettre à de nombreux partis de justifier leurs tendances au « socialisme petit-bourgeois ». En Occident, il sera investi consciemment ou non par de nombreux petit-bourgeois comme une alternative au « stalinisme ». Le maoïsme était ainsi la version « révolutionnaire » de l’anti-stalinisme qui lui-même n’était que le « cheval de Troie » de l’impérialisme, pour reprendre l’expression de Nina Andréyéva, la secrétaire générale du Parti communiste des bolchéviks de toute l’Union Soviétique.

Nous qui voulons contribuer à construire le parti du prolétariat, devons rompre avec cette forme de révisionnisme et nous éduquer en bolchévik avec l’œuvre théorique et pratique de Staline et de l’Internationale Communiste.

A partir de tous ces éléments nous pouvons mieux comprendre les critiques sévères de Staline à l’égard de Mao, que ce dernier a lui-même révélé:

« Staline a commis un certain nombre d’erreurs au sujet de la Chine. Il fut à l’origine de l’aventurisme « de gauche » de Wang Ming, vers la fin de la Deuxième guerre civile révolutionnaire, et de son opportunisme de droite, au début de la Guerre de Résistance contre le Japon. Pendant la période de la Guerre de libération, d’abord, il ne nous autorisa pas à faire la révolution, affirmant qu’une guerre civile risquerait de ruiner la nation chinoise. Puis lorsque la guerre eut éclaté, il se montra sceptique à notre endroit. Quand nous eûmes gagné la guerre, il soupçonna que c’était là une victoire du genre de celle de Tito (souligné par nous) et, en 1949 et 1950, il exerça sur nous une très forte pression »[12].

Cet aveu de Mao sur la parenté idéologique entre le maoïsme et le titisme, parentée démasquée en son temps par Staline, est fondamental. En effet, comme l’analysa l’Internationale Communiste lors de son VIème congrès en 1928: « Les intellectuels petits-bourgeois, les étudiants, etc, sont très souvent les représentants les plus énergiques, non seulement des intérêts spécifiques de la petite bourgeoisie, mais encore des intérêts objectifs et généraux de l’ensemble de la bourgeoisie nationale. Dans la première période du mouvement national, ils interviennent fréquemment comme champions des aspirations nationales. Leur rôle est relativement grand à la surface du mouvement. (...) La vague révolutionnaire montante peut les pousser dans le mouvement ouvrier, où ils apportent leur idéologie petite-bourgeoise hésitante et indécise. Quelques-uns seulement peuvent rompre avec leur classe, au cours de la lutte, s’élever jusqu’à concevoir les tâches de la lutte de classe du prolétariat et devenir d’actifs défenseurs des intérêts prolétariens. Il n’est pas rare que des intellectuels petits-bourgeois donnent à leur idéologie une couleur socialiste et même communiste. Dans la lutte contre l’impérialisme, ils ont joué et jouent encore aujourd’hui dans certains pays un rôle révolutionnaire. Le mouvement de masse peut les entraîner mais aussi les pousser dans le camp de la pire réaction ou bien favoriser la diffusion, dans leurs rangs, de tendances réactionnaires utopiques »[13].

Conscient du danger que constitue la déviation nationaliste petite-bourgeoise et bourgeoise pour les partis communistes dans les colonies et semi-colonies, le VIème congrès précisait: « L’expérience a démontré que dans la plupart des pays coloniaux et semi-coloniaux, une partie importante, sinon prédominante des cadres communistes est recrutée, au début, parmi la petite bourgeoisie et notamment parmi les intellectuels révolutionnaires, très fréquemment parmi les étudiants. Il n’est pas rare que ces éléments viennent au parti parce qu’ils voient en lui l’ennemi le plus énergique de l’impérialisme; ils ne comprennent cependant pas toujours assez que le parti communiste n’est pas seulement un parti de lutte contre l’exploitation impérialiste et l’oppression nationale, mais qu’il lutte en tant que parti du prolétariat, énergiquement, contre toute exploitation et oppression. Au cours de la lutte révolutionnaire, un grand nombre de ces communistes s’élèvent jusqu’au point de vue de classe prolétarien, tandis qu’une partie d’entre eux se débarrasse difficilement de l’état d’esprit, des hésitations et des oscillations de la petite-bourgeoisie. Ce sont précisément ces éléments du parti qui ont le plus de difficultés à apprécier avec justesse, au moment critique, le rôle de la bourgeoisie nationale, et d’agir méthodiquement et sans hésitation dans le problème de la révolution agraire, etc. Les pays coloniaux n’ont aucune tradition social-démocrate, mais ils n’ont aussi aucune tradition marxiste. Nos jeunes partis doivent se débarrasser des survivances de l’idéologie nationaliste petite-bourgeoise au cours de la lutte et de la formation du parti, pour trouver la voie du bolchévisme »[14].

On trouve là les racines et l’essence du maoïsme en tant que déviation nationaliste petite bourgeoise puis bourgeoise.



[1] Farbérov N., « Les démocraties populaires, une étape vers le socialisme », Revue Etudes soviétiques, n° 15, juillet 1949, p. 21.

[2] Idem, p. 23.

[3] Histoire du Parti communiste français, manuel, Editions sociales, Paris, 1964, p. 486.

[4] Jdanov, Rapport sur la situation internationale, septembre 1947, op. cit., pp. 2-3.

[5] N. Farbérov, op. cit., p. 18-19.

[6] Idem, p. 18.

[7] Idem, p. 24.

[8] Idem, p. 22.

[9] Discours de Boleslaw Bierut, in Bulletin international n° 2, février 1978, pp. 16-17.

[10] Idem, p. 17-18.

[11] Projet de Programme de l’Internationale Communiste, op. cit., p. 35.

[12] Mao Tsé-Toung, « Sur les dix grands rapports », Oeuvres choisies, Tomes V, Editions en langues étrangères, Pékin, 1977, p. 328.

[13] Numéro spécial de La Corresponda nce Internationale, n°149, 11 décembre 1928, pp. 1733/1734.

[14] Idem, p. 1737.


Retourner à la liste Haut de page


RCC, 2024 | http://www.rassemblementcommuniste.fr/chb | cerclebarbusse@gmail.com