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Réflexions sur le maoïsme - Chapitre 1

Le PCC, l'Internationale et Joseph Staline

CHAPITRE 1: LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS, L’INTERNATIONALE ET JOSEPH STALINE

Au XXème congrès du P.C.U.S. s’est forgé le mythe de Mao et du P.C.C. défenseurs de l’œuvre théorique et pratique de Joseph Staline. Certes Mao prit la défense de Staline contre Khrouchtchev mais d’une bien étrange manière. En fait, si Mao s’oppose à Khrouchtchev, il reproche surtout à ce dernier la « forme » de l’attaque contre Staline. Sur le fond, il déclare de nombreux accords avec Khrouchtchev. Que ce soit sur la question des positions de l’I.C. à propos de la Chine ou à propos de la construction du socialisme en U.R.S.S., Mao reprend de nombreuses calomnies bourgeoises contre le camarade Staline.

1) Mao et les positions de Staline et de l’I.C. sur la Chine

Dans la brochure Sur la question de Staline datée de 1963, le Parti Communiste Chinois (PCC) écrit:

« Lorsque nous prenons la défense de Staline, ce ne sont pas ses erreurs que nous défendons. Les communistes chinois ont, il y a longtemps, fait par eux-mêmes l’expérience personnelle de certaines erreurs de Staline. Des erreurs de ligne furent commises au sein du P.C.C., ce fut tantôt l’opportunisme « de gauche », tantôt celui de droite. Pour ce qui est de leurs causes internationales, quelques-unes d’entres-elles se firent jour sous l’influence de certaines erreurs de Staline. Dès la fin des années 20, puis durant les années 30, enfin au début et au milieu des années 40 »[1].

Les années 20, 30 et 40, cela fait décidement beaucoup. En fait, Mao considère que l’I.C. et Staline se sont trompés pendant toute la durée de la révolution chinoise. Les marxistes-léninistes étaient tellement focalisés sur la trahison de Khrouchtchev qu’ils n’ont pas accordés d’importance à cette attaque plus subtile de l’œuvre de l’I.C.

a) Les années 20 :

L’oppression impérialiste soulève dans la Chine du début du siècle une révolte grandissante. Les aspirations nationales ne cessent de se développer. Pourtant la Chine manque à cette époque des formes organisationnelles et des analyses théoriques permettant à cette révolte de se transformer en mouvement révolutionnaire. La victoire de la révolution d’Octobre en Russie aura une influence décisive sur cette fermentation révolutionnaire. En premier lieu, elle accélère la transformation du Kuomintang qui passe d’une organisation de conspirateurs à un véritable mouvement de libération nationale. Les formes d’organisations du mouvement communiste sont adoptées par le Kuomintang et celui-ci prend la direction des aspirations anti-impérialistes. En second lieu, de nombreux membres du Kuomintang sont attirés vers le communisme du fait de l’écho de la révolution russe. Ils y arrivent cependant en ne percevant pas toujours la différence entre nationalisme radical et marxisme-léninisme. Le premier congrès du P.C.C. regroupe des idéologies très différentes. Voici comment l’I.C. décrit ce congrès:

« En juillet 1921, se tint à Shanghai le premier congrès du Parti Communiste de Chine. Il réunit treize délégués. Ceux-ci n’étaient pas tous communistes. Il y avait parmi eux des adeptes de l’anarchisme, du marxisme légal, du socialisme biblique et des compagnons de route fortuits du mouvement communiste »[2].

Pendant les années qui suivirent, le prolétariat des villes engage des luttes de grandes ampleurs. La bourgeoisie nationale et la petite bourgeoisie du Kuomintang se radicalisent. Le P.C.C. ne dispose cependant pas d’une analyse scientifique de la situation lui permettant d’utiliser les potentialités révolutionnaires de la situation. Ainsi le deuxième congrès de juillet 1922 qui décide l’adhésion à l’I.C. est analysé de la manière suivante par l’I.C.:

« Ce programme d’action, de même que les autres décisions prises par le deuxième congrès du Parti Communiste de Chine, trahit une certaine faiblesse du Parti: l’insuffisance de sa participation à la lutte de libération nationale, la sous-estimation de la question nationale et paysanne, ainsi que la sous-estimation de la lutte pour gagner et diriger les masses paysannes ».[3]

Ces aspects essentiels ne furent corriger qu’avec l’aide de l’I.C. Conformément à sa mission et à ses statuts, l’I.C. se penche sur la question chinoise et propose un changement radical d’analyse et de stratégie. Une décision spéciale du Comité Exécutif de l’I.C. en date du 12 janvier 1923 est prise. Elle déclare:

« En Chine, l’unique groupement national révolutionnaire important est le parti du Kuomintang, qui s’appuie en partie sur la bourgeoisie libérale démocratique et la petite bourgeoisie et, en partie, sur les intellectuels et les ouvriers. Vu que le mouvement ouvrier indépendant est encore faible dans le pays, et que le problème cardinal, pour la Chine, est la révolution nationale contre les impérialistes et leurs agents féodaux à l’intérieur; vu enfin que la classe ouvrière, directement intéressée à la solution de ce problème national-révolutionnaire, n’est pas encore suffisamment différenciée en tant que force spéciale tout à fait indépendante, le C.E. de l’I.C. estime nécessaire de coordonner l’action du parti du Kuomintang et du jeune Parti communiste chinois. (...). Soutenant le Kuomintang dans toutes les campagnes qu’il mène sur le front national-révolutionnaire pour autant que ce parti mène une politique objectivement juste, le Parti communiste chinois ne doit cependant pas fusionner avec ce parti et ne doit pas, au cours de ces campagnes, replier son propre drapeau »[4].

L’analyse de l’I.C. fut adoptée par le troisième congrès du P.C.C. du 7 février 1923 en rencontrant cependant des oppositions de « gauche » et de droite. L’opposition de « gauche » refusait l’adhésion au Kuomintang alors que la droite concevait cette adhésion comme la fin du travail indépendant du parti. Cette nouvelle ligne politique permit au P.C.C de se développer et de s’implanter tant au sein du mouvement anti-impérialiste qu’au sein de la classe ouvrière. Cependant, le troisième congrès ne tint pas compte d’un autre aspect de la directive du C.E. du Komintern:

« En outre, le troisième congrès adopta le nouveau programme du parti, qui se distinguait avantageusement des programmes précédents en ce qu’il détaillait davantage les revendications qui visaient à la liquidation de la domination impérialiste et l’abolition de l’asservissement féodal et militariste. Mais ce programme, de même que les programmes précédents, ne tenaient nullement compte des revendications fondamentales des masses paysannes. Cette lacune doit être relevée, d’autant plus que la directive spéciale du C.E. de l’I.C.au troisième congrès du P.C. de Chine insistait sur l’importance primordiale d’une juste solution de la question paysanne, et indiquait les mots d’ordre fondamentaux de la révolution agraire, dont le principal était « confiscation, sans indemnité, des terres des grands propriétaires fonciers au profit des paysans » (...). Les décisions du troisième congrès du P.C. de Chine ne tinrent pas compte de ces directives du C.E. de l’I.C. ».[5]

Les déviations opportunistes de droite et de « gauche » s’expriment alors en Chine à la fois sur la question du front avec le Kuomintang comme nous l’avons dit ci-dessus, mais également sur la question paysanne. Pour les gauchistes (alors dominants au P.C.C.) la question de l’action des communistes en direction de la paysannerie est secondaire, voire inutile. Pour les droitiers, l’action en direction de la paysannerie est considérée comme première et conduit à occulter la nécessaire direction par le prolétariat du mouvement paysan. Le P.C.C. ne résoudra jamais correctement la question paysanne et ne cessera d’effectuer un mouvement de bascule entre les opportunismes de droite et de « gauche ». L’I.C. analyse de la manière suivante les racines théoriques de cette incapacité à résoudre scientifiquement la question paysanne. Voici ce qu’elle développe à propos du quatrième congrès qui sous-estime une nouvelle fois le travail pour la conquête du mouvement paysan:

« Le quatrième congrès commit une erreur fondamentale en n’exposant pas d’une façon détaillée ces revendications partielles de la paysannerie et en ne les rattachant pas au mot d’ordre cardinal « Confiscation sans indemnité de la grande propriété foncière au profit de la paysannerie ». Cette erreur provenait d’une fausse conception des étapes de la révolution chinoise. Ainsi dans les thèses du quatrième congrès sur le « mouvement national-révolutionnaire », il était dit que l’étape du front unique de libération nationale serait immédiatement suivie de l’étape de la révolution socialiste prolétarienne. L’étape de la révolution agraire, qui devait constituer la suite de la révolution anti-impérialiste et la consolider, était donc sautée »[6].

L’alliance solide du Kuomintang de Sun Yatsen et des communistes, le développement du mouvement ouvrier dans les villes, de l’organisation des paysans dans les campagnes, les victoires militaires des armées du Kuomintang dans lesquelles se trouvent de nombreux communistes, etc., aboutissent à une accélération du processus révolutionnaire. Voici comment l’I.C. analyse cette période:

« La révolution en Chine et plusieurs insurrections dans les colonies sont devenues le plus grand facteur de l’ébranlement de la stabilisation temporaire du capitalisme. La grève générale du 30 mai 1925 à Shanghai, la lutte héroïque du prolétariat de Hong-Kong et de Canton en 1925 et 1926, l’expédition du Nord de l’armée cantonaise et l’occupation par elle de la Chine méridionale et centrale jusqu’à la vallée du Yangzi (en hiver 1926-1927) ont retenu l’attention du monde entier »[7].

Le développement des luttes de masses et le renforcement des communistes au sein du mouvement de libération nationale font peur à la bourgeoisie nationale et la jettent dans le camp de la contre-révolution. Le coup d’Etat contre-révolutionnaire de Tchang Kaï-chek des 11 et 12 avril 1927 marque le passage de la bourgeoisie nationale à la contre-révolution. La répression contre les ouvriers et les communistes fut sanglante. La révolution change d’étape. Les divergences avec l’I.C., dont parle Mao pour la fin de la décennie 20, concernent ces événements. Pour Mao, nous avons affaire à une « trahison de la clique réactionnaire du Kuomintang » alors que pour Staline et l’I.C., nous assistons au passage à une nouvelle étape de la révolution caractérisée par le passage de la bourgeoisie nationale à la contre-révolution. Ecoutons Staline et Mao sur ces mêmes événements:

Staline: « Le coup d’Etat de Tchang Kaï-chek signifie que la révolution est entrée dans la seconde étape de son développement, qu’on est au début d’un tournant de la révolution du front unique national vers la révolution des masses ouvrières et paysannes innombrables, vers la révolution agraire.»[8].

Mao: « Cette révolution s’est terminée par une défaite parce qu’en 1927 la clique de réactionnaires dans le Kuomintang, qui était alors notre allié, a trahi la révolution; parce que les forces combinées des impérialistes et de la clique réactionnaire du Kuomintang étaient alors trop puissantes »[9].

La divergence n’est pas secondaire, elle porte sur l’analyse de classe de la révolution chinoise. Pour Staline, la bourgeoisie nationale a épuisé ses potentialités révolutionnaires et se situe désormais dans le camp de la contre-révolution. Pour Mao, nous avons la trahison d’une « clique réactionnaire ». Pour Mao, nous sommes en présence d’une défaite alors que pour Staline, nous sommes en présence d’une progression du processus révolutionnaire. En fait, Mao considère que la bourgeoisie nationale n’a pas trahi. Il analyse la période comme n’étant constituée que d’une seule étape, celle de « la démocratie nouvelle ». L’analyse de classe est remplacée par une explication en terme de « clique traître ». L’explication de la situation à partir des intérêts des classes sociales en présence est remplacée par une explication en terme de « morale ». La bourgeoisie nationale n’est pas analysée comme une classe sociale vacillante et stratégiquement « traître » à la révolution nationale anti-impérialiste.

A la même époque (début 1927), Mao rédige son « rapport sur l’enquête menée dans la province du Hunan à propos du mouvement paysan »[10]. Il y développe une analyse faisant des paysans pauvres la classe dirigeante de la révolution. Mao est visiblement impressionné par une « révolution rurale d’une ampleur encore inconnue ». Il considère que ce mouvement de révolte doit devenir l’axe stratégique central des communistes afin « d’encercler les villes par les campagnes, puis de prendre les villes ». C’était là proposer d’abandonner les villes et le prolétariat pour ne concentrer les forces que sur le mouvement paysan.

La divergence avec l’I.C. et Staline ne porte pas sur l’importance de la question paysanne. Nous avons cité ci-dessus les nombreuses critiques de l’I.C. au P.C.C. portant sur la sous-estimation de la question paysanne. Pour combattre cette dérive gauchiste, Mao sombre dans une idéalisation du mouvement paysan oubliant au passage une des bases du marxisme: la direction par le prolétariat, même faible numériquement, de l’alliance entre ouvriers et paysans.

L’I.C. critiqua sévèrement le rapport de Mao et celui-ci fut exclu du bureau politique du P.C.C. Il n’y reviendra qu’en 1935. Voici comment le maoïste Jean Baby associe les calomnies contre Staline (en reprenant les attaques des trotskistes) et la présentation de ce rapport: « Mao Tsé-Toung avait vainement insisté sur la nécessité de soutenir le mouvement révolutionnaire des villes par celui des campagnes. Mais pour Staline il s’agissait de ne rien faire qui puisse inquiéter la bourgeoisie du Kuomintang avec qui il voulait à tout prix maintenir le contact. Bien que Mao Tsé-Toung ait eu entièrement raison, il fut exclu du Bureau Politique. Les directives données par Staline avaient coûté la vie aux quatre cinquièmes des communistes (...). Mao Tsé-Toung avait rédigé, au début 1927 un « rapport sur l’enquête menée dans la province du Hunan à propos du mouvement paysan ». Ce rapport, est, sans contestation possible un modèle de ce que doit être une analyse marxiste d’une situation concrète examinée sous tous ses aspects. Il n’en reste pas moins que ce rapport, qui est une importante contribution à la science marxiste-léniniste, a été rejeté par le secrétaire de l’Internationale et plus spécialement par Staline. C’est ce rapport qui a valu à Mao Tsé-Toung d’être exclu du Bureau Politique où il ne rentrera qu’en 1935 »[11].

L’approche de l’I.C. et de Mao de la question paysanne est fondamentalement contradictoire. Pour Staline, les communistes devaient être à l’avant-garde de la révolution agraire mais la paysannerie ne pouvait pas de par ses caractéristiques socio-économiques être la classe dirigeante. Pour Mao, impressionné par l’ampleur et la radicalité du mouvement paysan, se basant uniquement sur l’argument quantitatif d’une paysannerie largement majoritaire et sur la pauvreté de la masse des paysans, la paysannerie pauvre devenait la classe révolutionnaire par excellence. Comme pour la bourgeoisie nationale, nous avons ici une approche subjective des classes sociales.

b) La conférence de Zunyi (janvier 1935) :

Le coup d’Etat de Tchang Kaï-chek eut pour résultat la création de deux gouvernements, l’un réactionnaire à Nankin et l’autre regroupant la gauche du Kuomintang et les communistes à Wuhan, dans la Chine centrale. Le Vème congrès du P.C.C. se tint en pleine légalité dans le gouvernement de Wuhan le 27 avril 1927. Les communistes s’y présentaient avec de nombreux succès. Le PCC était devenu un parti de masse regroupant prés de 60 000 membres dont 53,8 % étaient ouvriers. La direction qui en sortit resta cependant largement dominée par l’opportunisme de droite. Pour ne pas gêner les chefs du Kuomintang de gauche, les dirigeants du P.C.C. (autour de Chen Duxiu) freinaient le mouvement paysan. L’Internationale Communiste intervint à plusieurs reprises pour corriger ses erreurs. Ainsi la résolution de la VIIIeme assemblée plénière du C.E. de l’I.C. déclare en mai 1927:

« L’essentiel aujourd’hui, c’est que les dizaines et les centaines de millions de paysans résolvent eux-mêmes, par en bas, d’une manière révolutionnaire et « plébéienne » le problème agraire. Il faut rapidement, hardiment et résolument appliquer une politique d’armement de classe des ouvriers et paysans »[12].

Staline lui-même envoie un télégramme le 1er juin d’une clarté exemplaire: « Nous sommes résolument pour la prise effective de la terre par en bas. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas se détacher du mouvement ouvrier et paysan, mais y contribuer par tous les moyens (...). Il faut attirer au C.C. du Kuomintang le plus possible de nouveaux leaders paysans et ouvriers de la base. Leur voix hardie rendra les vieillards résolus ou les mettra au rencart (...)Organisez, pendant qu’il n’est pas trop tard, votre propre armée sûre. Sinon, il n’est point de garantie contre les échecs »[13].

Les propos de Staline sonnent comme une prophétie au regard des événements qui vont suivre. En fait, il s’agit d’une analyse marxiste et scientifique d’un processus révolutionnaire et de la dynamique des alliances qu’il contient. De la même façon que le coup d’Etat de Tchang Kaï-chek était prévisible au fur et à mesure du développement du mouvement de masse et du parti communiste, celui de la gauche du Kuomintang était prévisible pour les mêmes raisons. Elle survint en juillet 1927 et ouvrit une période de réaction noire et de massacre des communistes.

A la demande de l’I.C., le P.C.C. réunit le 7 août 1927 une conférence extraordinaire qui démit la direction opportuniste de droite.

Pour l’I.C., ces événements signifiaient le passage à la contre-révolution des couches moyennes et de nombreux éléments de la petite-bourgeoisie citadine. Le P.C.C., dans cette phase de réaction, défendit les armes à la main les conquêtes de la révolution en particulier au moment de l’insurrection de Nanchang (août 1927) et de la commune de Canton (décembre 1927). Pour le Veme congrès de l’I.C., la commune de Canton représente le passage à une nouvelle étape de la révolution chinoise:

« La révolution en Chine et plusieurs insurrections dans les colonies sont devenues le plus grand facteur de l’ébranlement de la stabilisation temporaire du capitalisme (...). L’insurrection de Canton (décembre 1927) est devenue le point de démarcation entre l’étape du Kuomintang et l’étape soviétique ».[14]

Après les erreurs commises par la direction opportuniste de droite jusqu’en août 1927, le P.C.C. paya également chèrement la politique gauchiste et putschiste de la direction de Li Lisan:

« Jusqu’en été 1930, le Parti communiste de Chine, menant une ligne en général juste[15], avait remporté des succès considérables, dans tous les domaines de son activité. Mais en été 1930, dans les conditions de l’essor de la lutte révolutionnaire, la ligne de Li Lisan, contraire à la position et à la ligne de l’Internationale Communiste, commença à avoir le dessus à la direction du parti. Toute la politique de Li Lisan escomptait le développement rapide de la révolution chinoise et mondiale. Considérant que la situation révolutionnaire était arrivée à sa maturité sur tout le territoire de la Chine, il engageait le Parti à organiser partout des soulèvements, notamment dans les principaux centres du pays. Ces soulèvements se transformaient en de véritables actes putschistes »[16].

C’est à cette période que rentrent de Moscou ceux qui seront appelés par Mao le groupe des « 28 bolchéviks et demi ». Ces communistes accèdent à la direction du parti à la session de janvier 1931. C’est ce groupe de communistes formés à Moscou et en particulier Wang Ming qui mena la lutte contre la ligne gauchiste de Li Lisan et qui s’opposa ensuite à Mao. Voyons comment l’I.C. parle de ces militants et comment Mao en parle également:

 « La lutte contre la ligne semi-trotskiste de Li Lisan commença dans l’organisation de Shanghai,

sous la direction du camarade Tchen Chao Oui (Wang Ming). Et elle eut d’excellents résultats. Le camarade Wang Ming, l’un des chefs les plus éminents du mouvement communiste en Chine, et d’autres dirigeants remarquables du parti, les camarades Tchen Bang Sian, Van Tsia Sian, Ho Vei Chou, Chen Tsé Min et Tchen Youan Dao défendirent en luttant sur deux fronts, la ligne léniniste-staliniste, uniquement juste dans les questions de la révolution chinoise »[17].

Quant à la version officielle du P.C.C., voici comment elle présente l’histoire de la lutte contre Li Lisan: « La troisième lutte opposa la ligne du président Mao à celle de Li Lisan (...) ». Décidément la version de l’Internationale de 1936 est pour Mao et le P.C.C. un mensonge. Parlant des « camarades remarquables » de l’I.C. le P.C.C. poursuit: « La cinquième lutte fut menée contre la ligne prônée principalement par Wang Ming, pseudonyme de Tchen Chao Oui (1907-1974), ligne connue comme la « troisième ligne de gauche ». Wang Ming avait adhéré au Parti à Moscou en 1925 et il y avait formé une faction en organisant les « vingt-huit bolchéviks et demi ». Revenu en Chine, ils prenaient, lui et son groupe le pouvoir dans le parti en 1931 et le conservaient pendant quatre ans »[18].

Les « camarades remarquables » de l’I.C. sont devenus des « factionnistes gauchistes » pour Mao et le P.C.C. En réalité quand l’I.C. parle du combat sur deux fronts qu’eurent à mener Wang Ming et ses camarades, c’est qu’ils eurent, non seulement à démasquer le gauchisme de Li Lisan, mais aussi la ligne droitière de Mao conduisant à sous-estimer le travail dans le prolétariat.

Pendant toutes ces années, l’armée rouge connue un développement important. Tchang Kaï-chek tenta six campagnes pour la détruire mais fut à chaque fois vaincu. Les territoires régis par le pouvoir soviétique s’étendirent considérablement. Mao Tsé-Toung contribua efficacement aux succès de l’armée rouge. Il fut élu à la tête du gouvernement soviétique central. Cependant les divergences avec l’Internationale Communiste se développèrent toujours sur la même question: l’urgence d’une action d’envergure pour s’implanter plus profondément dans le prolétariat urbain.

Lors de la sixième campagne, Tchang Kaï-chek concentra contre les forces de l’armée rouge une armée de 700 000 hommes. Le gros des forces de l’armée rouge fut encerclé dans le Jiangxi. La longue marche permis de briser cet encerclement. Profitant des difficultés de la lutte et des revers de l’armée rouge, Mao Tsé-Toung allait imposer en janvier 1935 son pouvoir à la tête du P.C.C. lors de la conférence de Zunyi. Une divergence de tactique militaire était utilisée pour imposer le pouvoir de Mao.

Ecoutons sur cet aspect aussi les versions de l’I.C., de Mao et des maoïstes:

« La sixième campagne dura plus d’un an. Le gros des forces de l’Armée rouge fut obligé d’abandonner le Jiangxi et se dirigea vers le Guizhou et le Sichuan en passant par le Guangxi. Arrivée à destination, l’Armée rouge déploya des opérations efficaces. Le plan établi par Tchang Kaï-chek pour encercler et écraser l’Armée rouge chinoise échoua complètement malgré les forces et les ressources énormes qu’il y consacra »[19]. Telle est la version de l’I.C.

La version officielle du P.C.C. est bien différente. Elle critique les positions prises par la direction du P.C.C. en accord avec le Komintern. Les revers momentanés de l’Armée rouge ne sont plus expliqués par l’ampleur de l’offensive ennemie et par les inégalités des forces mais par des erreurs de ligne militaires: « A la fin 1932, le président Mao perdait le commandement de l’Armée rouge, et Wang Ming pouvait appliquer sa ligne militaire: la guerre de positions et l’occupation « jusqu’au bout » des positions clés. Le président Mao et d’autres membres du parti réussissaient après une longue opposition, à obtenir la convocation d’une Conférence élargie du Bureau Politique du Comité Central du Parti en janvier 1935 à Zunyi, dans la province de Guizhou. Cette Conférence écartait la ligne opportuniste « de gauche » et établissait la position dirigeante du président Mao »[20].

Les faits démentent cette version officielle. En effet, à la date de la conférence, la « grande marche » a déjà commencé. Le moins que l’on puisse dire est que celle-ci n’est pas une « guerre de position ». C’est l’ancienne direction qui a décidé la « grande marche » pour briser l’encerclement, et non Mao comme s’évertue à nous le faire croire les écrits officiels chinois. C’est ce que défend Wang Ming dans un livre publié en 1975:

« Wang Ming réfute la thèse de la propagande maoïste, d’ailleurs reprise par certains historiens bourgeois d’Occident, comme quoi cette conférence « aurait sauvé » la révolution chinoise, soi-disant acculée dans l’impasse en raison des directives erronées du Komintern. En réalité, comme le prouve abondamment l’auteur de l’ouvrage, les pertes subies à la première étape de la Grande Marche, c’est à dire avant Zunyi, étaient moindres que celles de la seconde après Zunyi »[21].

Une version convergente est proposée par le Parti du Travail du Vietnam:

« Le clivage qui s’opéra au sein du P.C.C. en ces années d’après 1927 divisa donc ceux qui restaient fidèles à un marxisme « orthodoxe » qui, sans nier le rôle important des paysans, lui refusaient le rôle de classe dirigeante de la révolution à ceux qui prônaient une révolution fondamentalement paysanne. Il était normal que ceux qui gardaient des contacts étroits avec l’Internationale Communiste penchaient pour l’orthodoxie, tandis que les dirigeants et cadres d’origine rurale avaient plutôt tendance à revenir vers les conceptions traditionnelles. Deux lignes politiques fondamentalement différentes s’opposaient par le truchement de deux groupes dirigeants, l’un lié à la personne de Mao, l’autre à l’Internationale. La coupure presque totale avec les villes pendant de longues années mettait les « orthodoxes » en nette position d’infériorité; le massacre des militants des premières années, comme les pertes graves encourues au cours de la Longue Marche achevaient d’éliminer les combattants issus des milieux citadins (...). En janvier 1935, au cours de la Longue Marche, au soir d’une bataille, Mao convoquait une réunion extraordinaire du Bureau Politique, en fait une réunion élargie à de nombreux chefs politiques et militaires, et se fit confier la direction militaire (c’est à dire générale, étant donné le contexte) devenant le « président » de ce parti plus ou moins confondu avec une armée en marche »[22].

Quant à certains maoïstes d’autres pays, ils ne font que reprendre la version officielle chinoise avec cependant un anti-stalinisme plus franc:

« Auparavant, l’armée populaire, dont les effectifs étaient montés jusqu’à cent quatre-vingt mille hommes environ, avait été engagée, en dépit de l’opposition de Mao Tsé-Toung et de Zhu De, par un envoyé militaire de l’Internationale Communiste, dans de grandes batailles de position qui avaient coûté à l’armée populaire des pertes considérables. La majorité du Bureau Politique du P.C.C., qui n’imaginait pas pouvoir s’opposer aux directives de Moscou, n’avait pas encore compris la valeur des principes de stratégie et de tactique élaboré par Mao Tsé-Toung. C’est encore en vies humaines que s’est soldé le bilan des erreurs commises par Staline dans cette période »[23].

Encore une fois le maoïsme conduit à l’antistalinisme. C’est de ces divergences que parlent les Chinois lorsqu’ils évoquent les « erreurs de Staline des années 30 ».

c) Les années 40 :

Le 18 septembre 1931, les fascistes impérialistes japonais commencent leur guerre de brigandage en Chine : ils occupent militairement la Mandchourie. Un vaste mouvement de résistance à l’envahisseur se développe dans la classe ouvrière et chez les étudiants. Le gouvernement de Nankin de Tchang Kaï-chek réprime ce mouvement de résistance nationale:

« Bien que le gouvernement de Nankin étouffât par tous les moyens le mouvement antijaponais, ce dernier continua à se développer irrésistiblement. La petite bourgeoisie citadine recommença à participer à la lutte anti-impérialiste. Les étudiants de Pékin, Shanghai, Nankin et d’autres villes organisèrent d’imposantes manifestations contre le Japon et contre le Kuomintang »[24].

Progressivement les Japonais étendent leurs conquêtes et font régner dans les régions occupées une dictature de type fasciste. La résistance se développe partout sous la forme de détachements de partisans, de grèves dans les villes, de manifestations contre l’occupant. Au sein de l’armée du Kuomintang, la grogne règne. Plusieurs unités de l’armée de Tchang Kaï-chek refusent de marcher contre l’armée rouge. La XXVIeme armée du Kuomintang au complet passe à l’armée rouge. De plus en plus de membres du Kuomintang s’opposent à la guerre contre l’armée rouge et prennent position pour une alliance avec le P.C.C. contre les envahisseurs.

En s’appuyant sur la tactique du VIIeme congrès de l’I.C., le P.C.C. prend alors une série d’initiatives pour parvenir à un accord avec Tchang Kaï-chek afin d’organiser la lutte contre les occupants japonais. Voici comment Wang Ming, délégué chinois au VIIeme congrès de l’I.C., décrit cette période:

« En novembre 1935, le comité central du P.C. de Chine, se guidant sur la nouvelle orientation tactique du VII eme congrès et sur le rapport historique de Dimitrov à ce congrès, encore une fois s’adressa à tous les partis politiques groupés et aux troupes militaires de Chine en leur demandant de convoquer une conférence pan-chinoise de « salut national » pour la discussion et la réalisation de la proposition du Parti communiste de former un front national antijaponais (...). Le 23 septembre 1937, tous les journaux importants chinois publièrent la déclaration du C.C. du P.C. de Chine, adressée au peuple chinois sur l’entente conclue entre le C.C. et le Kuomintang »[25].

Le P.C.C. acceptait par cet accord de ne plus combattre pour le renversement du Kuomintang, d’arrêter la politique de confiscation des terres des grands propriétaires fonciers, de supprimer le gouvernement soviétique et de faire se joindre l’armée rouge à celle du Kuomintang. En revanche:

« Le C.C. du P.C. exige du Kuomintang: 1) La cessation de la guerre civile et l’union de toutes les forces nationales pour résister à l’ennemi extérieur ; 2) Pour le peuple, la liberté de parole, de presse, d’organisation, etc. et la libération de tous les détenus politiques ; 3) La convocation d’un congrès national de salut avec la participation des représentants de tous les partis politiques, de tous les groupes, de toutes les troupes militaires et associations publiques, antijaponaises ; 4) L’achèvement rapide de la préparation de la lutte armée contre l’impérialisme japonais ; 5) L’amélioration de la situation des masses populaires. ».[26]

Cette position juste du P.C.C. conforme aux analyses du VIIeme congrès de l’I.C. permettrons à la lutte anti-impérialiste de connaître des succès grandissants. Cependant, une nouvelle fois, les divergences entre Mao (désormais à la tête du P.C.C. depuis la conférence de 1935) et l’I.C. allaient s’approfondir.

Le 22 juin 1941, les nazis occupent une partie de l’Union Soviétique. Malgré la défense héroïque des troupes russes, ils menacent Moscou quatre mois plus tard. Les peuples de l’Union Soviétique supportent à partir de ce moment le poids essentiel de la guerre. Les « alliés » anglais et américains retardent sans cesse l’ouverture d’un second front qui aurait pu soulager le prix payé par les Soviétiques. Le premier et seul pays socialiste au monde payera de plus de vingt millions de morts cette guerre pour la libération de l’humanité de la barbarie nazie. Le devoir de tous les partis communistes était de mettre toutes leurs forces dans le combat anti-nazi, de renforcer les fronts antifascistes de libération nationale et de soulager ainsi la pression militaire sur l’Union Soviétique.

Le P.C.C. avait en outre une responsabilité particulière compte tenu du danger d’une attaque japonaise contre l’Extrême-Orient soviétique. Le danger d’une telle attaque dura de 1941 à 1943. Elle aurait eu des conséquences dramatiques en ouvrant un second front fasciste contre les Soviétiques. Mao Tsé-Toung refusa de lancer l’ensemble de ses troupes contre les envahisseurs japonais. En fait, Mao était en désaccord avec l’Internationale et Staline sur la priorité à accorder au combat antifasciste. Il ne voulait pas affaiblir ses forces dans la perspective d’un combat contre Tchang Kaï-chek pour la prise du pouvoir après la guerre. Voici comment l’antistalinien Fernando Claudin présente la période:

« Tandis que Mao réservait des forces et les préparait dans la perspective de la révolution chinoise, Staline voulait que Mao et Tchang lancent immédiatement tous leurs contingents militaires contre les Japonais »[27].

Wang Ming, défenseur internationaliste de la ligne de l’I.C., parle aussi de cette divergence de fond quant au combat antifasciste pendant toute la durée de la guerre:

« Après la conférence de Zunyi, Mao Tsé-Toung a saboté depuis longtemps la création d’un front unique qui devait opposer la résistance à l’agression nippone. Seuls les conseils du Komintern, qui insistaient sur une politique de front national anti-nippon uni, ont sauvé la situation. Dès 1938, les régions libérées couvraient de nouveau un vaste territoire de la Chine »[28].

Mao Tsé-Toung utilisa les décisions du VIIème congrès de l’I.C., qui accordait une autonomie plus grande aux sections nationales, pour prendre le pouvoir au sein du P.C.C. en 1935. Il utilisa également la dissolution de l’I.C. en 1943 pour s’opposer encore plus à l’analyse marxiste du fascisme et du combat antifasciste. Voici comment il se félicite de la dissolution de l’I.C.:

« Depuis la décision, prise en août 1935 lors du VIIème congrès de l’Internationale Communiste, de supprimer toute ingérence dans les affaires concernant les organisations communistes des différents pays, le Comité exécutif de l’Internationale Communiste et son présidium, respectant cette décision, ne sont plus intervenus dans les affaires concernant l’organisation communiste chinoise (...). Dans ces conditions, la dissolution de l’Internationale Communiste ne pourra que renforcer la confiance du Parti communiste chinois en lui-même et son esprit de créativité, consolider les liens qui unissent le Parti au peuple chinois et porter à un niveau supérieur la combativité du Parti »[29].

Si les décisions du VIIème congrès et la dissolution de l’I.C. sont des décisions justes qui ont permis aux communistes de développer efficacement le combat antifasciste[30], ils ont aussi été utilisés par les opportunistes dans plusieurs pays. Ce sont ces divergences dont parle le P.C.C. lorsqu’il parle de ses désaccords avec Staline « au début et au milieu des années 40 ».

Mao s’est, on le voit, opposé à Staline et à l’I.C. tout au long de l’histoire du P.C.C. Concernant l’histoire, on ne peut donc être à la fois stalinien et maoïste. Pour une fois, nous serons en accord avec un défenseur de Mao:

« Le P.C.C., sous la direction de Mao Tsé-Toung, n’a jamais été « stalinien » et, selon toute vraisemblance, ne le sera jamais. Il est donc parfaitement absurde d’accuser les communistes chinois d’être des « néo-staliniens et de vouloir perpétuer le culte de Staline »[31].

2) Mao critique Staline

Les critiques de Mao sur Staline ne se limitent pas à l’histoire de la Chine. En prétendant prendre la défense de Staline contre les attaques de Khrouchtchev, le P.C.C. reprend à son compte toutes les calomnies que la bourgeoisie a déversées contre l’U.R.S.S. et son dirigeant Joseph Staline. Ecoutons:

« Staline infatué de lui-même »: « Aux dirigeants des partis communistes et des Etats socialistes incombent la responsabilité de réduire au minimum le nombre de leurs erreurs (...). Pour cela, tout dirigeant doit être extrêmement modeste et prudent, être en liaison étroite avec les masses, les consulter en toutes matières, procéder à des enquêtes et des examens réitérés sur la situation réelle et se livrer constamment à la critique et l’autocritique conformément aux circonstances et dans la mesure qu’il convient. C’est précisément parce que Staline n’a pas agi ainsi qu’il a commis dans la dernière période de sa vie certaines erreurs graves dans son travail, en tant que dirigeant du Parti et de l’Etat. Il devint infatué de lui-même, manqua de circonspection, et l’on vit apparaître dans son esprit le subjectivisme et la tendance à se contenter de vues partielles. Il prit des décisions erronées sur certaines questions importantes, ce qui aboutit à des conséquences très fâcheuses. »[32]

« Staline a accusé des innocents »: « Ces erreurs se sont surtout manifestées en ce qui concerne la liquidation de la contre-révolution et les rapports avec certains pays (...). Il a accusé gratuitement de nombreux communistes et de bons citoyens »[33]

« Le chauvinisme de grande nation »: «...en réglant certains problèmes concrets, il a manifesté une tendance au chauvinisme de grande nation et il n’a pas eu assez le sens de l’égalité; il pouvait d’autant moins être question qu’il éduquât l’ensemble des cadres dans un esprit de modestie; parfois même il intervenait indûment dans les affaires intérieures de certains pays frères et de certains partis frères, ce qui a eu maintes conséquences graves »[34]

« Staline s’écarte du matérialisme dialectique »: « Dans certains problèmes, la méthode de pensée de Staline s’écarta du matérialisme dialectique pour tomber dans la métaphysique et le subjectivisme, et, de ce fait, il lui arriva parfois de s’écarter de la réalité et de se détacher des masses »[35].

« Staline et la répression de masse »: « Dans les luttes menées au sein du Parti comme en dehors il confondit, à certains moments et dans certains problèmes les deux catégories de contradiction (contradictions entre l’ennemi et nous, et contradictions au sein du peuple) de même que les méthodes différentes pour la solution de ces deux catégories de contradictions. Le travail de liquidation de la contre-révolution, entrepris sous sa direction, permit de châtier à juste titre nombre d’éléments contre-révolutionnaires qui devaient l’être; cependant, des gens honnêtes furent aussi injustement condamnés, et ainsi il commit l’erreur d’élargir le cadre de la répression en 1937 et 1938 »[36].

« Staline entrave le centralisme démocratique »: « Dans les organisations du Parti et les organismes de l’Etat, Staline ne fit pas une application pleine et entière du centralisme démocratique du prolétariat ou y contrevint partiellement. Dans les rapports entre partis frères et entre pays frères, il commit aussi des erreurs. Par ailleurs, il formula, au sein du mouvement communiste international, certains conseils erronés. Toutes ces erreurs ont causé des dommages à l’Union Soviétique et au mouvement communiste international »[37].

Arrêtons ces citations du P.C.C. Elles sont suffisantes pour prouver que ce parti reprend l’ensemble des critiques bourgeoises à l’égard d’un des plus grands dirigeants du mouvement communiste. Sur ces aspects non plus, on ne peut pas être à la fois stalinien et maoïste. Il faut choisir!

CONCLUSION

Les divergences entre l’I.C. et Staline d’une part et Mao Tsé-Toung d’autre part n’ont pas cessé depuis la création du P.C.C. Issus d’une révolte contre l’oppression nationale, les premiers dirigeants du P.C.C. n’avaient pas d’éducation marxiste. Beaucoup d’entre eux adhérèrent au bolchévisme par l’écho international de la révolution d’Octobre. La bolchévisation du nouveau parti était nécessaire sous peine de voir se maintenir le « Sun Yatsénisme » habillé du discours marxiste.

Les critiques et conseils de l’I.C. et de Staline permettaient au parti de corriger ses erreurs. Globalement jusqu’en 1935, la direction de l’I.C. permis de venir à bout des déviations droitières et gauchistes et ainsi d’implanter le parti profondément dans la classe ouvrière et la paysannerie pauvre. Les critiques essentielles de l’I.C. portaient sur la question des étapes de la révolution d’une part et sur celle de la classe sociale à même de diriger la révolution. Pour l’I.C., le P.C.C. avait une analyse erronée des étapes de la révolution et en conséquence tendait à tisser des alliances de classes inappropriées à l’étape en cours. De la même façon, l’I.C. considérait que le P.C.C. se trompait dans son choix de s’appuyer essentiellement sur la paysannerie.

A partir de 1927 et du massacre de milliers de communistes par Tchang Kaï-chek, le P.C.C. tend à abandonner son travail dans les villes et auprès du prolétariat pour privilégier l’action de l’armée rouge dans les zones libérées. Ayant perdu l’essentiel de ses cadres ouvriers dans les massacres, la nouvelle tactique conduisait à se couper du prolétariat. Une nouvelle fois l’I.C. critiqua cette tendance et insista sur la nécessité de la direction du prolétariat sur la révolution et donc d’une implantation dans les villes.

Mao fut celui qui théorisa cet abandon du prolétariat par sa thèse d’encerclement des villes par les campagnes. A partir de sa prise du pouvoir au sein du P.C.C. en 1935, la déviation « paysanne » ne fera que s’accentuer. Les décisions du VIIème congrès de l’I.C. d’accorder une autonomie plus grande aux sections nationales furent utilisées par Mao pour asseoir définitivement sa ligne politique. De la même façon, la dissolution de l’I.C. permis d’accroître cette déviation. A partir de cette période, le P.C.C ne cessera d’arguer de la « spécificité » chinoise pour justifier les décisions contraires au marxisme-léninisme et pour taxer de « dogmatiques » ceux qui dans le parti s’opposaient à ses positions erronées.

Les divergences avec l’I.C. et Staline ne sont pas limitées à l’histoire. L’accent mis sur les « spécificités nationales » allait conduire peu à peu Mao à une position nationaliste du type de Sultan Galiev en Union Soviétique. Au fur et à mesure du développement de cette déviation, Mao allait peu à peu s’éloigner du marxisme-léninisme. Il n’est dès lors pas étonnant de voir Mao reprendre à son compte l’essentiel des critiques bourgeoises à l’égard de l’U.R.S.S. et de Staline. Les raisons de la non-perception par de nombreux marxistes-léninistes de ce révisionnisme maoïste sont historiques: Le révisionnisme maoïste s’est déployé entièrement sous le masque d’un combat contre le révisionnisme de Khrouchtchev. Il a également été largement encouragé par la bourgeoisie. La petite-bourgeoisie de son côté l’a investi comme « anti-stalinisme » paré des couleurs de la « révolution ».



[1] « Sur la question de Staline ; A propos de la lettre ouverte du comité central du P.C.U.S. (II) », Rédaction du Renmin Ribao et rédaction du Hongqi, 13 Septembre 1963, dans le recueil de textes Débat sur la ligne générale du mouvement communiste international, Editions en langues étrangères, Pékin, 1965. p. 132.

[2] Brochure de l’I.C., Pour une Chine forte et libre, Bureau d’éditions, Paris, 1936, p. 14.

[3] Idem, p. 19.

[4] Idem, p. 22.

[5] Idem, p24.

[6] Idem, pp. 24-25.

[7] Brochure, Le chemin de l’Internationale Communiste, réédité par Correspondance internationale, Québec, p. 29.

[8] Joseph Staline, « Questions de la révolution chinoise », in Oeuvres choisies, Edition 8 Nëntori, Tirana, 1980, p. 271.

[9] Mao Tsé-Toung, Oeuvres choisies, volume I, Editions en langues étrangères, pp 326-327.

[10] Mao Tsé-Toung, Rapport sur l’enquête menée dans le Hunan à propos du mouvement paysan, Editions en langues étrangères, Pékin, 1968.

[11] Jean Baby, La grande controverse sino-soviétique (1956-1966), éd. Grasset, Paris, 1966, p. 252.

[12] Pour une Chine libre et forte, op. cit., p. 54.

[13] Télégramme de Staline à Hankow du 1er juin 1927, cité in Du trotskisme, Kostas Mavrakis, éd. Maspero, Paris, 1971, pp. 161-162.

[14] Brochure, Le chemin de l’Internationale Communiste, op. cit., p. 29.

[15] Cette phrase ne vise pas bien entendu la ligne politique gauchiste du PCC sous la direction de Qu Qiubai dans les premiers mois de 1928.

[16] Brochure, Pour une Chine libre et forte, op.cit., p. 75.

[17] Idem, p. 76.

[18] Connaissance de base du Parti Communiste Chinois, Shanghai, 1974, p. 247.

[19] Pour une Chine libre et forte, op. cit., p. 89.

[20] Connaissance de base du Parti Communiste Chinois, op. cit., p. 248.

[21] Comptes rendus du livre de Wang Ming, «Un demi-siècle du P.C.C. et la trahison de Mao Tsé-Toung » in revue Socialisme, théorie et pratique, Moscou, 1976, p. 62.

[22] Nguyen Minh Kiên, « Comprendre la Chine », édition Le courrier du Vietnam, Hanoi, 1981, pp. 72-73.

[23] Jean Baby, op. cit., pp. 252-253.

[24] Brochure Pour une Chine libre et forte, op. cit., p. 79.

[25] Wang Ming, « La grande révolution socialiste en U.R.S.S. et la lutte du peuple chinois contre l’agression japonaise », in XXème anniversaire de la révolution d’Octobre, revue l’Internationale Communiste, n° 10-11-12, octobre-novembre-décembre 1937, Paris, Bureau d’édition, pp. 1095-1096.

[26] Idem p. 1097.

[27] Fernando Claudin, La crise du mouvement communiste, tome 2, Paris, Maspero, 1972, pp. 636-637.

[28] Wang Ming, op.cit., pp. 62-63.

[29] Résolution du C.C. du P.C.C. sur la dissolution de la Troisième Internationale du 26 mai 1943, in Etudes et documents marxistes-léninistes pour la lutte théorique, n° 3, juin 1980, pp. 34-35.

[30] Voir la brochure du Cercle Henri Barbusse, La dissolution de l’I.C..

[31] Jean Baby, op. cit., p. 258.

[32] Brochure De l’expérience historique de la dictature du prolétariat, Editions de Pékin, 1956.

[33] Brochure Encore une fois à propos de l’expérience historique de la dictature du prolétariat, Edition de Pékin.

[34] Idem.

[35] Brochure Sur la question de Staline, Editions en langues étrangères, Pékin, 1963, p. 6.

[36] Idem, p. 6.

[37] Idem.


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