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La situation actuelle du mouvement ouvrier en France

La situation actuelle du mouvement ouvrier en France

Ce texte est la première partie de la présentation des militants communistes de Lille au symposium organisé en collaboration avec Correspondance Internationale dans cette ville du nord de la France, à l’occasion du 70ème anniversaire de la révolution d’Octobre (édité dans Correspondance Internationale n°17).

Le 7 novembre 1917, la classe ouvrière de Russie alliée à la paysannerie laborieuse et aux peuples opprimés, renversait le régime tsariste et la bourgeoisie. Cette révolution a fourni aux travailleurs du monde entier et aux peuples opprimés un exemple, une référence concrète pour leurs luttes et leurs aspirations. La révolution d'Octobre démontrait aux yeux des masses laborieuses du monde qu'il était possible d'en finir avec l'odieux système d'exploitation de l'homme par l'homme, d’en finir avec l'exploitation du travail par le capital, d’en finir avec l'oppression éhontée des peuples.

Le camarade J.V. Staline soulignait que « la révolution d'Octobre a élevé à une certaine hauteur la force et l'importance, le courage et la combativité des classes opprimées du monde, obligeant les classes dominantes à compter avec elles, en tant que facteur nouveau et sérieux. Il n'est plus possible aujourd'hui de considérer les masses laborieuses du monde comme une « foule aveugle » errant dans les ténèbres et privée de perspectives. Car la révolution d'Octobre a créé pour elles un phare éclairant leur chemin et leur révélant des perspectives. Si, auparavant, il n'y avait pas de forum universel ouvert pour manifester et matérialiser les aspirations et la volonté des classes opprimées, aujourd'hui ce forum existe en la première dictature du prolétariat. On ne saurait guère douter que la destruction de ce forum plongerait pour longtemps la vie sociale et politique des pays « avancés » dans les ténèbres d'une noire réaction sans frein. On ne peut nier que le simple fait de l'existence de l'Etat bolchevik met une bride aux forces ténébreuses de la réaction, facilitant la lutte des classes opprimées pour leur libération. C’est ce qui explique en somme la haine bestiale que les exploiteurs de tous les pays nourrissent à l'égard des bolchéviks » (« Le caractère international de la révolution d'Octobre » in Les questions du léninisme).

Soixante dix ans après cette révolution, que peut-on dire de la « hauteur » à laquelle fut élevée la « lutte, la force, l'importance, la combativité des classes opprimées », notamment de la classe ouvrière? Soixante dix ans après octobre 1917, en cette commémoration de la première victoire décisive des classes opprimées contre les classes exploiteuses sous le capitalisme et l'impérialisme, que peut-on dire des ouvriers et des masses laborieuses vues comme une « foule aveugle errant dans les ténèbres et privée de perspectives »?

Notre contribution à ce symposium, à l'occasion de cette commémoration, consiste à voir où en est aujourd'hui le mouvement ouvrier en France, soixante-dix ans après la révolution qui a ouvert la voie aux travailleurs du monde et donné la preuve, l'exemple, et pourquoi pas, le modèle de l'émancipation des travailleurs.

Le réformisme écrase le mouvement ouvrier de son poids

La situation des travailleurs est terriblement inquiétante. Les mesures « anti-crise » des gouvernements successifs de droite, puis de gauche et de « cohabitation » tendent à maintenir le profit maximum des capitalistes au détriment des intérêts des travailleurs. Pas une seule section du monde du travail n'est épargnée. Il y a quelques trois millions de chômeurs que les fermetures d'entreprises, les licenciements, compressions du personnel jettent à la rue. La « désindustrialisation » et la « restructuration » avec les nouvelles technologies et la privatisation actuelle ne font qu'accélérer ce processus. Les mesures libérales vont bon train, s'attaquant durement à la vie des travailleurs. La crise n'est ni conjoncturelle, ni passagère. Elle est durable, car c'est une crise générale du système capitaliste mondial. La grave crise boursière n'en est qu'une expression, de même que celle du pétrole dans les années 70, et celle des matières premières du début des années 80. Les crises conjoncturelles, de plus en plus rapprochées dans le temps, se font sur la base de cette crise générale.

Devant cette crise profonde du système, les capitalistes et leurs gouvernements alignent des mesures sans fin contre les droits acquis des travailleurs. Ils s'attaquent à leur pouvoir d'achat, au droit au travail, à leurs organisations, leur disent de se serrer la ceinture, d'accepter « l'austérité » comme soi-disant remède à la crise. La réaction politique anti-ouvrière s'accentue dans le but de dompter la classe ouvrière. On traîne les militants syndicaux devant les tribunaux, on leur envoie les flics et les milices fascistes. Le cancer fasciste pénètre par tous les pores de la société à mesure que s'opère l'offensive libérale et la réaction politique. Les fascistes ont même une représentation à l'Assemblée Nationale et leurs fonctionnaires exercent de plus en plus de pouvoirs dans l'administration.

Mais dans un tel contexte, qui élève la voix pour les travailleurs? Qui donc défend la classe ouvrière?

Le Parti Socialiste est arrivé au pouvoir en 1981. Il a remis dans sa poche toutes les propositions pour lesquelles les travailleurs l'ont porté au pouvoir. Il a trahi tous les espoirs mis en lui. Il s'est embourbé dans les compromissions, avant de capituler complètement devant les exigences anti-ouvrières du capital, révélant ainsi sa vraie nature réformiste.

Le PS représente en fait aujourd’hui des sections importantes du capital financier français. A bien des égards, Mitterrand est le De Gaulle des années 80. Il a troqué le social-démocratisme formel contre le gaullisme. Il a « désindustrialisé » les sidérurgies et les charbonnages, « restructuré » l'industrie conformément aux désirs du capital. Il a mis sous le boisseau les intérêts des ouvriers et utilisé la confiance mise en lui pour faire une politique anti-ouvrière que la droite n'aurait jamais pu faire sans remous sérieux. Il a pavé la voie au fascisme et jeté aux oubliettes la promesse électorale du droit de vote aux immigrés.

Toutefois, le PS reste influent sur la classe ouvrière et bénéficie encore du « vote utile ». Il a fait plus de 30% des voies aux dernières élections. La prééminence électorale du PS est liée à une certaine bipolarisation de la scène politique, divisée entre « droite et gauche ». C'est là le résultat de la politique « d'union de la gauche » de ces dernières décennies.

Le PCF est le parti qui a une influence directe sur la classe ouvrière : Il est le parti ouvrier. Mais il a poursuivi une politique de compromission avec le PS dans le cadre de cette funeste « union de la gauche ». Il a troqué la voie révolutionnaire contre une « la place que lui accordera le suffrage universel, en concluant des accords entre formations politiques, en particulier avec le PS lorsque de tels accords s'avèreront possibles ». Le PS lui a confié quatre minables postes ministériels, lui faisant jouer le rôle de frein des luttes ouvrières.

Le PCF a ainsi muselé la CGT, tout comme l'a fait le PS avec la CFDT. Il appelle à la défense de « l'outil de production », de la « marque française », à « produire français »,  à « défendre le marché national », comme s’il s’agissait d’une « défense de l'emploi ».  Les capitalistes ne font pourtant que cette sorte de politique, et cela ne les a jamais empêché de licencier…

En régime capitaliste, il ne peut y avoir et il n'y a pas équivalence entre la « défense du marché », de la « production » et celle de l'emploi. A Talbot, c'est au nom de la « modernisation industrielle » que l'on a laissé licencier les travailleurs immigrés. Ces derniers qualifièrent la CGT « d'assassins ».

Des maires du PCF se sont attaqués à 300 familles maliennes à Vitry sous couvert de « seuil de tolérance », à des familles marocaines à Montigny sous prétexte de « lutte contre la drogue ». Et le PCF a vu son influence décroître dans l'électorat populaire. Aux municipales en 1983, de même que le PS, il perdait 16 villes de 30 000 habitants et aux Européennes, il tombait encore avant d'être rejoint par le parti fasciste, à 10%.

De premier parti du pays en 1945, avec 28% des inscrits, le PCF chute et se retrouve confronté à une dissidence intérieure alimentée par la bourgeoisie et la social-démocratie. La contestation interne s'organise en fraction, utilise à fond les médias qui lui offrent une tribune. Mais jusqu'ici cette opposition social-démocrate interne ne rencontre qu'une attitude défensive et un traitement lui même social-démocrate. C'est là un signe de grande dégénérescence du PCF. Il agit ainsi car dans la perspective des élections, il aura besoin de toutes les voix, y compris celle des « rénovateurs ». Il tient aussi à garder son image de parti « démocratique », et ce d'autant que les médias lui ont collé l’image d’un « parti de dictature ». Il est regrettable que, dans ce tintamarre au sein du PCF, aucune voix ne s'élève à la gauche de Pierre Juquin (droite) et de Georges Marchais (centre) pour tirer le parti vers la voie de la révolution d'Octobre.

Les organisations « d'extrême gauche » n'ont jamais pu s'implanter réellement dans la classe ouvrière. Elles sont toujours composées d'éléments petit-bourgeois, souvent à la remorque du PS. C'est le cas des trotskistes de la LCR et d'autres groupuscules. Les groupes maoïstes se sont désintégrés, laissant des groupuscules anarcho-terroristes ou semi-trotskistes. De toute façon, ces groupuscules n'ont aucune prise sur les ouvriers qui les ignorent. Au plan syndical, c'est la division en plusieurs cadres syndicaux qui sont, par ordre d'importance, la CGT, la CFDT, FO, la CFTC et plusieurs syndicats autonomes.

Une certaine désyndicalisation frappe le mouvement ouvrier par suite des déceptions, de la « désindustrialisation » et des « restructurations », qui provoquent l’instabilité des ouvriers. Très peu de luttes sont menées pour organiser les chômeurs dont le nombre ne fait que grossir. Au sein des syndicats, la démocratie ouvrière, le pouvoir des syndiqués à la base est brimé, limité par celui des directions syndicales. La division syndicale et les querelles subséquentes des bureaux syndicaux pour le leadership découragent les travailleurs qui les voient plus souvent se battre les uns contre les autres que s'occuper des problèmes réels des travailleurs. Les victoires -quand il y en a- et les échecs sont ainsi attribués réciproquement, selon les cas, aux uns et aux autres.  On passe le temps à définir des tactiques en fonction de l'autre syndicat et en vue de gains syndicaux plutôt que d'organiser de véritables luttes contre l'offensive du capital et de son gouvernement. On comptabilise les succès contre l'autre syndicat et non contre notre ennemi commun, le capital et son gouvernement. Résultat: L'éloignement des ouvriers des syndicats. Des syndicats autonomes pullulent dans les entreprises en réaction au « joug » des grosses centrales qui à leurs yeux ne luttent pas et ne prennent pas suffisamment en compte leurs revendications propres.

Ainsi, à grands traits, le réformisme domine largement le mouvement ouvrier. Nous signalons ici les traits essentiels qui caractérisent le mouvement actuel. L'idéologie bourgeoise règne sans partage. Elle est colportée par la social-démocratie réformiste et le révisionnisme.

Toutefois, nous pensons que les enquêtes doivent se poursuivre pour cerner plus en profondeur la réalité des situations objective et subjective de la classe ouvrière. Dans la société d'aujourd'hui, la gauche « officielle » (PS et PC) constitue la seule opposition à la droite. Depuis quelque temps, à la faveur du pouvoir de « gauche », le courant fasciste a relevé la tête et, utilisant à fond la dérive droitière et   libérale dominante, tente de gagner une partie de l’électorat populaire. La crise et ses conséquences est le terreau sur laquelle pousse le FN fasciste, pendant que la droite s'empêtre dans la réaction politique.

Le mouvement ouvrier a vu ses gains antérieurs liquidés par l'offensive orchestrée par la gauche puis par la droite au profit des capitalistes. Les luttes ouvrières sont la plupart du temps écrasées et le mouvement ouvrier se trouve acculé, dos au mur, à des batailles défensives, cherchant à préserver des acquis très sérieusement entamés ou menacés.

La crise: une vraie guerre contre les femmes, les minorités nationales et les peuples opprimés.

L'offensive des capitalistes et de leurs gouvernements pour le profit maximum, comporte une attaque en règle contre les femmes, les minorités immigrées, les basques, les corses et peuples des « DOM-TOM ». 

La question des femmes, celle de la section féminine de la classe ouvrière, se pose avec une acuité renouvelée et pose un débat de fond quant à la composition réelle de la classe ouvrière. Les femmes ouvrières sous l'impérialisme sont doublement opprimées: en tant que travailleuses et en tant que femmes. Le capitalisme ne les a nullement libérées de la séculaire oppression patriarcale et féodale. Il utilise plutôt cette oppression des femmes pour tirer le maximum de profits de l'exploitation de la section féminine des travailleurs.

L'ouvrière reste sous payée par rapport à l'ouvrier. Son salaire est perçu comme un complément de celui du mari. La bourgeoisie utilise ces préjugés, l'idéologie du chauvinisme mâle et la position de la femme au foyer pour diviser la classe ouvrière et affaiblir son unité de combat.

Dès la naissance du capitalisme, le travail des femmes a été utilisé comme « cheap-labour ». En plus du travail domestique, il les a enchaînées à la machine en « sapant les fondements économiques de la famille ouvrière (...), en a bouleversé toutes les autres relations » (Karl Marx, Le Capital). La famille a vu ses relations de plus en plus basées sur l'argent, du fait que l'homme « tire vanité de rapporter la plus grande part à ce fonds familial. Les ouvrières sont d'autant vulnérables qu'elles se chargent « naturellement » de l'éducation des enfants et de l'entretien du foyer ».

Le capitalisme, en devenant impérialisme, a développé des secteurs économiques nouveaux dans lesquels ont été incorporées en masse les femmes. Les secteurs des « services » (banques, commerces...) dans lesquels les femmes forment l'écrasante majorité de la main-d’œuvre, ont été proclamés « travail féminin ». Elles y sont (chiffre de 1982) 1 782 000 pour 870 000 hommes. Le développement fulgurant du secteur des services, ou tertiaire, est le résultat direct de la fusion du capital des monopoles et multinationales.

La situation actuelle de la fraction féminine de la classe ouvrière est pénible. L'écart salarial, selon une étude de Cégos, reprise par le Nouvel Observateur, entre l'ouvrier et l'ouvrière, est de 16,3% en 1984 dans le secteur des services. Chez les « employés » en général, l'écart est de 25% entre hommes et femmes. La réduction relative de 36% de l'écart salarial entre les travailleurs des deux sexes depuis 1950 est en lien direct avec la crise et la baisse générale des salaires, le développement du temps partiel -ou chômage partiel- et les conquêtes du mouvement ouvrier. Le chômage frappe davantage les travailleuses, avec 12,6% et 8,5% chez les ouvriers.

La bourgeoisie, en période de « croissance », fait appel au travail sous payé des femmes, mais n'en veut pas en période de crise. Jacques Henriet, sénateur du Doubs, révèle la pensée profonde des capitalistes quand il affirme que « le travail des femmes, dont personne ne conteste (sic) la légitimité, ni la légalité, n'en est pas moins  facteur de chômage et de dénatalité. Plutôt que d'envoyer les femmes au travail, mieux vaut les envoyer au lit ».

Le rapport Ramsès, commandé par les capitalistes et leur gouvernement, fait l'apologie du « modèle » japonais et recommande son application ici en France: « Les femmes tendent à se retirer du marché de l'emploi en période de crise. A la fois par la faiblesse de leur salaire, inférieur de près de moitié à ceux des hommes, et par leur faible niveau d'instruction, elles représentent une importante réserve prête à accepter des emplois peu qualifiés à temps partiel ou conjoncturel ». De telles attaques trouvent même un écho dans les organisations ouvrières, comme le rapporte le Nouvel Observateur : « Aux usines SEB des Pyrénées, la CFDT et FO ont signé au début de l'année un accord proposant un congé sans solde d'un an au personnel féminin, la direction s'engageant à embaucher en contrepartie les maris chômeurs, mais l'accord n'a pas été appliqué faute de volontaires ». C'est là la reprise des pratiques courantes du patronat qui « à l'usine Lincrustra de Seclin dans le nord a proposé le temps partiel aux seules femmes; le patron leur a écrit personnellement pour leur conseiller de retourner s'occuper de leurs enfants ».

« Les femmes au foyer ! » est le cri de la bourgeoisie dans sa recherche effrénée du profit maximum en période de crise, tout comme le cri que nous entendons partout aujourd'hui « les immigrés dehors! ».

Devant une telle situation, le PCF et les trotskistes ont la même approche de la classe ouvrière que l'INSEE, qui qualifie tous les ouvriers du secteur des services « d’employés ». Le PCF affirme ainsi « qu'à la différence des membres d'autres couches ou catégories sociales de salariés, l'ouvrier est directement associé aux moyens de travail, il les met en œuvre dans le cadre de la production matérielle, il est un producteur direct de marchandises, il se trouve ainsi à l'origine de la plus value que s'approprient les capitalistes. La classe ouvrière est donc constituée de l'ensemble de salariés qui, par leur action sur les moyens de production... créent pour les capitalistes de la plus value, du capital » (Le capitalisme monopoliste d'Etat, tome 1. Editions sociales. p.217 - 218).

Karl Marx enseigne pourtant: « Tout travail productif produit du capital ». C'est à dire que les ouvriers de l'automobile qui produisent les voitures, ainsi que ceux qui les lavent, les mécaniciens qui les réparent au profit d'un capitaliste, sont tous des ouvriers productifs et donc font partie intégrante de la classe ouvrière.

Le PCF par contre, oppose les « ouvriers productifs » aux « ouvriers improductifs » comme subterfuge pour exclure de la classe ouvrière tout ouvrier qui ne produit pas directement des « biens matériels », des « marchandises », comme ces millions d'ouvrières surexploitées du secteur des services. Le PCF ignore la formule de Marx selon laquelle « tout travail productif produit du capital ». Le PCF affirme: « L'appartenance à la classe ouvrière implique nécessairement une activité productrice salariée créatrice de plus value. Mais la classe ouvrière ne comprend pas pour autant, tous les travailleurs salariés... Le critère déterminant de l'appartenance à la classe est la création de plus value dans la sphère de la production matérielle » (idem).

Alors que Karl Marx voyait dans la classe ouvrière la classe d'avenir montante, le PCF, lui, accrédite l'idée bourgeoise de l'INSEE et de professeurs de chaires universitaires, selon laquelle la majorité des travailleurs dans les pays impérialistes ne sont pas des ouvriers, mais plutôt des petit-bourgeois appartenant aux classes moyennes. Le Manifeste du parti communiste enseigne: « Le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société entière se scinde de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes qui s'affrontent directement: la bourgeoisie et le prolétariat. (...) De toutes les classes qui, à l'heure actuelle, s'opposent à la bourgeoisie, seul le prolétariat est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres périclitent et disparaissent avec la grande industrie; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus authentique ».

Le PCF réfute en fait cette analyse du Manifeste communiste et adopte les positions de la bourgeoisie au prétexte que les employés du tertiaire ne seraient pas productifs, ne produiraient pas de « biens matériels et de marchandises ». Karl Marx, dans son œuvre immortelle Le Capital, donne une précision importante: « Le travail productif, au sens de la production capitaliste, c'est le travail salarié qui, en échange de la partie variable du capital (de la partie du capital déboursée en salaire) non seulement reproduit cette partie du capital (...) mais produit en outre de la plus value... seul est productif le travail salarié qui produit le capital... seule donc la puissance de travail dont la mise en valeur est plus élevée que sa valeur » et d'ajouter encore qu'un « entrepreneur de spectacles, de concerts, de bordels, etc. achète la disposition temporaire de la puissance de travail des comédiens, des musiciens, des prostituées, etc. en fait par un détour qui n'a économiquement qu'un intérêt formel, à considérer le résultat, le procès lui-même. Il achète ce travail dit improductif, dont les services disparaissent à l'instant même où ils sont rendus et (en dehors d'eux-mêmes) ne se fixent, ni ne se réalisent en un « objet durable » (...) ou bien une marchandise vénale. En les vendant au public, il récupère leurs salaires et obtient un profit. Et ces services ainsi achetés lui donnent la faculté de les acheter à nouveau, c'est à dire qu'ils renouvellent eux-mêmes le fond sur lequel ils sont payés. Ceci s'applique aussi par exemple au travail des clercs qu'un avocat emploie dans son bureau, avec cette circonstance particulière que ces services se matérialisent en outre le plus souvent en de très volumineux objets particuliers sous formes d'énormes piles de dossiers » (Le capital. p178) La mutation du capitalisme en impérialisme a vu se développer sans commune mesure le secteur dit tertiaire sur la base du monopole et de la fusion du capital bancaire et du capital industriel.

Les banques, CCP, caisses d'épargne, Télécom, Holdings, assurances, PTT, etc. et autres entreprises de services, ont pris une dimension et une importance fondamentale en fonction même de la prééminence du capital financier. Et en même temps, des millions d'ouvrières ont été recrutées dans ces secteurs dont la particularité est de produire non des biens matériels, des marchandises, mais des « services ». Mais si à la manufacture correspond l'ouvrier de manufacture, si à l'industrie correspond l'ouvrier d'usine, à quoi donc peut correspondre le travailleur du capital financier et de la structure correspondante, si ce n'est « l'ouvrier du capital financier » ? Et ce sont ces millions d'ouvrières, souvent encore faiblement organisées, que l'on veut ignorer en les excluant de la classe ouvrière. Ceci a des conséquences graves sur la lutte de la classe ouvrière pour l'émancipation.

Le PCF et les luttes ouvrières.

On peut affirmer sans se tromper qu’aujourd’hui en France, le mouvement ouvrier en général ignore quasiment tout des principes et méthodes d’actions révolutionnaires au sens marxiste-léniniste.

Sous la conduite du PCF principalement, qui a depuis plusieurs dizaines d'années entrepris de les effacer de la mémoire collective, les enseignements de Marx et Engels, Lénine et Staline dont il (le PCF) s'était lui-même fait le premier propagateur ont été liquidées. C'était même sa raison d'être : Quoi de plus logique que d'assister à la liquidation de ces principes et méthodes, puisque convaincu qu'il fallait les abandonner, le PCF a organisé leur inobservation puis leur mise en caisse systématique, et enfin leur abandon. A y regarder de plus près, on peut dire que le PCF, sous la conduite des révisionnistes, a dû procéder par attaques successives et par révisions programmatiques graduelles, parce que précisément ces principes et méthodes étaient profondément ancrés au sein de la classe ouvrière en France, parce qu’on ne liquide pas d'un trait l'héritage révolutionnaire.

Aujourd'hui, le mouvement ouvrier, quoique privé d'un parti révolutionnaire, n'en est pas moins sujet à des soubresauts qu'il exprime essentiellement par le biais syndical. On a vu dans les luttes des cheminots qu'aucun travailleur ne remettait en cause la nécessaire implication de tous les syndicats. Bien plus, ils ont trouvé des formes permettant à la fois de s'organiser concrètement, mais aussi en faisant participer les syndicats à la démocratie directe, de contraindre les chefs syndicalistes réformistes à venir s'expliquer et prendre clairement position.

Cela traduit à la fois un attachement historique à la forme d'organisation élémentaire qu'est le syndicat, mais aussi une critique collective fondamentale de ce qu'est le syndicalisme dans son dispositif; les travailleurs ont dû, tactiquement, respecter le syndicalisme traditionnel, faute de n'avoir aucun interlocuteur direct. Ce que la direction de la SNCF savait et sait fort bien utiliser par ailleurs. La lutte des cheminots, celle des étudiants et lycéens confrontées à des nécessités organisationnelles, illustrent avec éloquence que même dans une société dirigée par la bourgeoisie et sous influence sans partage du réformisme, en ce qui concerne la classe ouvrière, il existe néanmoins des possibilités de voir ressurgir des méthodes d'organisation et d'action de masse brisant les verrous de ce réformisme.

Toutefois les masses ne sont éduquées et guidées par aucun principe révolutionnaire marxiste-léniniste. Seuls quelques morceaux de l'histoire sociale gravés dans la mémoire collective parviennent à instruire de façon marginale, les éléments autodidactes les plus avancés du prolétariat. L'absence d'un véritable parti révolutionnaire, parti des communistes, parti de l'avant-garde du prolétariat révolutionnaire, se fait cruellement sentir.

Le PCF depuis peu s'autoproclame à nouveau parti révolutionnaire. Le mot communiste apparaît plus fréquemment. On est même allé rechercher la faucille et le marteau que l'on avait eu tant de mal à effacer des tracts et journaux du parti à partir de 1976. Marchais, tout comme Gorbatchev en URSS, chercherait-il à contenir les remous des communistes révolutionnaires au sein du PCF? Ceux-ci existent bien, mais ils savent que fractionner le parti conduit à son éclatement et à l'inverse des droitiers juquinistes, ils ne le veulent pas. Faut-il qu'ils se taisent pour autant? Faut-il qu'ils assistent silencieux et impuissants à la liquidation totale des principes fondamentaux du marxisme-léninisme par les centristes du PCF? La préparation du 26ème congrès et son projet de résolution illustrent clairement les pratiques liquidatrices et le mode de fonctionnement bureaucratique et centriste du PCF actuellement. Va-t-on à nouveau permettre à ces dirigeants de réécrire l'histoire et cette fois sous la conduite du plus rusé des révisionnistes modernes, Gorbatchev? Ce qui domine actuellement dans le PCF, ce n’est pas le centralisme démocratique, mais le bureaucratisme. L'enfoncement électoraliste conduit inexorablement le Bureau Politique du PCF à évincer toute idée de boycott des élections présidentielles et l'amène à imposer la candidature de Lajoinie. Les centristes qui dirigent le parti ont beau jeu de ranger, dès lors, dans les rangs des « rénovateurs » droitiers de Juquin, toutes celles et tous ceux, pourtant authentiquement communistes, qui élèvent leur voix contre le Bureau Politique. C'est ainsi que des communistes à la gauche du droitier Pierre Juquin et du centriste Georges Marchais font les frais de la fausse purge des éléments droitiers.

C'est une réalité qui doit interpeller tous les communistes révolutionnaires, membres ou non du PCF. Car il faut y faire face, l'heure n'étant pas à la constitution d'un parti en dehors du PCF puisque les conditions même de l'organisation d'une tendance à gauche, révolutionnaire, au sein du PCF n'existent pas vraiment.

Signalons l'existence du RCU (Regroupement Communiste Unifié) regroupant des communistes membres du PCF agissant autour d'une plateforme de reconstruction du PCF sur la base du marxisme-léninisme, de l'internationalisme prolétarien, de la dictature du prolétariat, mais aussi, et cela est matière à débat, de soutien à l'URSS d'aujourd'hui (et d'hier). Que faire donc? Il faut donc travailler à la propagation des enseignements historiques du marxisme-léninisme. La tâche des communistes révolutionnaires, là où ils sont, est de rétablir la vérité historique des faits face à l'immense falsification bourgeoise et révisionniste. C'est bien la tâche principale et immédiate des communistes révolutionnaires de rétablir cette vérité historique et les enseignements du socialisme réel, celui de l'œuvre de Marx et Engels appliqué par Lénine et Staline et combattu depuis par les révisionnistes de tous poils. Dans la pratique, il faut travailler à enseigner ce qui s'est réellement passé. Gorbatchev, après Khrouchtchev, n'a pas encore réussi à brûler tous les écrits et à faire taire tous les témoins vivants   du socialisme réel, celui de Lénine et de Staline. C'est aussi le sens de cette commémoration du 70ème anniversaire de la révolution d'Octobre 1917.

L'affrontement au sein du PCF et la nécessité de l'émergence d'une gauche vraiment révolutionnaire.

Depuis les élections législatives du 16 mars une contestation interne a éclaté au PCF. Elle mûrissait déjà depuis quelques temps. Le score du PCF, premier parti du pays en 1945, chutant à 10% environ à égalité avec le parti fasciste, fut la goutte qui a fait déborder le vase. Nos seules données concernent ceux que les médias dénomment « rénovateurs » ; nous analyserons donc leur point de vue, exposé dans leur manifeste et les écrits de leur chef de file Pierre Juquin, afin de cerner la nature du débat actuel au sein du PCF.

Toutefois cette situation de confusion ne doit pas nous cacher que plusieurs éléments dans le PCF se posent des questions et cherchent une autre voie que celle des prétendus « rénovateurs » et du BP actuel du parti. Il s'agit ici, pour nous, de contribuer à indiquer la voie de la révolution d'Octobre comme celle de la véritable perspective révolutionnaire.

Union de la gauche, ancienne ou nouvelle version?

Voilà l'essentiel des divergences entre juquinistes et BP du PCF. Le 25ème congrès du parti fait l'objet de critiques acerbes de la part de l'opposition interne. Et jamais, de mémoire, la situation intérieure du PCF n'a fait état de degrés de fractionnisme aussi grand. Plusieurs élus dans diverses institutions, sentant souvent leur mandat menacé par la nouvelle orientation de la ligne du parti, entrent en dissidence. Souvent, ils optent pour « l'union de la gauche ancienne version ».

C'est le cas à Lille. La direction, au nom de la « démocratie », manœuvre mollement devant les fractions, laissant faire. Et souvent, quand des mesures sont prises, c'est pour entériner une situation de fait. La direction du parti reste pour « l'union de la gauche », mais à certaines conditions ; Elle ne doit pas se faire au détriment de l'influence électorale du parti par exemple. Le PCF diagnostiquant le mal qui lui a fait perdre son influence électorale, en situe la raison dans le passé, avant les années 50. Le BP fait le diagnostic suivant: « Le projet de société, le socialisme à la française, la voie de son édification, sont démocratiques de part en part. Le projet et la démarche sont complètement nouveaux. Ils constituent une autre façon de faire la politique, qui se heurte aux conceptions précédentes, à la pratique, à l'expérience enracinée du passé. L'évolution du monde et de notre pays appelait à de telles réponses dès le milieu des années cinquante. (...) Nous avons donc pris du retard à dégager notre réflexion sur le socialisme pour la France d'un « modèle » extérieur et à définir une perspective adaptée aux conditions de notre pays et de notre temps ».

Selon le projet de résolution du 25ème congrès, c'est ce « retard à se dégager du modèle extérieur pris dans les années 50 » qui aurait eu « des conséquences sur notre politique d'union (...). Nous avons proposé, poursuit le BP, comme seule perspective des formes d'union et d'action qui avaient été efficaces dans le passé. Nous avons placé la revendication d'un programme commun de gouvernement au centre de notre activité, jusqu'à ce qu'il soit conclu en 1972 (...). Du même coup, se trouvait nourrie l'illusion que le parti socialiste était décidé à rompre avec le capitalisme (...). De plus, tout ramener au programme commun gênait l'intégration des changements de sociétés (...). Le programme commun, comme accord de sommet PS et PC, a nourri l'idée que la solution de tous les problèmes viendrait d'en haut, encouragé l'attente plus ou moins passive de cette solutions (...). Le mouvement social a été limité à un rôle d'instrument de pression en direction du sommet pour aider à la conclusion du programme commun d'abord, pour soutenir celui-ci ensuite ».

Ce diagnostic qui se veut une autocritique du BP est en réalité basé sur une falsification de ce que fut l'essence des politiques « d'union » avant les années 50, en particulier dans les circonstances de la lutte antifasciste. Le camarade G. Dimitrov au VIIème Congrès du Komintern nous l'a décrit comme suit: « La défense des intérêts économiques et politiques immédiats de la classe ouvrière, la défense de celle-ci contre le fascisme doit être le point de départ et constituer le contenu essentiel du front unique dans tous les pays capitalistes. Nous ne devons pas nous borner simplement à des appels sans lendemain à la lutte pour la dictature du prolétariat, mais trouver et formuler des mots d'ordre et des formes de lutte découlant des besoins vitaux des masses, du niveau de leur combativité à l'étape actuelle de développement. Nous devons indiquer aux masses ce qu'elles doivent faire aujourd'hui pour se défendre contre le pillage capitaliste et la barbarie fasciste. Nous devons travailler à établir le plus large front unique par des actions communes entre organisations ouvrières de différentes tendances pour défendre les intérêts vitaux des masses laborieuses. (...) Les communistes, évidemment, ne peuvent pas et ne doivent pas, l'espace d'une minute, renoncer à leur travail indépendant en matière d'éducation, d'organisation et de mobilisation communiste des masses. Toutefois, afin de garantir aux ouvriers la voie menant à l'unité d'action, il est nécessaire, simultanément, de travailler à réaliser des accords de brève comme de longue durée, sur les actions à engager en commun avec les partis sociale-démocrates, les syndicats réformistes et les autres organisations des travailleurs contre les ennemis de classe du prolétariat. Ce faisant, il faudra surtout fixer son attention sur le développement d’actions de masse à la base réalisées par les organisations de base, au moyen d'accords conclus sur place. Remplissant loyalement les conditions de tous les accords conclus avec eux, nous dénoncerons sans merci tout sabotage de l'action par les individus et organisations participant au front unique à toutes les tentatives de rompre les accords (...), nous répondrons en nous adressant aux masses, en continuant notre lutte inlassablement pour rétablir l'unité d'action violée » (Dimitrov, VIIème Congrès de l’IC).

Quiconque compare la ligne exposée par le camarade G. Dimitrov et celle décrite plus haut dans le « diagnostic autocritique » du BP du PCF comprend que le « bouc-émissaire » de la mauvaise politique d’union de la gauche des vingt dernières années ne peut être en aucune façon la politique d'avant les 70. L'Internationale Communiste n'a jamais préconisé cette politique avouée par le BP consistant à privilégier « l'accord au sommet », à « placer le programme commun » comme « perspective », semant ainsi « l'illusion que le PS était décidé à rompre avec le capitalisme », à bloquer « l'initiative » des masses dans la lutte contre l'offensive du capital et de ses gouvernements en encourageant « l'attente et la passivité » des travailleurs, auxquels cette politique a fait croire que « les solutions viendraient d'en haut », à « instrumentaliser les masses pour conclure un accord au sommet avec le PS et pour soutenir celui ci ensuite ». La vérité est que « l'illusion que le PS était décidé à rompre avec le capitalisme » avant de devenir celle des masses, fut avant tout celle de la direction du PCF.

La preuve en est que bien des militants du PCF avaient, à maintes reprises, tiré la sonnette d'alarme sur la nature déloyale du PS dans « l'union de la gauche ».

Evoquant les « assises du socialisme », Guy Poussy au XXIème Congrès du PCF, observait déjà : « On ne peut pas mettre sur le compte d'un simple oubli, que dans la déclaration finale, il ne soit pas fait une seule fois référence au programme commun de gouvernement... Comment ne pas s'étonner encore que Rocard, Chapuis, rejoignent le PS et poursuivent leurs attaques contre le programme commun sans que celles-ci ne reçoivent la riposte nécessaire de la part des dirigeants socialistes? Nous sommes d'autant plus fondés à nous inquiéter que, par ailleurs, il est clair que l'activité du PS ne tend pas à gagner les masses aux solutions du programme commun... Tout est conditionné à sa propre expansion dans le but de devenir le premier parti de France » (Cahiers du communisme, Novembre 74 – N°II). Gustave Ansart ajoutait « qu'en plus de vingt ans… nous avons aidé (!) le PS à sortir de la collaboration de classes dans laquelle il s'enfonçait (...). Le combat politique pour gagner une large majorité à l'union de la gauche doit être mené dans la clarté. Il suppose... que le PS cesse de donner la priorité à sa propre expansion et au détriment du PC au nom d'un prétendu rééquilibrage qui s'inscrirait dans la nécessité de rassurer une partie de l'électorat. (...) L'union de la gauche, si elle veut être la base d'un large rassemblement majoritaire doit... cesser d'apparaître par trop comme un accord électoral au sommet... L'union de la gauche... doit résoudre... certaines contradictions. Ainsi, nous avons souvent relevé que c'est à Paris que Pierre Mauroy tient ses propos unitaires. Mais à Lille, les propos et les démarches du PS sont marqués de beaucoup plus de circonspection et de discrétion. Et il en est ainsi parce que l'alliance centriste continue d'être la règle dans la grande municipalité dirigée par le PS. C'est le cas... à Roubaix, à Wattrelos, à Cambrai, à Denain. C'est une entente de fait avec les partis de la majorité dans une assemblée qui élimine les communistes... Mais nous sommes réalistes. Nous n'avons jamais demandé à nos partenaires socialistes de rompre ces coalitions municipales du jour au lendemain. Mais nous constatons que le souci de ménager de telles alliances l'emporte trop souvent sur la nécessité de développer l'union de la gauche » (idem).

Déclarations confuses, mais qui ont le mérite de montrer clairement que la politique de suivisme dans le cadre de « l'union de la gauche » n'a pas commencé à poser problème récemment. Dès le début, en 1974 au moins, des militants du parti posaient déjà un diagnostic, certes confus, des problèmes que la direction vient seulement de prendre en compte 12 ans plus tard, en 1986. Déclarations confuses, qui amalgament appels aux masses et électoralisme. Juquin lui-même faisait un constat similaire quand il disait: « Est-ce que nos partenaires socialistes et radicaux de gauche font bien tout ce qu'il faut pour déjouer le plan anti-programme commun de la bourgeoisie? Plus encore, n'existe- t-il pas une série de phénomènes qui pourraient faire croire à une convergence de fait entre les plans de la bourgeoisie et certains desseins de nos alliés? », « Considérons la Dordogne, poursuit Juquin, ... la campagne anticommuniste conduite au premier tour par le candidat radical et par son suppléant socialiste... a été construite sur un thème unique: si vous voulez abattre Guiéna, ne votez pas communiste (...). Ils sont allés jusqu'à tenter de convaincre des membres du PC, certains élus locaux, qu'ils devaient se rallier à eux s'ils voulaient battre Guiéna.(...) Ils ont imprimé un appel... attribuant un caractère populaire et positif aux mesures de Giscard d'Estaing. (...) Les faits que je cite, ajoute Juquin, ne sont pas des détails ou des lapsus, mais semblent traduire quelque chose de systématique et posent, en conséquence, des questions de fond » (idem).

Il faut croire que le BP aura fait la sourde oreille, jusqu'à ce que les manœuvres du PS portent leur fruit, à savoir la chute électorale du PCF au profit du PS. C'est alors, et seulement alors, que le BP effrayé par la perte de son électorat, se mit à observer attentivement la politique du PS. Mais que fait aujourd'hui le BP du PCF? Il a remplacé le « rassemblement populaire majoritaire » autour de « l'union de la gauche » pour le pouvoir par le « suffrage universel » par le « rassemblement populaire majoritaire » autour du PCF pour « prendre à la direction des affaires du pays la place que lui accordera le suffrage universel » en concluant « des accords entre formations politiques, en particulier avec le PS, lorsque de tels accords s'avèreront possibles » (projet de résolution du 26ème Congrès du PCF). C'est dire qu'il n'y a vraiment rien de nouveau dans la prétendue nouvelle orientation du PCF. Le BP n'a fait que retirer le PS et maintenir le « rassemblement populaire majoritaire » et le « suffrage universel ».

La conception et la pratique gouvernementale du PCF n'est pas révolutionnaire.

L'attitude du PCF durant le pouvoir « d'union de la gauche » et surtout après le départ des ministres communistes, n'a rien à voir non plus avec les recommandations de l'IC et la ligne d'avant les années 50. Dimitrov indique: « Ainsi, les communistes utilisant telles ou telles revendications particulières contenues dans les plateformes des partis sociale-démocrates eux-mêmes et les promesses faites aux élections par les ministres social- démocrates, comme point de départ pour des actions communes avec les organisations et partis sociale-démocrates, les communistes pourront ensuite plus aisément déployer la campagne pour l'établissement du front unique, cette fois sur la base de plusieurs autres revendications des masses en lutte contre l'offensive du capital » (Rapport au Vllème congrès).

Le comité central du PCF, au contraire, déclarait le 19 juillet 1984 qu'il « va de soi que nous restons entièrement disponibles (sic) pour favoriser et soutenir toute mesure qui ira dans le sens des engagements pris. Et pourquoi pas, si les conditions étaient à nouveau créées, reprendre notre place au gouvernement pour le plus grand profit de la nation, du monde du travail et de l'union de la gauche elle même » (cité dans Autocritique de P. Juquin).

Il est à noter que Juquin, dans son livre Autocritique, d'où est tirée cette citation du CC du PCF, se réjouit d’une telle déclaration, l'utilisant même contre la politique actuelle du parti. En fait, la préoccupation du CC, tout comme celle de Juquin ici, n'est pas le renversement définitif de la bourgeoisie et de son pouvoir. On est très loin ici d'utiliser « telles ou telles revendications... contenues dans les plateformes des partis sociale-démocrates... et les promesses faites aux élections... pour ensuite... déployer la campagne... sur la base de plusieurs autres revendications des masses en lutte contre l'offensive du capital » tel que l'indique la ligne d'avant les années 50.

« L'union » n'est pas une fin en soi pour les communistes. Ils savent que l'alliance avec les forces réformistes n'est qu'un moyen, une étape tactique dans des conditions données. Quand une telle question se pose pratiquement, les communistes répondent à la question des bases et objectifs de l'alliance. L'unité avec d'autres forces politiques est une question concrète déterminée par la situation concrète du moment. Il ne peut être question d'une « union » de gouvernement se suffisant à elle-même, car c'est là un ralliement des communistes à la social-démocratie. C'est là la terrible tragédie qu'a connue le PCF le long de ces dernières décennies.

C'est ainsi que le gouvernement de coalition, avec participation de communistes, est envisagé par G. Dimitrov élaborant au VIIème Congrès de manière tout à fait différente du BP du PCF: « Premièrement, l'appareil d'Etat de la bourgeoisie est suffisamment désorganisé et paralysé pour que la bourgeoisie ne puisse empêcher la création d'un gouvernement de lutte contre la réaction et le fascisme ; deuxièmement, la grande masse des travailleurs, et particulièrement des syndicats, se dresse énergiquement contre le fascisme et la réaction, mais ils ne sont pas encore prêts à se soulever, afin de lutter, sous la direction du parti communiste, pour la conquête du pouvoir soviétique ; troisièmement, la différenciation et l'évolution à gauche dans les rangs de la social-démocratie et des autres partis membres du front unique ont déjà abouti à ce résultat qu'une partie considérable d'entre eux exige des mesures implacables contre les fascistes et les autres réactionnaires, lutte en commun avec les communistes contre le fascisme et intervient ouvertement contre la fraction réactionnaire hostile au communisme de son propre parti » (Rapport au VIIème Congrès de l'IC).

Dimitrov envisage donc le gouvernement de coalition avec d'autres forces, mais le relie clairement et directement à la crise politique et au développement d'une lutte de masse faisant que les classes dominantes ne sont plus à même de maîtriser l'essor du mouvement des masses. Les contestataires devant la politique actuelle de la direction du PCF dirigée contre le PS pour la reconquête de son influence électorale veulent en revenir à « l'union de la gauche » telle qu'elle a été pratiquée par le parti communiste. Dans leur manifeste « La révolution, camarade », ils disent « oui, la gauche existe. Elle est une donnée ancienne de notre vie politique. Elle s'identifie aux aspirations à la liberté, à la démocratie, à la justice sociale, à la transformation des réalités présentées comme immuables par les conservateurs. En France, la gauche est pluraliste. Le courant réformiste est le fruit du mouvement du capital lui-même: il constitue la première réponse aux injustices du système: il exprime la volonté spontanée et la nécessité permanente de l'aménager. Le courant révolutionnaire fonda son existence et sa vitalité sur des réalités matérielles et culturelles anciennes et toujours renouvelées. Il s'est aussi constitué contre les abandons, les capitulations, les limites du courant réformiste en 1914, puis en 1958 notamment, puis dans les aventures coloniales de l'impérialisme français. Il est aussi mortel et fallacieux de prétendre détruire ou nier la réalité de cette gauche pluraliste, que d'en méconnaître les traits contradictoires fondés sur l'histoire de la réalité ».

Une telle vision est la maladie endémique qui gangrène le PC depuis longtemps.

Objectivement, concevoir un pluralisme immuable de la gauche condamnée à être unie, affirmer qu'il est « mortel et fallacieux de prétendre le détruire », c'est se condamner à l’impossibilité de changer la société. Subjectivement, c'est se situer pleinement sur le terrain de l’opportunisme. La lutte pour l'hégémonie du courant révolutionnaire dans le mouvement ouvrier et populaire est la condition inévitable de la victoire des travailleurs   sur leur ennemi de classe. C'est là où historiquement durant toutes ces décennies, le PCF a échoué. Il s'est mis à la remorque de la social-démocratie réformiste et à bien des égards du social-impérialisme. Il s'est mis à reprendre à son propre compte la politique et la propagande social-démocrate. Cette capitulation idéologique et politique est la base du « programme commun » de gouvernement dont le PCF n'a cesse de faire la quête, adoptant la position selon laquelle il ne peut y avoir prise de pouvoir par le PCF qu'en faisant « l’union de la gauche » avec le PS. La ligne électoraliste a entrainé   inévitablement les dirigeants à cette conclusion défaitiste.

C'est ce sentiment là qui fait dire à Juquin que « seul, le PCF s'enfoncerait dans l'impuissance, laisserait le terrain libre à la collaboration de classe, désespérerait le monde du travail. Seul, le PS ne pourrait pas longtemps supporter les contradictions entre les espoirs qu'il a fait naître et une politique néolibérale, entre son ambition de représenter le mouvement ouvrier et une direction de plus en plus monopolisée par les énarques a coloration bourgeoise... qui court-circuite la société civile... La grande majorité des Français a intérêt à une gauche diverse, équilibrée, unie » (Autocritique).

A une nuance près, le BP actuel du PCF ajoute à cette position un élément, en demandant au PS de rompre avec son orientation vers « l'alliance centriste », de mettre fin à son « anticommunisme » et de revenir à une politique similaire à celle du « programme commun ». Le projet de résolution du 26ème congrès formule cela en disant que « les choix des dirigeants socialistes posent un problème nouveau à la gauche (...). La  gauche a de tout temps été pluraliste (...), de profondes différences de nature ont existé entre le PCF et le PS. Tirant parti des possibilités que leur offrait la  stratégie qui était alors celle du PCF et les institutions, François Mitterrand et les dirigeants socialistes ont utilisé l'union sur le programme commun pour renforcer leur parti au détriment du notre, puis accéder au pouvoir dans une position hégémonique: lls ont alors appliqué une politique de droite dans des conditions qui leur ont permis de changer de stratégie tout en préservant leur base électorale ». C'est donc que le PS a utilisé l'union pour arriver de façon « hégémonique » au pouvoir tout en préservant sa base électorale. Telles étaient les vraies raisons pour lesquelles il y a eu tant d'entorses signalées plus haut dans les citations d'intervenants au XXIème congrès du PCF, à la loyauté de la part du PS à « l'union de la gauche ». Bien avant le pouvoir de « gauche » il était clair pour qui voulait le voir que « l'union de la gauche » était une manœuvre social-démocrate comme il y en a eu maintes fois dans l'histoire.

Pour le BP, il s'agit aujourd'hui de pousser à la base les dirigeants socialistes à la rupture avec ses « choix de classe... communs aux dirigeants du PS, du RPR et de l'UDF ». Et le BP du PCF d'ajouter que « cela ne signifie pas que cette situation est sans issue, définitive... car quels que soient les choix politiques de ses dirigeants, l'immense majorité de celles et ceux qui lui font confiance se réclament des idéaux de gauche et sont directement frappés par la politique du grand capital. (...) Nous nous adressons aux électeurs et militants socialistes. Nous les appelons à agir avec nous pour ouvrir la voie à une union nouvelle pour le changement » (Résolution du 26ème Congrès). Il s'agit d'obliger les dirigeants socialistes à l'union avec le PCF et, en dépit des « choix politiques » libéraux du PS, le BP n'est même pas gêné de supplier encore : « nous sommes désireux de continuer à gérer ensemble, dans l'intérêt des populations, les collectivités locales où existe une majorité de gauche ». L'on voit là l'essence de la politique du BP du PCF de ces dernières décennies, qu’il a pourtant identifié la base de la faillite. « L'union de la gauche » décidément marque de façon indélébile la prétendue « nouvelle politique pour le changement » du BP. Mais cette politique et ce débat sont-ils vraiment nouveaux? N’y a-t-il que ces deux politiques, celle de Juquin et celle mise en avant actuellement par G. Marchais ? Ou y en a-t-il une autre?

La ligne tactique du VIIème Congrès du Komintern et l'opportunisme de droite.

Il existe deux conceptions erronées du VIIème Congrès ; celle du PCF et de ses avortons du genre Juquin, et celle des gauchiste trotskiste reprise par la bourgeoisie. La conception des dirigeants du PCF est une interprétation droitière des tactiques formulées au VIIème Congrès par le Komintern dans les conditions de la lutte antifasciste. Le BP a érigé en stratégie valable pour tous les temps et toutes les conditions ce qui était conçu comme une tactique particulière dans une situation donnée.

Nous nous permettons de citer ici un passage intéressant de la brochure du camarade Alain R. Stover intitulé La défaite du fascisme, dans lequel il expose et commente la ligne du VIIème Congrès par opposition à une telle déviation de droite :

« Je concentre mon tir principalement contre les théories trotskistes et semi-trotskistes au sujet du Komintern et du VIIème Congrès Mondial parce qu'elles constituent les théories mises en avant par la bourgeoisie, que ce soit sous la forme de conceptions ouvertement trotskistes ou de celles d'intellectuels universitaires à propos de l'Union Soviétique, de son nationalisme, de son patriotisme, etc. qui l'auraient amené à abandonner la révolution en Europe. Il existe cependant une autre conception du VIIème Congrès Mondial, soit celle mise aujourd'hui en avant par l'Union Soviétique. Celle-ci est souvent utilisée pour justifier la conception trotskiste. Dimitrov a clairement déclaré au VIIème Congrès Mondial que le Komintern procédait à un changement de tactique et non à un changement de but, des objectifs ou de la stratégie. Mais dans l'histoire révisionniste du Komintern, on affirme que ce n'était pas seulement un changement de tactiques mais le développement d'une nouvelle ligne stratégique qui tenait compte de la nouvelle disposition des forces de classe en Europe.

Fondamentalement, ils ont tenté de justifier le fait que les tactiques mises en avant pour la défaite du fascisme devaient s'appliquer dans toutes les circonstances, dans tous les pays face à la question de l'indépendance nationale, dans l'attitude à adopter dans la lutte contre ou pour la démocratie bourgeoise.

Plutôt que de considérer cette question comme une question tactique, ils l'ont élevée à un niveau stratégique où on lutte toujours pour la démocratie bourgeoise, pour l'indépendance nationale et pour un gouvernement de transition au socialisme du type d'un gouvernement de front populaire en d'autres mots, pour les alliances de classes, etc. En fait, les révisionnistes transforment ce qui était considéré à une époque comme une tactique en une conception social-démocrate de participation à des gouvernements de coalition avec la bourgeoisie en toutes circonstances, dans l'objectif d'une quelconque transition pacifique vers le socialisme, par le biais de réformes qui devraient mener on ne sait trop comment au socialisme.

Si l'on examine l'histoire des partis communistes des trente dernières années, on se rend compte que cela fut leur principale ligne stratégique. Ils cherchent soit à participer à des gouvernements de coalition, soit à persuader la bourgeoisie de les accepter dans de tels gouvernements même si la bourgeoisie n'y a aucun intérêt. Ils abordent le VIIème Congrès du Komintern de la façon suivante :

« Le VIIème Congrès a développé la politique des partis communistes sur le parlementarisme dans les conditions de la lutte démocratique en général. Le développement d'une politique de front populaire, et plus particulièrement la question d'un gouvernement de front populaire en tant que forme de transition possible à la dictature du prolétariat, constituait un développement des enseignements de Lénine sur les voies de la révolution socialiste, sur la façon de combiner la lutte pour la démocratie avec la lutte pour le socialisme, et sur l'alliance de la classe ouvrière avec d'autres couches du peuple travailleur. L'effort collectif de plusieurs partis communistes a permis d'en arriver à d'importantes conclusions doctrinales sur ces questions. Les développements des enseignements de Lénine sur l'interdépendance entre la lutte pour la démocratie et la lutte pour le socialisme prenaient en considération le fait que le processus révolutionnaire dans les pays capitalistes ne dépasserait pas dans l'immédiat l'étape de la lutte démocratique antifasciste. Cette voie ne signifiait en aucune façon que les objectifs socialistes étaient mis à l'écart. Au contraire, le front unique des ouvriers et le front populaire entraînaient les larges masses dans la lutte contre le fascisme et pour la victoire de la nouvelle démocratie, préparant ainsi les pré-conditions pour la révolution socialiste. Telle est l'essence et la substance de la politique du front populaire. La nouvelle orientation ouvre de nouvelles perspectives au mouvement vers la révolution socialiste » (Georges Dimitrov, L'offensive du fascisme et les taches de l'Internationale Communiste dans la lutte pour l'unité de la classe ouvrière contre le fascisme).

Certaines personnes, qui critiquent le Komintern, considèrent ce genre de propos comme du révisionnisme. Mais   nous devons examiner ce qui a été dit au VIIème Congrès sur cette question et qui s'avère fort différent de ce que les révisionnistes prétendent. Lorsque Dimitrov aborde la question de front uni, il déclare:

« Je ne parle pas ici du gouvernement qui peut être formé après la victoire de la révolution prolétarienne. Evidemment, la possibilité n'est pas exclue que dans un pays, aussitôt après le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie, un gouvernement soviétique puisse être formé sur la base d'un bloc gouvernemental composé du parti communiste et de tel autre parti (ou de son aile gauche) qui participe à la révolution. On sait qu'après la Révolution d'Octobre, le parti vainqueur des bolchéviks russes a fait entrer dans le gouvernement soviétique les représentants des socialistes-révolutionnaires de gauche. C'est là un trait particulier du premier gouvernement soviétique qui suivit la révolution d'Octobre. Ce n'est pas lui que j'ai en vue, mais la formation possible d'un gouvernement de front unique à la veille et avant la victoire de la révolution soviétique. Qu'est-ce que ce gouvernement? Et dans quelle situation peut-il en être question? C'est avant tout un gouvernement de lutte contre le fascisme et la réaction. Ce doit être un gouvernement formé à l'issue du mouvement de front unique et ne limitant, en aucune manière, l'activité du parti communiste et des organisations de masse de la classe ouvrière, mais au contraire, prenant des dispositions énergiques dirigées contre les magnats contre-révolutionnaires de la finance et leurs agents fascistes » (Dimitrov).

Dimitrov précise clairement que le Komintern considérait cette question comme une question tactique liée à certaines conditions et non d'un changement permanent de la ligne stratégique comme le prétendent aujourd'hui les révisionnistes. Au VIIème Congrès Mondial, Dimitrov a combattu à la fois les déviations de « gauche » et de droite sur cette question, les mêmes déviations de « gauche » et de droite contre lesquelles nous luttons aujourd'hui. Dimitrov poursuit:

« Le fait que nous mettions aujourd'hui cette question à l'étude est évidemment lié à notre appréciation de la situation et des possibilités immédiates de développement, ainsi qu'à l'essor réel du mouvement de front unique dans plusieurs pays ces derniers temps. Pendant plus de dix années, la situation dans les pays capitalistes était telle que l'Internationale Communiste n'avait pas à examiner des problèmes de ce genre. Vous vous rappelez, camarades, qu'à notre IVème Congrès, tenu en 1922, puis au Vème Congrès, en 1924, nous avons étudié le mot d'ordre du gouvernement ouvrier ou ouvrier-paysan. Et il s'agissait au début, quant au fond, d'une question presque analogue à celle que nous posons aujourd'hui. Les débats qui s'engagèrent alors dans l'Internationale Communiste autour de cette question et surtout les fautes politiques commises dans ce domaine ont maintenant encore de l'importance: elles nous encouragent à renforcer notre vigilance contre le danger de déviation à droite ou « à gauche » de la ligne bolchevik dans cette question. C'est pourquoi je signalerai brièvement certaines de ces fautes, afin d'en tirer les enseignements nécessaires pour la politique actuelle de nos partis. La première série de fautes était conditionnée précisément par le fait que la question du gouvernement ouvrier n'était pas reliée clairement et solidement à l'existence d'une crise politique. Grâce à cette circonstance, les opportunistes de droite pouvaient interpréter les choses de façon à faire croire qu’il convient de viser à la formation d'un gouvernement ouvrier soutenu par le parti communiste, dans n'importe quelle situation dite « normale ». Les ultragauches au contraire, ne reconnaissaient que le gouvernement ouvrier issu d'une insurrection armée, qui ait renversé la bourgeoisie. L'un et l'autre point de vue étaient faux et c'est pourquoi, afin d'éviter la répétition de pareilles erreurs, nous mettons aujourd'hui si fortement l'accent sur la nécessité de tenir compte avec grand soin des conditions concrètes particulières de la crise politique et de l'essor du mouvement de masse où la création d'un gouvernement de front unique peut s'avérer possible et politiquement indispensable. La deuxième série de fautes était conditionnée par le fait que la question du mouvement ouvrier n’était pas liée au développement d'un vaste mouvement combatif de front unique du prolétariat. C'est pourquoi les opportunistes de droite avaient la possibilité de déformer la question en la ramenant à la tactique sans principe de blocage avec les partis sociale-démocrates sur la base de combinaisons purement parlementaires. Les ultragauches au contraire, clamaient « Aucune coalition avec la social-démocratie contre-révolutionnaire » considérant, dans le fond, tous les social- démocrates comme des contre-révolutionnaires » (Dimitrov).  

Puis Dimitrov polémique contre la conception prônant l'unité avec la social-démocratie au gouvernement, en soulignant qu'il existe deux camps différents de la social-démocratie; le camp réactionnaire de la social-démocratie, aux côtés duquel se tient un camp en développement de sociale-démocrates de gauche. Il doit être bien compris que, dans la période de front uni, ce ne sont pas les communistes qui se sont ralliés aux conceptions sociale-démocrates. C'est la social-démocratie, du moins une section de la social-démocratie et non sa majorité, qui a adopté le point de vue communiste. Une importante section de l'aile gauche de la social-démocratie s'est ralliée à la classe ouvrière, au front populaire contre le fascisme, et cela contre les désirs et la volonté de la direction de la IIème Internationale. C'est avec ce type de social-démocratie que Dimitrov évoque la possibilité de former un gouvernement de front uni. Par la suite, Dimitrov critique les conceptions opportunistes de droite et de « gauche » sur cette question.

« Les doctrinaires « de gauche » ont toujours évité cette indication de Lénine, propagandistes bornés. Ils ne parlaient que du « but » sans  jamais se préoccuper des « formes de transition ». Quant aux opportunistes de droite, ils tentaient d'établir un « stade intermédiaire démocratique » particulier entre la dictature de la bourgeoisie et la dictature du prolétariat, dans le but de répandre parmi les ouvriers l'illusion d'une paisible promenade parlementaire d'une dictature à l'autre. Ce « stade intermédiaire » fictif, ils l'intitulaient aussi « forme transitoire » et se référaient même à Lénine ! Mais il n'était pas difficile de dévoiler cette filouterie, car Lénine parlait d’une forme pour passer à « la révolution prolétarienne » et l'aborder, c’est-à-dire pour passer au renversement de la dictature bourgeoise, et non pas d'on ne sait quelle forme transitoire entre la dictature bourgeoise et la dictature prolétarienne » (Dimitrov).

Toutefois, l'Histoire nous a montré que nous n'avions pas vu la fin de telles déformations. Les révisionnistes l'ont fait dans leur version de l'histoire du Komintern et de telles déformations sont communes chez eux. Pour Mao, c'était la Démocratie nouvelle en tant qu'étape: Ce fut aussi le cri de ralliement des titistes et c'est la conception de base des révisionnistes modernes. Et bien entendu, tous les trotskistes, autant anciens que modernes, pointent ces positions du doigt pour justifier leurs conceptions ultragauchistes » (Alain R. Stover, La défaite du fascisme).

La « société » est-elle responsable de ce qui arrive?

A la base des arguments du BP pour justifier la faillite de sa politique d'union menée jusqu'à et sa soi-disant « réorientation », il y a la théorie du « glissement à droite de la société ». Le projet de résolution du 26ème congrès affirme : « Depuis 1981, la conscience de classe, les idées et les valeurs de progrès ont reculé. La politique d'austérité, de plus en plus vécue comme intolérable, est massivement considérée comme inévitable. Pour des millions de gens, la perspective d'un changement de politique s'est obscurcie. L'origine de ce glissement à droite est politique. A partir de 1982, François Mitterrand et les dirigeants socialistes ont méthodiquement appliqué aux forces populaires une véritable pédagogie du renoncement au changement de société en expliquant que leur politique s'imposait et que les transformations promises et attendues n'étaient pas possibles. Sur ce fond de déception et de résignation, les idées de la droite et de l'extrême droite ont pu d'autant mieux progresser. La recomposition politique et idéologique que le RPR, I'UDF et le PS s'efforcent maintenant de réussir est rendue possible par ce glissement à droite déjà obtenu ».

Cette tentative du BP de trouver une explication « théorique » à l'état piteux dans lequel le mouvement ouvrier a été placé par le joug du réformisme est contestée par ce que d'aucuns nomment les « rénovateurs ». Ces derniers dans leur quête « d'union de la gauche ancienne formule », justifient ainsi l'attitude du PS par les soins de leur présidentiable Juquin : « Le président en a jugé autrement. Je ne pense pas que son évolution puisse être qualifiée de virage ou de dérive social-démocrate (sic). De plus en plus, il a réagi aux difficultés critiques d'application des politiques classiques d'inspiration social-démocrate, non en cherchant à les dépasser dans le sens d'un socialisme rénovateur (?), mais en laissant le gouvernement devenir une espèce de succursale du néo- libéralisme » (Autocritique).

En un mot, malgré la politique ouvertement anti-ouvrière du PS, cela ne peut empêcher « l'union ». Le BP saisit au bond ce point de vue droitier pour situer exclusivement la responsabilité du « glissement à droite » sur le PS. Mais une question se pose : l'abandon du sigle (le marteau et la faucille), de la dictature du prolétariat, de la voie de la révolution au profit d’un électoralisme tous azimut, de la lutte pour un soi-disant « socialisme à la française », du soutien à la lutte des peuples colonisés par « son » pays tels les « DOM-TOM », etc. par le PCF n'a-t-il rien à voir avec le fameux « glissement à droite » dont on nous parle si abondamment?

A-t-on vraiment vu la fin des déviations de la ligne tactique du VIIème congrès du Komintern dont parlait le camarade G. Dimitrov? Comment se fait-il que des gens comme Juquin aient pu rester si longtemps des dirigeants porte-paroles du parti tout en défendant des positions selon lesquelles « dans les pays capitalistes développés existent des poches de misère insupportables... mais pour la plupart de leurs habitants, les grands besoins élémentaires sont couverts. Dans plusieurs pays, comme la Suède ou la France, les salariés ont des avantages inconnus dans les pays socialistes: durée des congés, possibilités de voyages, qualité du logement, niveau de la retraite... La plupart des chômeurs ne meure plus de faim. Les problèmes qui se posent à eux sont plutôt la sécurité, l'accès à une meilleure qualité de vie, le respect de la dignité, l'autonomie, le développement personnel. Le problème du socialisme ne se réduit pas à une productivité plus grande et une répartition plus équitable. La question de la liberté sera probablement un enjeu mondial majeur du XXIème siècle » (Autocritique).

Il faut croire que nous ne vivons pas dans le même monde que Juquin. La crise et ses conséquences sont les meilleurs démentis aux allégations apologétiques de « son » pays. Mais la relative hausse du niveau de vie dans « son » pays est le résultat du pillage éhonté et de la surexploitation des peuples opprimés par « son » pays impérialiste. C'est ce profit maximum tiré du sang et de la chair des travailleurs de l'empire colonial et semi-colonial français qui permet la corruption d'une partie des ouvriers aristocrates et de la petite bourgeoisie du pays.


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