Nous
publions ci-dessous une analyse de notre camarade Charles Hoareau sur
la lutte qui commence pour sauver l'emploi sur PSA Aulnay,
qui rappelle que l’Etat peut nationaliser une entreprise quand
il s’agit de faire prévaloir l’intérêt
national et de sauver l’emploi, et que c’est précisément
l’UE, codirigée par l’Etat français, qui
s’oppose actuellement à cette option.
Dans
un article consacré à PSA [1]
et titré PSA,
trois fois victime de l’Europe, Laurent Pinsolle opposant
de droite à la construction européenne pointe non sans
raison les responsabilités de l’UE dans l’annonce
faite par PSA. Selon lui l’entreprise serait la « victime »
de trois mauvais choix politiques. On peut être d’accord
avec l’auteur pour critiquer les trois choix en question, mais
de là à dire que l’entreprise est « victime »
de choix qui sont en fait ceux de toutes les grandes entreprises
multinationales, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Dans
cette affaire la seule victime réelle c’est le monde du
travail dans son ensemble qu’il s’agisse des salarié-e-s
de l’usine, de celles et ceux occupant des emplois induits ou
enfin de celles et ceux sans emploi qui voient encore s’éloigner
davantage la possibilité d’un emploi qui se libère
quelque part. Tous ceux-là sont victimes non seulement des
trois choix abordés par Pinsolle mais aussi d’autres
dont il ne parle pas… De quels trois choix parle Laurent
Pinsolle ?
Les trois choix en
question
Les politiques
d’austérité :
« le
trou d’air des principaux marchés de PSA (France,
Espagne, Italie) doit beaucoup aux politiques absurdes mises en place
par les gouvernements de ces pays. Les politiques d’austérité
sauvage poussent les consommateurs de ces pays à repousser le
renouvellement de leurs voitures, provoquant un effondrement des
ventes, dont PSA n’est qu’une victime. »
Si évidemment nous
sommes bien d’accord pour dire que la baisse du pouvoir d’achat
est un frein à l’emploi, PSA, elle, n’a jamais
milité pour l’augmentation des salaires à
commencer par ceux des travailleurs de ses usines ! On n’a
jamais entendu le PDG de PSA se prononcer contre l’austérité
et, de plus, si effondrement des ventes il y a, il est tout relatif
nous y reviendrons. Enfin force est de constater que seuls les
salarié-e-s feraient les frais de cet « effondrement »
selon le plan de la direction et des actionnaires du groupe.
Le
libre-échange anarchique :
« PSA
est aussi la victime
du libre-échange
anarchique mis en place sur le territoire européen. Alors que
tous les constructeurs asiatiques peuvent encore compter sur un
marché protégé de la compétition
internationale pour leur assurer des marges leur permettant
d’affronter le retournement des marchés, les
constructeurs européens dépendent d’un marché
ouvert à tous les vents. PSA affronte les constructeurs
coréens en Europe sans pouvoir vendre en Corée. »
L’auteur aurait pu
parler dans ce paragraphe du protectionnisme américain et il
oublie de dire que PSA s’inscrit dans ce capitalisme mondialisé
et à ce titre elle vise à ce que la moitié de sa
production se fasse hors Europe.
L’euro
cher :
« PSA
est également une « victime » de l’euro
cher, qui le rend moins compétitif. En ayant été
plus lent à délocaliser sa production que Renault (PSA
produit encore 44% de ses voitures en France, contre 23% seulement
pour l’ancienne régie nationale), le groupe sochalien
produit trop dans des pays à monnaie chère (une 208
coûte 700 euros plus cher à produire en France qu’en
Slovaquie). » Ainsi
Peugeot reconnait, et Laurent Pinsolle avec, que le motif de la
délocalisation c’est tout au plus 700€ sur 16900
(prix moyen d’une 208 [2])
soit 4% du prix de vente ! 4% qui justifieraient à eux
seuls la suppression de 8000 emplois soit près de 10% de
l’emploi français du groupe (auxquels il faut rajouter
pour la France des
dizaines de milliers d’emplois induits [3]) ?
Et PSA aux marges de profit plus que confortables n’aurait pas
d’autre solution ?
Et
sur sa lancée Laurent Pinsolle de conclure que
« Malheureusement,
la décision de PSA est logique (…) Dans le cadre
actuel, la baisse du marché européen impose au
constructeur français de faire des économies en
France(…) Le
plan annoncé par PSA n’est pas le plan d’une
entreprise profitable qui cherche à augmenter ses profits. [4]
C’est le plan d’une entreprise victime d’une
concurrence déloyale et d’un cadre européen qui
la pénalise. Les vrais responsables sont tous les politiques
qui soutiennent cette mauvaise
Europe. »
Face à l’UE
la solution n’est pas le capitalisme nationaliste
Après avoir
noté que Laurent Pinsolle, confond Europe et Union Européenne
(ce qui est quand même fâcheux), nous reconnaissons à
son écrit le mérite d’aider à faire la
différence entre ceux qui, de la droite à son extrême
remettent en cause l’UE sans remettre en cause le système
capitaliste qui l’a engendrée, et celles et ceux qui la
combattent justement parce qu’elle est une création de
celui-ci et à son service exclusif. Si nous pouvons partager
le triple constat sur les politiques d’austérité,
le libre-échange anarchique et l’euro cher, cela ne nous
conduit pas à penser qu’un capitalisme nationaliste
et/ou régulé soit la solution.
En plus des trois
éléments abordés par Laurent Pinsolle, il
convient d’en ajouter d’autres que curieusement l’auteur
a oubliés.
Baisse des ventes?
« Peugeot
a publié une hausse de 16,9% de ses ventes mondiales ce
matin. » (Investir 7 7 2010) « Algérie :
Peugeot - Une progression des ventes de 59% au premier semestre
2012 » (La Tribune 15 juillet 2012)
Faut-il continuer la
liste des bonnes nouvelles pour la « victime » ?
Le seul énoncé des chiffres mondiaux émis par
l’entreprise elle-même montre que oui PSA « est
une entreprise profitable qui cherche à augmenter ses
profits ». La question première pour le
groupe n’est pas celle de la baisse des ventes, mais celle de
la baisse de son taux de profit. Dans sa course au profit, supprimer
des emplois en France, c’est s’assurer une hausse
mondiale du taux de profit.
Vous avez dit
compétitivité ?
C’est
devenu le dernier terme à la mode. Telle ou telle entreprise
serait « obligée » de demander des
sacrifices aux salarié-e-s afin de rester compétitive.
Mais de qui se moque-t-on ? Outre les ridicules 700€
que PSA reconnait, il y a un autre élément dont les
entreprises ne parlent jamais, c’est celui de la productivité.
Selon les chiffres fournis par l’entreprise elle-même, en
2010, les 198 210 salarié-e-s du groupe ont produit 3 605 524
véhicules [5]
soit 18,19
voitures par travailleur. Si
on retient encore le prix le moins cher pour la C3 produite à
Aulnay, soit 14 000€, cela veut dire que la production par
salarié-e et par an représente un minimum de 254 660€
de recette pour le groupe PSA. Quand on sait que le salaire annuel
moyen d’un-e salarié-e de PSA France est de 37515€ [6],
cela veut dire que le coût des salaires à PSA représente
14,73%
du prix de vente.
Et on vient nous parler de compétitivité, sous-entendu
de salarié-e-s trop payé-e-s ?
-
-
Evolution de la
productivité chez Renault, elle est comparable chez Peugeot
Citroën
Et
combien pèsent les dividendes des actionnaires dans la
compétitivité ? En tous cas ce qui est sûr
c’est que les bénéfices déclarés en
2011 par le groupe s’élèvent à 588
millions d’euros pour
un chiffre d’affaires de 60 milliards [7],
558 millions qui s’ajoutent au 10 milliards de bénéfices
réalisés en 12 ans [8] :
pas mal pour une victime ! Victime dont on signalera au passage
que la famille Peugeot qui la dirige est la 1ère fortune
française en Suisse...
Et si on parlait de
l’appropriation sociale ?
La
vérité c’est que la situation de PSA et surtout
de ses travailleurs, résulte de choix de gestion capitaliste
et de rien d’autre. Gageons que si ce gouvernement qui se
dit de gauche disait à la famille Peugeot : « On
vous a déjà donné trop d’argent (4
milliards d’aide publique [9]
soit l’équivalent de 106
624 emplois ou 13 ans de salaire pour les 8000 salarié-e-s de
PSA aujourd’hui menacés !!! [10]),
on réquisitionne l’entreprise et on la donne en gestion
aux salarié-e-s »,
ces derniers sauraient quoi faire dans l’intérêt
général !
Utopique ?
Regardez du côté de l’Amérique du Sud ce
que font des gouvernements face aux multinationales, y compris ceux
qui ne sont pas classés parmi les plus à gauche quand
ils sont poussés par les travailleurs !
La
France ce n’est pas l’Argentine ? Oui bien sûr
mais dans cette crise, sous la poussée du monde du travail qui
s’est invité dans la dernière présidentielle
pour faire entendre ses choix, des idées que l’on
pensait (provisoirement) enterrées ressurgissent. Ainsi dans
l’édito du 18 juillet de l’Humanité [11]
et consacré à PSA a-t-on pu lire : « Le
législateur dispose d’une large palette de mesures
possibles pour inciter une direction d’entreprise à
cesser de traiter les salariés comme une simple variable
d’ajustement vouée à payer les conséquences
de ses erreurs stratégiques. Moyens fiscaux, législation
sur le chômage partiel, interdiction des licenciements
économiques quand des dividendes sont versés aux
actionnaires, extension des droits du personnel… dans la
course de vitesse engagée avec les licencieurs, les
délocaliseurs, les profiteurs, il y a urgence à
légiférer, à faire la preuve que le politique
peut avoir
le dernier mot. Et aurait-on oublié
qu’un
État dispose du pouvoir de nationaliser, totalement ou
partiellement, une société pour y faire prévaloir
l’intérêt national ? [12] »
Ce que l’édito
ne dit pas c’est qu’une telle mesure, qu’évidemment
nous approuvons, serait en désaccord avec les traités
économiques européens. Ce serait même « un
acte de désobéissance à l’UE »
thème apparu dans la campagne électorale du Front de
Gauche et qui prend là un sens concret. Désobéir
à l’UE quitte à en sortir ou en être
sorti ? Cela semble bien plus réaliste que le thème
de « l’Europe sociale ». Est-ce une
manière pour l’éditorialiste de se démarquer
de la direction du PCF qui se limite pour l’instant à
réclamer – ce qui est bien mais ne peut suffire :
« l’interdiction des licenciements boursiers »
ou la marque d’un débat qui resurgit ?.
Quoiqu’il en
soit, si nous obtenions, car cela nous concerne tous, que
l’entreprise soit récupérée par celles et
ceux qui produisent les richesses, nous pourrions alors faire valoir
d’autres choix de production, développant l’emploi,
de vraies coopérations internationales, mais aussi prenant en
compte les critères écologiques que notre époque
impose.
Source
[1]
Marianne 2 15 juillet
[2]
www.feline.208.net
[3]
la CGT parle de 25000 à 32000 emplois
[4]
souligné par nous
[5]
source psa.fr
[6]
www.lejustesalaire.net
[7]
source slate.fr
[8]
source CGT PSA
[9]
selon RFI citant Marisol Touraine
[10]
4 milliards divisés par 37515€ salaire annuel moyen chez
PSA
[11]
signé Jean Paul Piérot
[12]
Souligné par nous
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