Camarades,
Nous
lisons votre lettre [voir
ici en espagnol]
déjà
publiée et dans laquelle vous vous demandez sur quoi se fonde
l'analyse portée dans l'article de notre journal
« Rizospastis ». L'article soulignait quant aux
dernières élections en Grèce :
« Izquierda Unida (IU)
a trompé les électeurs sur l'illusion d'une 'meilleure
gestion' du système capitaliste ».
La
participation même du Parti communiste d'Espagne (PCE) à
la direction du « Parti de la gauche européenne »
(PGE) qui, dans ses documents fondateurs, accepte de défendre
le « principes de l'UE » et s'appuie sur des
positions défendant la gestion du système capitaliste
constitue une réponse en soi.
Néanmoins,
après votre lettre, il est nécessaire pour nous
d'exposer publiquement certaines questions fondamentales, juste en
faisant une sélection du programme électoral
d'« Izquierda Unida » (IU), qui confirme la
critique précise portée par l'article, et lui apporte
des preuves.
Plus
particulièrement, le programme d'IU :
-
ne mentionne nulle part comme une condition préalable à
la libération du peuple le renversement du pouvoir du capital
et la construction du socialisme. Au contraire, il nourrit une série
d'illusions sur la possibilité d'une issue à la crise
favorable au peuple dans le cadre de la voie de développement
capitaliste ;
L'objectif
de « bonne gestion » du système est
affiché très clairement à la page 6 du
programme : « nous
ne renonçons pas à la gestion de l'immédiat ».
Stratégiquement, cela est justifié page 18 par la
« construction
d'un nouveau système productif »,
mais toujours sur la base des vieux rapports de production
capitalistes dépassés, reposant sur l'exploitation.
Page 6, nous ne trouvons pas comme objectif le renversement du
capitalisme mais le « dépassement
du modèle social, politique, culturel dominé par le
néo-libéralisme ».
En d'autres termes, l'ensemble de votre démarche identifie
comme le problème une forme de gestion capitaliste
(néo-libéralisme) et en partage une autre, une gestion
prétendument meilleure. Ne tournons pas autour du pot, voilà
le cœur du programme d'IU, renvoyant à une gestion
social-démocrate.
-
Il renvoie l'idée que l’État capitaliste puisse
être un rempart pour protéger les droits de la classe
ouvrière et du peuple. Ce qui va à l'encontre de la
réalité même et démontre combien l’État
capitaliste est un État de classe, au service des monopoles,
et encore plus dans un contexte de libéralisation d'un capital
qui fait passer de façon énergique des mesures brutales
dans les rapports de travail, par rapport aux salaires, qui s'en
prend à tous les droits des travailleurs.
Dans le
cadre de cette opération visant à redonner une nouvelle
virginité à l’État capitaliste, le
programme fait une allusion éclairante à cet égard,
page 22 : « nous
faisons la proposition d'un État social participatif qui,
maintenant une place centrale au secteur public, défende
l'intérêt public, l'égalité, la
solidarité... ».
Dans la
même veine : « L’État
doit contre-balancer les mécanismes du marché, et pas
seulement les corriger ».
On entretient l'utopie que l'économie capitaliste, le système
capitaliste pourri et son anarchie puissent être maîtrisés,
« contre-balancés » et que cela puisse
profiter aux travailleurs. Ce mot d'ordre crée sans aucun
doute la confusion parmi les travailleurs, constitue un frein à
l'activité militante et va dans le sens de l'intégration
des forces populaires aux objectifs des forces du capital.
Page 7,
l'objectif est : « la
création d'emplois dans le secteur public, car les entreprises
rencontrent en ce moment beaucoup de difficultés à en
créer sans aide publique ».
Au même moment où la classe ouvrière est poussée
dans la pauvreté et la déchéance, le programme
d'IU exprime... son inquiétude vis-à-vis des
« nombreuses
difficultés »
que rencontrent les capitalistes. En réalité, il
légitime leurs appels à l'aide, leurs demandes d'argent
public frais qui agissent comme un instrument pour réduire
ou/et supprimer les allocations chômage au nom de l'« aide
à l'emploi » qui est un principe de l'UE, et dont
IU est un partisan résolu.
On ne
laisse par ailleurs subsister aucun doute sur les relations
salariales en vigueur dans ce type d'emploi puisque le programme
déclare, page 7, en usant de la terminologie de l'UE et des
organisations patronales : « la
redistribution et la rationalisation de l'emploi existant ».
Pour la classe ouvrière, cela signifie qu'IU donne le feu vert
à la flexibilisation des horaires de travail, à la
suppression des conventions collectives, à la généralisation
des emplois à temps partiel.
-
La conception opportuniste et bourgeoise de la crise capitaliste
comme étant une crise de la dette est reproduite, mais
l'origine de la crise capitaliste réside dans la
sur-accumulation de capital. La dette est présentée
comme un problème qui doit concerner la classe ouvrière
et le peuple, une dette dont ils ne sont pas responsables et que la
ploutocratie doit payer.
Ainsi,
il soutient la position trompeuse selon laquelle les peuples auraient
quelque chose à gagner à la renégociation de la
dette et à l'émission d'obligations de la part de l'UE
(page 18). Ne s'agit-il pas ici de « bricolage »
gestionnaire au vu de l'impasse dans laquelle se trouve le système
capitaliste ? Le peuple grec a cependant une amère
expérience des nouveaux prêts qu'on leur demande de
payer, comme cela s'est produit avec le célèbre
'rabais' de 50%, tout comme avec les propositions avancées par
certains secteurs de la ploutocratie d'émission d'obligations
de la part de l'UE.
-
Votre programme est résolument tourné vers le soutien
de l'UE impérialiste, ennemi du peuple, et abonde de
réflexions sur la nécessité de la sauver et de
la « corriger », et non de la dissoudre.
Il
parle d'un « changement
complet dans le modèle de la construction européenne »
(page 17), prend l'engagement de « changer
la politique étrangère actuelle (…) de l'UE »
sans remettre en question, ne serait-ce qu'un instant cette
organisation impérialiste inter-étatique et par
ailleurs sans évoquer la nécessité d'un retrait
de l'UE.
De
plus, il légitime complètement les critères du
Traité de Maastricht et du Pacte de stabilité, qui
constituent un levier dans la mise en œuvre de mesures
contraires aux travailleurs, avec la proposition de « reculer
la date limite pour la réduction du déficit à 3%
d'ici 2016 »
(page 18). Il affirme également sa compatibilité avec
les critères du grand capital afin de réduire encore le
prix de la force de travail.
Il
affirme que : « l'UE
doit acheter la dette publique des Etats-membres et émettre
autant d'obligations que nécessaire en vue d'empêcher la
spéculation »
(page 18). Il alimente la logique selon laquelle l'UE pourrait
adopter un visage pro-populaire et proposer une issue à la
crise qui serait dans les intérêts de la classe
ouvrière, des couches populaires. Dans le même temps,
nous savons tous que l'UE a été constituée par
les gouvernements bourgeois afin de défendre les monopoles
européens dans la concurrence internationale avec les
monopoles américains, russes, japonais et chinois d'une part,
et d'autre part afin d'exploiter de façon encore plus intense
et coordonnée les travailleurs, défendant le pouvoir
bourgeois par tous les moyens possibles, et par de nouveaux appareils
politiques et répressifs. Voilà ce qu'est l'UE, une
organisation au service des monopoles ! On ne peut la corriger
de l'intérieur, car les monopoles constituent sa « cellule »
et le pouvoir bourgeois sa « colonne vertébrale » !
La seule perspective positive offerte aux travailleurs est le retrait
de tous les pays de cette union, l'instauration du pouvoir populaire
qui mènera à la socialisation des principaux moyens de
production, à la planification centralisée et au
contrôle ouvrier.
Seul ce
pouvoir peut libérer le peuple de cette énorme dette
publique dont il n'est en rien responsable.
Votre
programme lance un appel à l'UE même afin qu'elle fasse
une exception au principe de liberté de mouvement du capital
dans le cas des relations entre Etats-membres et paradis fiscaux
(page 12). Par conséquent, il ne lutte pas contre la liberté
de mouvement du capital dans son ensemble (principe fondamental du
Traité de Maastricht défendu par le PGE et sa direction
à laquelle participe le PCE) mais demande des exceptions à
la règle générale qui continuera à
exister indéfiniment et constituera un outil entre les mains
du capital pour casser les droits et acquis des travailleurs et du
peuple. Une fois de plus, ces propositions visent à la gestion
et non au renversement de la barbarie capitaliste.
-
Par ailleurs, votre programme idéalise le capitalisme et
défend l'idée que le capital et son pouvoir, reposant
sur l'exploitation capitaliste, puisse devenir « moral »
et « juste ».
Comment
définir autrement la position suivante (page 51) si ce n'est
par le parti-pris d'une « bonne gestion » du
capitalisme ? « Dans
le cas où serait entamé un processus de privatisations,
IU s'engage à lutter contre elles en coopération avec
les syndicats et les mouvements sociaux, demandant au moins que cette
décision soit adoptée de façon démocratique
et transparente avec forte participation des citoyens concernés ».
De la même façon, page 81, l'objectif de « mise
en conformité des accords commerciaux avec les droits de
l'homme ».
En d'autres termes, privatisations, accords commerciaux capitalistes
mais... avec moralité et transparence, un… capitalisme
moral est possible si on suit le programme d'IU et les positions du
PGE.
Camarades,
les
éléments ci-dessus ne sont qu'un aperçu du type
de positions qui confirment le bien-fondé des critiques
avancées par le journal du KKE. Ces positions n'ont aucun lien
avec la lutte pour le renversement du pouvoir capitaliste. Au
contraire, elles fournissent un alibi au capitalisme, elles
nourrissent des illusions et contribuent à le pérenniser
et cela, en réalité, à une époque où
de plus en plus d'ouvriers, de travailleurs prennent conscience de
ses limites et sont à la recherche d'une issue à la
barbarie capitaliste.
Cette
issue ne peut être le « socialisme du 21ème
siècle » qui constitue une négation du
socialisme scientifique, du pouvoir ouvrier, de la socialisation des
moyens de production et de la planification centralisée et
représente en réalité un capitalisme humanisé
qui est irréalisable.
Finalement,
dans votre lettre à notre parti, vous affirmez également
qu'il est « temps de construire l'unité de la
gauche conséquente ». La ligne de gestion
social-démocrate d'un capitalisme « humanisé »,
la négation du socialisme tel qu'il a existé au 20ème
siècle sur la base de positions anti-scientifiques,
anti-historiques – voilà la base politique idéologique
de cette « unité de la gauche ». Ces
orientations constituent autant d'obstacles à la lutte de
classes, au rassemblement des forces populaires et sociales contre la
voie de développement capitaliste. Et cela dans un contexte où
la coordination de l'action de la classe ouvrière, des
travailleurs indépendants, des petits paysans, des femmes, des
jeunes devient impérative en vue du renforcement de l'alliance
populaire et de la lutte pour les intérêts des
travailleurs, pour le renversement du pouvoir des monopoles.
La
validité de cette ligne est confirmée par notre
expérience, par le développement de la lutte en Grèce
où, comme cela est désormais bien connu, 22 grèves
générales, d'innombrables conflits de classe ont été
organisés, avec un rôle dirigeant joué par le
PAME sur la base du mot d'ordre « sans toi, aucun rouage
ne peut tourner, travailleur, tu peux t'en sortir sans les patrons »
et en nous concentrant sur l'organisation de la lutte dans les
usines, sur les lieux de travail.
Camarades,
En
réponse à votre requête, nous publierons votre
lettre et notre réponse dans notre journal « Rizospastis »
afin d'informer les travailleurs des positions de chaque pays et de
leur permettre de tirer leurs propres conclusions.
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