Je
suis heureux de participer à ce qui pourrait être une
relance voire un nouveau début de la présence
communiste dans notre pays. Quand, il y a vingt ans fut créé
Rifondazione Comunista, le climat idéologique était
bien différent de celui d’aujourd’hui. Il y a
vingt ans à Washington les idéologues les plus
emphatiques proclamaient que l’histoire était finie :
en tous cas le capitalisme avait triomphé et les communistes
avaient eu le tort de se tenir du mauvais côté, et même
du côté criminel de l’histoire. Nous savons
aujourd’hui que ces certitudes et ces mythologies avaient fait
brèche même dans le groupe dirigeant de Rifondazione
Comunista. On a ainsi assisté au spectacle grotesque dans
lequel un leader de tout premier plan (1) a déployé
tout son talent oratoire pour démontrer que les communistes
avaient toujours eu tort et avaient toujours provoqué des
catastrophes en Russie comme en Italie ; et continuaient à
avoir tort en Chine comme au Vietnam et, en dernière analyse
même à Cuba ; on comprend bien l’enthousiasme
de la presse bourgeoise pour ce prophète, pour ce don venu du
Ciel. Mais nous connaissons tous le résultat final.
Ça
a été un désastre : pour la première
fois dans l’histoire de notre république les communistes
sont sans représentation au parlement. Pire. Priver les
classes laborieuses de leur histoire signifiait les priver aussi de
leur capacité à s’orienter dans le présent.
Les classes laborieuses peinent aujourd’hui à organiser
une résistance efficace à un moment où la
République fondée sur le travail (2) se transforme en
république fondée sur le licenciement arbitraire, sur
le privilège de la richesse, sur la corruption, sur la
vénalité des charges publiques. Et, malheureusement,
quasiment inexistante a été jusqu’ici la
résistance opposée au processus par lequel la
République qui répudie la guerre (3) se transforme en
république qui participe aux plus infâmes guerres
coloniales. C’est avec ce désastre derrière nous
que nous nous engageons aujourd’hui dans la relance du projet
communiste.
De
cela il y a un besoin urgent. Et ce n’est pas un besoin éprouvé
seulement par les communistes. Nous voyons ce qu’il arrive
aujourd’hui dans le pays qui, il y a à peine plus de
vingt ans, avait vu la proclamation de la fin de l’histoire.
Les rues sont pleines de manifestants qui crient leur indignation
contre Wall Street. Les pancartes ne se bornent pas à dénoncer
les conséquences de la crise, c’est-à-dire le
chômage, la précarité, la faim, la polarisation
croissante de richesse et pauvreté. Ces pancartes vont
au-delà : elles dénoncent le poids décisif
de la richesse dans la vie politique étasunienne, et
démasquent de fait le mythe de la démocratie
américaine. Ce qui dicte la loi dans la république
nord-américaine est en réalité la grande
finance, c’est Wall Street ; voilà ce que crient
les manifestants. Et certaines pancartes vont au-delà, et
hurlent la rage non seulement contre Wall Street mais aussi contre
War Street. C’est-à-dire que le quartier de la haute
finance est identifié comme étant en même temps
le quartier de la guerre et du déchaînement de la
guerre. Emerge ainsi ou commence à émerger la
conscience du rapport entre capitalisme et impérialisme.
Oui,
le capitalisme porte en même temps des crises économiques
dévastatrices et des guerres infâmes. Une fois de plus
les masses populaires et les communistes se trouvent en devoir
d’affronter la crise du capitalisme et sa politique de guerre.
Pour des raisons de temps je ne m’arrêterai que sur ce
deuxième point. La fin de l’engagement de l’OTAN
en Libye n’est pas la fin de la guerre au Moyen-Orient. Les
guerres contre la Syrie et l’Iran sont déjà en
préparation. Ces guerres, même, ont de fait déjà
commencé. La puissance de feu multimédiatique avec
laquelle l’Occident essaie d’isoler, de criminaliser,
d’étrangler et de déstabiliser ces deux pays est
prête à se transformer en une puissance de feu
véritable, à base de missiles et de bombes. Et nous
communistes devons dès à présent faire entendre
notre voix. Si nous attendions le déclenchement des hostilités
nous ne serions à la hauteur ni du mouvement communiste ni du
mouvement antimilitariste, et nous ne serions pas les héritiers
de Lénine et de Liebknecht. Nous devons dès à
présent organiser des manifestations contre la guerre et
contre les préparatifs de guerre ; dès à
présent nous devons clarifier le fait que la position à
l’égard de la guerre est un critère essentiel
pour définir la discrimination entre alliés potentiels
et adversaires irréductibles.
Pour
ce qui concerne la Chine, Washington, oui, transfère en Asie
le gros de son dispositif militaire, mais n’agite pour le
moment de façon explicite que la menace de la guerre
commerciale. Mais, comme il est notoire, on sait comment les guerres
commerciales commencent mais on ne sait pas comment elles finissent.
Ils feraient bien de réfléchir sur ce point ceux qui,
même à gauche, se mettent en rang pour la campagne
anti-chinoise : ils tournent ainsi le dos à la lutte pour
la paix.
C’est
une attitude d’autant plus déconcertante que la Chine a
été protagoniste d’une des plus grandes
révolutions de l’histoire universelle. Evidemment, il
convient de garder à l’esprit les problèmes, les
défis, les contradictions même graves qui caractérisent
le grand pays asiatique. Mais clarifions d’abord le cadre
historique. Au début du 20ème siècle la Chine
était une partie intégrante de ce monde colonial qui a
pu briser ses chaînes grâce à la gigantesque vague
de la révolution anticolonialiste déclenchée en
octobre 1917. Voyons comment l’histoire s’est ensuite
développée. En Italie, en Allemagne, au Japon, le
fascisme et le nazisme ont été la tentative de
revitaliser le colonialisme. En particulier, la guerre déchaînée
par l’impérialisme hitlérien et par
l’impérialisme japonais respectivement contre l’Union
soviétique et contre la Chine ont été les plus
grandes guerres coloniales de l’histoire. Et donc Stalingrad en
Union Soviétique et la Longue Marche et la guerre de
résistance anti-japonaise en Chine ont été deux
grandioses luttes de classe, celles qui ont empêché
l’impérialisme le plus barbare de réaliser une
division du travail fondée sur le réduction de grands
peuples à une masse d’esclaves ou semi-esclaves au
service de la présumée race des seigneurs.
Mais
qu’arrive-t-il aujourd’hui ? Comme je l’ai
déjà dit, les USA sont en train de transférer le
gros de leur dispositif militaire en Asie. Je lis sur des dépêches
d’hier (vendredi 28 octobre 2011) de l’agence
Reuters qu’une des accusations adressées aux dirigeants
de Pékin est celle de promouvoir ou de vouloir imposer le
transfert de technologie de l’Occident en Chine. Les USA
auraient voulu garder le monopole de la technologie pour continuer à
exercer aussi une domination néo-coloniale ; la lutte
pour l’indépendance se manifeste aussi sur le plan
économique. Et donc : révolutionnaire n’est
pas seulement la longue lutte par laquelle le peuple chinois a mis
fin au siècle des humiliations et a fondé la république
populaire ; ni seulement l’édification économique
et sociale par laquelle le Parti communiste chinois a libéré
de la faim des centaines de millions d’hommes et de femmes ;
même la lutte pour casser le monopole impérialiste de la
technologie est une lutte révolutionnaire. Marx nous l’a
enseigné. Oui, la lutte pour modifier la division
internationale du travail imposée par le capitalisme et par
l’impérialisme est elle-même une lutte de classe.
Du point de vue de Marx, la lutte pour dépasser dans le cadre
de la famille la division patriarcale du travail est déjà
une lutte d’émancipation ; il serait bien étrange
que ne fut pas une lutte d’émancipation la lutte pour
mettre fin au niveau international à la division du travail
imposée par le capitalisme et par l’impérialisme,
la lutte pour liquider définitivement ce monopole occidental
de la technologie qui n’est pas une donnée naturelle
mais le résultat de siècles de domination et
d’oppression !
Je
conclus. Nous voyons de nos jours le pays-guide du capitalisme plongé
dans une profonde crise économique et de plus en plus
discrédité au niveau international ; en même
temps, il continue à s’accrocher à la prétention
d’être le peuple élu par Dieu et à
accroître fébrilement son appareil de guerre déjà
monstrueux, et à étendre son réseau de bases
militaires dans tous les coins du monde. Tout cela ne promet rien de
bon. C’est la concomitance de perspectives prometteuses et de
menaces terribles qui rend urgents la construction et le renforcement
des partis communistes. J’espère vivement que le parti
que nous construisons aujourd’hui sera à la hauteur de
ses devoirs.
Domenico
Losurdo
Rimini,
29 octobre 2011
SOURCE
Traduit
de l’italien par Marie-Ange Patrizio
(1)
Fausto Bertinotti, longtemps secrétaire général
du Partito della Rifondazione Comunista (NdT)
(2)
Article 1 de la Constitution italienne : « L’Italie
est une république fondée sur le travail »
(3)
Article 11 de la Constitution italienne : « L’Italie
répudie la guerre comme instrument d’offense à la
liberté des autres peuples et comme moyen de résolution
des controverses internationales »
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