En
un mois, plusieurs centaines de Syriens, civils et militaires, ont
été assassinés par des groupes de francs-tireurs
financés par le clan saoudien des Saidiris et encadrés
par la CIA.
Depuis
quelques jours, des groupes mystérieux tirent sur les
manifestants et, surtout, sur les participants aux funérailles
qui ont suivi les événements sanglants. De qui sont
composés ces groupes ? Les autorités syriennes
soutiennent qu’il s’agit de provocateurs, essentiellement
liés aux services secrets étrangers.
En
Occident, par contre, même à gauche on avalise sans
aucun doute la thèse proclamée en premier lieu par la
Maison-Blanche : ceux qui tirent sont toujours et seulement des
agents syriens en civil.
Obama
est-il la bouche de la vérité ?
L’agence
syrienne Sana rapporte la découverte de « bouteilles
de plastique pleines de sang
» utilisé pour produire « des
vidéos amateurs contrefaites
» de morts et blessés chez les manifestants.
Comment
lire cette information, que je reprends de l’article de L.
Trombetta
dans La
Stampa
du 24 avril ? Peut-être les pages qui suivent, tirées
d’un essai qui sera bientôt publié,
contribueront-elles à jeter quelque lumière là-dessus.
Si
quelqu’un se trouvait étonné voire incrédule
à la lecture du contenu de mon texte, qu’il n’oublie
pas que les sources que j’y utilise sont presque exclusivement
« bourgeoises
» (occidentales et pro-occidentales).
«
Amour et vérité »
Ces
derniers temps, par les interventions surtout de la secrétaire
d’État Hillary Clinton, l’administration Obama ne
rate pas une occasion de célébrer Internet,
Facebook, Twitter
comme instruments de diffusion de la vérité et de
promotion, indirectement, de la paix.
Des
sommes considérables ont été attribuées
par Washington pour potentialiser ces instruments et les rendre
invulnérables aux censures et attaques des « tyrans
».
En
réalité, pour les nouveaux media comme pour les plus
traditionnels, la même règle est de mise : ils
peuvent aussi être des instruments de manipulation et
d’attisement de la haine et même de la guerre.
La
radio a été savamment utilisée en ce sens par
Goebbels et par le régime nazi.
Pendant
la Guerre froide, plus encore qu’un instrument de propagande,
les transmissions radio ont constitué une arme pour les deux
parties engagées dans le conflit : la construction d’un
efficient « Psychological
Warfare Workshop
»
est un des premiers devoirs assignés à la CIA.
Le
recours à la manipulation joue un rôle essentiel aussi à
la fin de la Guerre froide ; entre-temps, à côté
de la radio, est intervenue la télévision.
Le
17 novembre 1989, la « révolution
de velours
» triomphe à Prague, avec un mot d’ordre qui se
voulait gandhien : « Amour
et Vérité
».
En
réalité un rôle décisif est joué
par la diffusion de la fausse nouvelle selon laquelle un étudiant
avait été « brutalement
tué
» par la police. C’est ce que révèle,
satisfait, à vingt ans de distance, « un
journaliste et leader de la dissidence, Jan Urban
» protagoniste de la manipulation : son « mensonge
» avait eu le mérite de susciter l’indignation de
masse et l’effondrement d’un régime déjà
périclitant.
À
la fin de 1989,
bien que fortement discrédité, Nicolae
Ceausescu
est encore au pouvoir en Roumaine.
Comment
le renverser ?
Les
mass media occidentaux diffusent massivement dans la population
roumaine les informations et les images du « génocide
» perpétré à
Timisoara par la police de Ceausescu.
Qu’était-il
arrivé en réalité ?
Laissons
la parole à un prestigieux philosophe (Giorgio Agamben), qui
ne fait pas toujours preuve de vigilance critique à l’égard
de l’idéologie dominante mais qui a synthétisé
ici de façon magistrale l’affaire dont nous traitons :
« Pour
la première fois dans l’histoire de l’humanité,
des cadavres à peine enterrés ou alignés sur les
tables des morgues ont été déterrés en
hâte et torturés pour simuler devant les caméras
le génocide qui devait légitimer le nouveau régime.
Ce que le monde entier avait sous les yeux en direct comme vérité
sur les écrans de télévision, était
l’absolue non-vérité ; et bien que la
falsification fût parfois évidente, elle était de
toutes façons authentifiée comme vraie par le système
mondial des media, pour qu’il fût clair que le vrai
n’était désormais qu’un moment du mouvement
nécessaire du faux
».
Dix
ans après, la technique décrite ci-dessus est de
nouveau mise en acte, avec un succès renouvelé.
Une
campagne martèle l’horreur dont s’est rendu
responsable le pays (la
Yougoslavie)
dont le démembrement a déjà été
programmé et contre lequel on est déjà en train
de préparer la guerre humanitaire :
« Le
massacre de Racak est atroce, avec des mutilations et des têtes
coupées. C’est une scène idéale pour
susciter l’indignation de l’opinion publique
internationale. Quelque chose semble étrange dans la tuerie.
Les Serbes tuent d’habitude sans procéder à des
mutilations […] Comme la guerre de Bosnie le montre, les
dénonciations d’atrocités sur les corps, signes
de tortures, décapitations, sont une arme de propagande
diffuse […] Peut-être n’est-ce pas les Serbes mais
les guérilleros albanais qui ont mutilé les corps
».
Si
ce n’est qu’à ce moment-là, les guérilleros
de l’UCK
ne pouvaient pas être suspectés d’une telle
infamie : c’étaient des freedom
fighters,
des combattants
de la liberté.
Aujourd’hui,
au Conseil d’Europe, le leader de l’UCK et père de
la patrie au Kosovo, Hashim
Thaci,
« est
accusé de diriger un clan politico-criminel né à
la veille de la guerre
» et impliqué dans le trafic
non seulement d’héroïne mais aussi d’organes
humains.
Voici
ce qui arrivait sous sa direction au cours de la guerre :
« Une
ferme à Rripe, en Albanie centrale, transformée par les
hommes de l’UCK en salle d’opération, avec comme
patients des prisonniers de guerre serbes : un coup dans la
nuque, avant d’explanter leurs reins, avec la complicité
de médecins étrangers
» (on présume occidentaux).
Et
vient ainsi au jour la réalité de la « guerre
humanitaire
» de 1999 contre la Yougoslavie ; mais pendant ce temps
son démembrement a été porté à
terme et au
Kosovo s’installe et veille une énorme base militaire
étasunienne.
Faisons
un autre saut en arrière de plusieurs années. Une revue
française de géopolitique (Hérodote)
a mis en relief le rôle essentiel joué, au cours de la
« révolution
des roses
»
qui a lieu en
Géorgie
à la fin de 2003, par les réseaux télévisés
qui sont aux mains de l’opposition géorgienne et par les
réseaux occidentaux : ils transmettent sans discontinuer
l’image (qui s’est révélée ensuite
fausse) de la villa qui serait la preuve de la corruption d’Edouard
Chevardnadze,
le dirigeant qu’il s’agit de renverser.
Après
la proclamation des résultats électoraux qui signent la
victoire de Chevardnadze
et qui sont déclarés frauduleux par l’opposition,
celle-ci décide d’organiser une marche sur Tbilissi, qui
devrait sceller « l’arrivée
symbolique, et pacifique même, dans la capitale, de tout un
pays en colère
».
Bien
que convoquées de tous les coins du pays à grands
renforts de moyens propagandistes et financiers, ce jour-là
affluent pour la marche entre
5 000 et 10 000 personnes ce
n’est rien pour la Géorgie !
Et
pourtant grâce à une mise en scène sophistiquée
et de grande professionnalité, la chaîne de télé
la plus diffusée du pays arrive à communiquer un
message totalement différent :
« L’image
est là, puissante, celle d’un peuple entier qui suit son
futur président
».
Désormais
les autorités politiques sont délégitimées,
le pays est désorienté et abasourdi et l’opposition
plus arrogante et agressive que jamais, d’autant plus que les
médias internationaux et les chancelleries occidentales
l’encouragent et la protègent.
Le
coup d’État est mûr, il va porter au pouvoir
Mikhaïl Saakashvili,
qui a fait ses études aux USA, parle un anglais parfait et est
en mesure de comprendre rapidement les ordres de ses supérieurs.
Internet
comme instrument de liberté
Venons-en
maintenant aux nouveaux media, particulièrement chers à
Madame Clinton
et à l’administration Obama.
Pendant l’été 2009 on pouvait lire dans un
quotidien italien réputé :
« Depuis
quelques jours, sur Twitter, circule une image de provenance
incertaine […] Devant nous, un photogramme d’une valeur
profondément symbolique : une page de notre présent.
Une
femme avec le voile noir, qui porte un t-shirt vert sur des jeans :
extrême Orient et extrême Occident ensemble. Elle est
seule, à pieds. Elle a le bras droit levé et le poing
fermé. Face à elle, imposant, la gueule d’un SUV,
du toit duquel émerge, hiératique, Mahmoud Ahmadinejad.
Derrière, les gardes du corps. Le jeu des gestes touche :
de provocation désespérée, celui de la femme ;
mystique, celui du président iranien
».
Il
s’agit d’« un
photomontage
», qui certes semble « vraisemblable
», pour arriver plus efficacement à « conditionner
des idées, des croyances ».
D’autre
part, les manipulations abondent.
À
la fin du mois de juin
2009,
les nouveaux mediaen
Iran
et tous les moyens d’information occidentaux diffusent l’image
d’une belle fille touchée par une balle : « Elle
commence à saigner, elle perd conscience. Dans les secondes
qui suivent ou peu après, elle est morte. Personne ne peut
dire si elle a été prise dans le feu croisé ou
si elle a été touchée de façon ciblée
».
Mais la
recherche de la vérité
est la dernière chose à laquelle on pense : ce
serait de toute façon une perte de temps et ça pourrait
même se révéler contre-productif.
L’essentiel
est ailleurs : « à
présent la révolution a un nom : Neda
».
On
peut alors diffuser le message désiré : « Neda
innocente contre Ahmadinejad
», ou bien : « une
jeunesse courageuse contre un régime vil
».
Et
le message s’avère irrésistible :
« Il
est impossible de regarder sur Internet de façon froide et
objective la vidéo de Neda Soltani, la brève séquence
où le père de la jeune femme et un médecin
essaient de sauver la vie de le jeune iranienne de vingt-six ans
».
Comme
pour le photomontage, dans le cas aussi de l’image
de Neda,
nous sommes en présence d’une manipulation
sophistiquée,
attentivement étudiée et calibrée dans tous ses
détails (graphiques, politiques et psychologiques) dans
le but de discréditer et de rendre la plus odieuse possible la
direction iranienne.
(Voir addenda en fin de texte, NdT).
Et
nous arrivons ainsi au « cas
libyen
». Une revue italienne de géopolitique a parlé à
ce propos d’« utilisation
stratégique du faux
», comme le confirme en premier lieu la « déconcertante
affaire des fausses fosses communes
» (et d’autres détails sur lesquels j’ai
attiré l’attention).
La
technique est celle dont on se félicite et qu’on utilise
depuis des décennies, mais qui à présent, avec
l’avènement des nouveaux media, acquiert une efficience
terrible :
« La
lutte est d’abord représentée comme un duel entre
le puissant et le faible sans défense, et rapidement
transfigurée ensuite en une opposition frontale entre le Bien
et le Mal absolus
».
Dans
ces circonstances, loin d’être un instrument de liberté,
les nouveaux media produisent le résultat opposé. Nous
sommes en présence d’une technique de manipulation, qui
« restreint
fortement la liberté de choix des spectateurs
» ; « les
espaces pour une analyse rationnelle sont comprimés au
maximum, en particulier en exploitant l’effet émotif de
la succession rapide des images
» .
Et
ainsi, on retrouve pour les nouveaux media la règle déjà
constatée pour la radio et la télévision :
les instruments, ou potentiels instruments, de liberté et
d’émancipation (intellectuelle et politique) peuvent se
renverser et souvent se renversent aujourd’hui en leur
contraire.
Il
n’est pas difficile de prévoir que la représentation
manichéenne du conflit en Libye ne résistera pas
longtemps ; mais Obama
et ses alliés espèrent dans l’intervalle
atteindre leurs objectifs, qui ne sont pas vraiment humanitaires,
même si la novlangue s’obstine à les définir
comme tels.
Spontanéité
d’Internet
Mais
revenons au photomontage qui montre une dissidente iranienne défier
le président de son pays. L’auteur de l’article
que je cite ne s’interroge pas sur les artisans d’une
manifestation si sophistiquée. Je vais essayer de remédier
à cette lacune.
A
la fin des années 90 déjà, on pouvait lire dans
l’International
Herald Tribune
:
« Les
nouvelles technologies ont changé la politique internationale
» ; ceux qui étaient en mesure de les contrôler
voyaient augmenter démesurément leur pouvoir et leur
capacité de déstabilisation des pays plus faibles et
technologiquement moins avancés
Nous
sommes là en présence d’un nouveau chapitre de
guerre psychologique. Dans ce domaine aussi les USA sont décisivement
à l’avant-garde, ayant à leur actif des décennies
de recherche et d’expérimentations.
Il
y a quelques années Rebecca
Lemov,
anthropologue de l’université de l’État de
Washington, a publié un livre qui « illustre
les tentatives inhumaines de la CIA et de certains parmi les plus
grands psychiatres de "détruire et reconstruire" la
psyché des patients dans les années 50
».
Nous
pouvons alors comprendre un épisode qui s’est déroulé
dans cette même période. Le 16 août 1951, des
phénomènes étranges et inquiétants
vinrent troubler Pont-Saint-Esprit, « un
village tranquille et pittoresque
» situé « dans
le Sud-est de la France
».
Oui,
« le
pays fut secoué par un mystérieux vent de folie
collective. Cinq personnes au moins moururent, des dizaines finirent
à l’asile, des centaines donnèrent des signes de
délire et d’hallucinations […] Beaucoup finirent
à l’hôpital avec la camisole de force
».
Le
mystère, qui a longtemps entouré ce coup de « folie
collective
», est maintenant dissipé : il s’agît
d’une « expérimentation
menée par la CIA, avec la Special Operation Division (SOD),
l’unité secrète de l’Armée USA de
Fort Detrick, au Maryland
» ; les agents de la CIA « contaminèrent
au LSD les baguettes vendues dans les boulangeries du pays
», causant les résultats que nous avons vus ci-dessus.
Nous
sommes aux débuts de la Guerre froide : bien sûr
les États-Unis étaient des alliés de la France,
mais c’est justement pour ça que celle-ci se prêtait
facilement aux expérimentations de guerre psychologique qui
avaient certes comme objectif le « camp
socialiste
» (et la révolution anticoloniale) mais pouvaient
difficilement être effectuées dans les pays situés
au-delà du rideau de fer.
Posons-nous
alors une question : l’excitation et l’attisement
des masses ne peuvent-ils être produits que par voie
pharmacologique ?
Avec
l’avènement et la généralisation
d’Internet,
Facebook, Twitter,
une nouvelle arme a émergé, susceptible de modifier
profondément les rapports de force sur le plan international.
Ceci n’est plus un secret, pour personne.
De
nos jours, aux USA, un roi de la satire télévisée
comme Jon
Stewart
s’exclame :
« Mais
pourquoi envoyons-nous des armées s’il est aussi facile
d’abattre les dictatures via Internet que d’acheter une
paire de chaussures ?
».
À
son tour, avec une revue proche du département d’État,
un chercheur attire l’attention sur « comment
il est difficile de militariser
» (to weaponize) les nouveaux media pour des objectifs à
court terme et liés à un pays déterminé ;
il vaut mieux poursuivre des objectifs de plus ample envergure. Les
accents peuvent varier, mais la signification militaire des nouvelles
technologies est dans tous les cas explicitement soulignée et
revendiquée.
Mais Internet
n’est-il pas l’expression même de la spontanéité
individuelle ? Seuls les plus démunis (et les moins
scrupuleux) argumentent ainsi.
En
réalité —reconnaît Douglas
Paal,
ex-collaborateur de Reagan
et de Bush
senior—
Internet est actuellement « géré
par une ONG qui est de fait une émanation du Département
du Commerce des USA
».
S’agit-il
seulement de commerce ?
Un
quotidien de Pékin rapporte un fait largement oublié :
quand en 1992 la Chine demanda pour la première fois à
être reliée à Internet, sa requête fut
rejetée en raison du danger que le grand pays asiatique ne put
ainsi « se
procurer des informations sur l’Occident
».
Maintenant,
au contraire, Hillary
Clintonrevendique
l’« absolue
liberté
» d’Internet
comme valeur universelle à laquelle on ne peut renoncer ;
et cependant —commente le quotidien chinois— « l’égoïsme
des États-Unis n’a pas changé
».
Peut-être
ne s’agit-il pas seulement de commerce. À ce sujet,
l’hebdomadaire allemand Die
Zeit demande
des éclaircissements à James Bamford, un des plus
grands experts en matière de services secrets états-uniens :
« Les
Chinois craignent aussi que des firmes américaines
(étasuniennes, NdT) comme
Google soient en dernière analyse des outils des services
secrets américains
(étasuniens, NdT) sur
le territoire chinois. Est-ce une attitude paranoïde ?
»
« Pas
du tout
» répond-il immédiatement.
Au
contraire même —ajoute l’expert— des
« organisations
et institutions étrangères
[aussi] sont
infiltrées
» par les services secrets étasuniens, lesquels sont de
toutes façons en mesure d’intercepter les communications
téléphoniques dans tous les coins de la planète
et doivent être considérées comme « les
plus grands hackers du monde
».
Désormais
—affirment encore dans Die
Zeit
deux journalistes allemands— cela ne fait aucun doute :
« Les
grands groupes Internet sont devenus un outil de la géopolitique
des USA. Avant, on avait besoin de laborieuses opérations
secrètes pour appuyer des mouvements politiques dans des pays
lointains. Aujourd’hui il suffit souvent d’un peu de
technique de la communication, opérée à partir
de l’Occident […] Le service secret technologique des
USA, la National Security Agency, est en train de monter une
organisation complètement nouvelle pour les guerres sur
Internet
».
Il
convient donc de relire à la lumière de tout ceci
quelques événements récents d’explication
non aisée.
En
juillet 2009 des incidents sanglants sont survenus à Urumqi
et dans le Xinjiang,
la région de Chine habitée surtout par des Ouigours.
Sont-ce
la discrimination et l’oppression contre des minorités
ethniques et religieuses qui les expliquent ?
Une
approche de ce type ne semble pas très plausible, à en
juger du moins par ce que réfère de Pékin le
correspondant de La
Stampa
:
« De
nombreux Hans d’Urumqi se plaignent des privilèges dont
jouissent les Ouigours. Ceux-ci, de fait, en tant que minorité
nationale musulmane, ont à niveau égal des conditions
de travail et de vie bien meilleures que leurs collègues Hans.
Un Ouigour, au bureau, a l’autorisation de suspendre son
travail plusieurs fois pas jour pour accomplir les cinq prières
musulmanes traditionnelles de la journée
[…] En
outre ils peuvent ne pas travailler le vendredi, jour férié
musulman. En théorie ils devraient récupérer le
dimanche. Mais le dimanche les bureaux sont en fait déserts
[…] Un
autre point douloureux pour les Hans, soumis à la dure
politique d’unification familiale qui impose encore l’enfant
unique, est le fait que les Ouigours peuvent avoir deux ou trois
enfants. En tant que musulmans, ensuite, ils ont des remboursements
en plus dans leur salaire étant donné que, ne pouvant
pas manger de porc, ils doivent se rabattre sur la viande d’agneau
qui est plus chère
».
Elles
apparaissent alors pour le moins unilatérales ces accusations
portées par l’Occident contre le gouvernement de Pékin
de vouloir effacer l’identité nationale et religieuse
des Ouigours.
Alors ?
Réfléchissons
sur la dynamique des incidents. Dans une ville côtière
de Chine où, malgré les différentes traditions
culturelles et religieuses préexistantes, des Hans et des
Ouigours travaillent côte à côte, se répand
tout d’un coup la rumeur selon laquelle une jeune fille han a
été violée par des ouvriers ouigours ; il
en résulte des incidents au cours desquels deux Ouigours
perdent la vie.
La
rumeur qui a provoqué cette tragédie est fausse mais
voici que se répand alors une deuxième rumeur plus
forte encore et encore plus funeste : Internet
diffuse dans son réseau la nouvelle selon laquelle dans la
ville côtière de Chine des centaines de Ouigours
auraient perdu la vie, massacrés par les Hans dans
l’indifférence et même sous le regard complaisant
de la police.
Résultat :
des tumultes ethniques dans le Xinjiang, qui provoquent la mort de
presque 200 personnes, cette fois presque toutes hans.
Eh
bien sommes-nous là en présence d’une intrication
malheureuse et fortuite de circonstances ou bien la diffusion des
rumeurs fausses et tendancieuses visait-elle le résultat qui
s’est effectivement produit ensuite ?
Nous
sommes dans une situation où il s’avère désormais
impossible de distinguer la vérité de la manipulation.
Une
société étasunienne a réalisé des
« programmes
qui permettraient à un sujet engagé dans une campagne
de désinformation de prendre simultanément jusqu’à
70 identités (profils de réseaux sociaux, account in
forum etc.) en les gérant parallèlement : le tout
sans qu’on puisse découvrir qui tire les ficelles de
cette marionnette virtuelle
».
Qui
a recours à ces programmes ?
Il
n’est pas difficile de le deviner.
Le
quotidien cité ici, non suspect d’antiaméricanisme
(anti-étasunien, NdT) précise que la société
en question « fournit
des services à diverses agences gouvernementales étasuniennes,
comme la CIA et le ministère de la Défense
».
La
manipulation de masse célèbre son triomphe tandis que
le langage de l’Empire et la novlangue se font, dans la bouche
d’Obama, plus doux et suaves que jamais.
Revient
alors en mémoire l’ « expérimentation
conduite par la CIA
» pendant l’été 1951, qui produisit « un
mystérieux vent de folie collective
» dans « le
village pittoresque et tranquille
» de Pont-Saint-Esprit.
Et
de nouveau nous voici obligés de nous poser la question
initiale : la « folie
collective
» peut-elle être produite seulement par voie
pharmacologique ou bien aujourd’hui peut-elle être le
résultat du recours, aussi, aux « nouvelles
technologies
» de la communication de masse ?
On
comprend alors les financements par Hillary Clinton et par
l’administration Obama destinés aux nouveaux media.
Nous
avons vu que la réalité des « guerres
sur Internet
» est désormais reconnue même par de réputés
organes de presse occidentaux ; sauf que dans le langage de
l’Empire et dans la novlangue la promotion des « guerres
sur Internet
» devient la promotion de la liberté, de la démocratie
et de la paix.
Les
cibles de ces opérations ne restent pas sans rien faire :
comme dans toute guerre les faibles cherchent à combler leur
désavantage en apprenant des plus forts.
Et
voici que ces derniers crient au scandale : « Au
Liban ceux qui maîtrisent le plus les news media et les réseaux
sociaux ne sont pas les forces politiques pro-occidentales qui
soutiennent le gouvernement de Saad Hariri, mais les "Hezbollah"
».
Cette
observation laisse poindre un soupir : ah, comme ce serait beau
si, ainsi qu’il en a été pour la bombe atomique
et pour les armes (proprement dites) les plus sophistiquées,
même pour les « nouvelles
technologies
» et les nouvelles armes d’information et de
désinformation de masse, ceux qui détiennent le
monopole étaient les pays qui infligent un interminable
martyre au peuple palestinien et qui voudraient continuer à
exercer au Moyen-Orient une dictature terroriste !
Le
fait est —se lamente Moises Naïm, directeur de Foreign
Policy—
que les USA, Israël et l’Occident n’ont plus affaire
aux « cyberidiots
d’autrefois
». Ceux-ci « contre-attaquent
avec les mêmes armes, font de la contre information,
empoisonnent les puits
» : une véritable tragédie du point de vue
des présumés champions du « pluralisme
».
Dans
le langage de l’Empire et dans la novlangue, la timide
tentative de créer un espace alternatif à celui qui est
géré ou hégémonéisé par la
superpuissance solitaire devient un « empoisonnement
des puits
».
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