Tous les
médias d’Europe parlent de la situation en Grèce
et de ses possibles répercussions sur le reste des pays de
l’UE. Outre le fait que nombre d’articles ont une
version des faits plus que contestable et souvent contradictoire,
tant d’intérêt pour un si petit pays est en soi
une indication précieuse.
D’autant que
curieusement sont peu abordées, les analyses qui sont
faites dans le pays même et à partir de celles-ci les
stratégies syndicales mises en œuvre pour peser sur
les choix politiques
En
Grèce, comme en France la ligne de partage sur le plan
économique ne se situe pas entre ce que nos médias
appellent « gauche et droite » mais dans
l’attitude à avoir vis-à-vis du capital et de
ses institutions :UE, BCE, FMI.
Le
prétexte de la dette ou pire de la tricherie
A en
croire (mais les croit-on ?) celles et ceux qui ont repris
sans sourciller l’analyse du Financial Times, tous les
problèmes de la Grèce viendraient de son déficit
et surtout du fait qu’elle ait caché celui-ci. Cela
ne tient pas trop la route.
D’abord il a été
montré que la cache en question s’était faite
grâce à un montage imaginé avec l’aide
de la banque Goldman Sachs – celle qui s’est
royalement faite renflouer par le contribuable américain –
banque conseil de la Grèce depuis longtemps et qui dénonce
maintenant le procédé un peu à la manière
d’un receleur dénonçant après coup les
voleurs pour encaisser à la fois la récompense
donnée par les autorités et sa part du butin !
Ensuite plusieurs
journalistes n’ont pas manqué de s’étonner
du fait qu’il avait fallu un an pour faire cette découverte
quand on sait comment les banquiers et autres traders surveillent
heure par heure l’activité financière
mondiale. Et comme par hasard cette découverte intervient
quand vient d’être élu un gouvernement ayant
fait des promesses sociales à un peuple qui manifeste sa
colère depuis plusieurs années.
De plus le procédé
employé en Grèce pour ce pseudo camouflage nommé
swap,
est tout à fait légal et il est assez cocasse de
voir des gouvernements s’émouvoir de l’illégitimité
d’un procédé que leur légalité
pourrait aisément interdire. Le procédé est
d’ailleurs tellement légal qu’il a été
employé par la France ou l’Italie qui ont-elles aussi
« caché » une partie de leur dette
sous couvert d’emprunt à remboursement différé
ou autres facéties financières qui font dire à
Henri Sterdyniak [1] : « Dans
tous les pays, les chiffres de la dette et du déficit ont
toujours un petit halo de comptabilité créative ».
Que c’est joliment dit !
Enfin (et presque
surtout) comme le fait remarquer si justement le Parti Communiste
Portugais [2] « la
Grèce n’est pas un cas unique. Presque tous les
gouvernements de l’UE, pour résoudre la crise
financière de 2009, n’ont pas trouvé de
meilleure solution que de transformer les caisses de l’Etat
en une bourse au service des monopoles et des banques contaminées
par la spéculation financière. 20 sur 27 des pays de
l’UE en 2009 ont montré un déficit qui a
dépassé les 3% du PIB comme norme fixée
arbitrairement par Maastricht. Dans le passé déjà
cette norme n’avait pas été observée à
plusieurs reprises par la France et l’Allemagne.
Actuellement, le déficit de l’Irlande est de 12,5%,
celui de la Grande-Bretagne de 12,1%, de l’Espagne 11,1%, du
Portugal de 9,3%, de la France 7,9%, etc. [3]
On peut donc conclure que le bruit sur la situation financière
de la Grèce vise à justifier davantage une offensive
plus générale du grand capital contre les droits des
travailleurs pour soutirer le peu qui reste aux salariés
appauvris et pour les forcer à payer les aléas de
l’économie du casino. »
Les
« solutions » des pays de l’UE et le
débat en Grèce
Après
donc avoir poussé de grands cris les gouvernements de l’UE
se sont réunis au chevet du malade grec.
Le
plan grec et les débats
Tout
d’abord ils ont pris acte du « plan de
redressement » de Giorgos Papandréou, plan qu’il
a présenté à la mi-janvier à la
commission de Bruxelles afin de ne pas être réprimandé
par celle-ci.
Avec ce
plan le premier ministre grec enterre ses promesses électorales
en s’attaquant durement aux droits des travailleurs.
Services publics, salaires, TVA, augmentation des prix, retraites,
précarité…tout y passe. Ce qui caractérise
ce plan au but avoué de contraindre le peuple et les
travailleurs grecs à « changer de mentalité »,
c’est qu’il a non seulement le soutien du PASOK (parti
socialiste au pouvoir) mais aussi celui de la ND (parti
conservateur) battue en octobre dernier. En France on parlerait
d’UMPS.
Seul au plan politique le KKE s’est opposé
à ce plan.
Cette
divergence politique se retrouve aussi au plan syndical.
Il y a
en Grèce deux confédérations syndicales :
La GSEE (environ 600 000 adhérent-e-s) affiliée à
la CES et la CSI qui regroupe les travailleurs du privé. Il
est de tradition que son président devienne ministre du
Travail quand le PASOK remporte les élections. Dans ses
statuts il est inscrit depuis 1992, que la GSEE lutte “pour
le développement et la productivité de l’économie
grecque et dans l’Union européenne, en tant
qu’organisation des associés économiques
(sic !) que sont les travailleur(se)s ”.
L’ADEDY qui regroupe les fonctionnaires.(environ 250 000
adhérents)
A côté
ou plutôt au milieu de ces deux confédérations
s’est créé le PAME (415 000 adhérent-e-s),
organisation qui, ne voulant pas créer de division
syndicale entend simplement regrouper les militants syndicaux se
situant sur des bases de luttes des classes et les communistes du
KKE.
Quand
la Grèce a été déclarée être
en crise la GSEE et l’ADEDY ont accepté de participer
au « dialogue social » mis en place par le
gouvernement grec, ce que le PAME refusa. Une participation au nom
de la lourdeur de l’héritage laissé par la
droite [4] au PASOK qui faisait ce qu’il
pouvait mais était « sommé par
Bruxelles » de rééquilibrer les comptes.
Las !
Les « associés
économiques »
ne l’ont pas entendu de cette oreille et ont répondu
massivement au premier appel du seul PAME à l’action
du 17 décembre
dernier sur le thème le gouvernement ne doit pas céder
et répondre aux revendications des travailleurs d’autant
qu’il a été élu sur une vague de
mécontentement social. Si l’UE veut imposer sa loi le
gouvernement peut et doit résister…quitte à
sortir de la zone euro. Cette journée fut un succès…et
pas un mot sur le site de la CES alors que pourtant participaient
des fédérations syndicales entières
(construction – la plus grande fédération
industrielle du pays – textile, livre, agro-alimentaire…)
Après
la présentation du plan de redressement de la mi-janvier
attaquant entre autres grandement les fonctionnaires, le PAME
annonça la
journée du 10 février.
La GSEE tenta bien d’appeler - fait historique en Grèce
- les travailleurs à ne pas participer au mouvement, rien
n’y fit. L’ADEDY ne put faire autrement que de se
joindre au mouvement et le succès fut encore plus grand. Et
encore pas un mot sur le site de la CES….
Dès
le 10 février
au soir, fort de son succès, le PAME annonça la
journée du 24 février….et
la GSEE dans la foulée annonçait sa participation à
cette journée. Le site de la CES pouvait enfin parler de la
Grèce avec cette phrase de son secrétaire général
qui illustre ce qui est écrit plus haut :
« Nous
ne soutenons pas la pression des ministres de la zone euro sur la
Grèce pour prendre des décisions précipitées
qui affecteront les pauvres, les malades, les personnes âgées
et bouleverseront le tissu social de la société
grecque. Nous voulons des plans bien équilibrés et
socialement acceptables. » a déclaré John
Monks. Il faudra juste qu’il nous explique ce que veut
dire socialement acceptable...
Un
débat à l’échelle du continent
Le débat
syndicalo-politique évidemment dépasse les
frontières helléniques. La Grèce qui ne
représente que 3% du PIB de la zone euro ne risque pas de
mettre celle-ci en difficulté contrairement à ce qui
a pu être dit sur les ondes. Selon J.C. Trichet président
de le BCE, les déficits publics de la zone euro dans son
ensemble, représentent environ 6% du PIB, alors qu’aux
USA et au Japon, ce chiffre s’élève à
plus de 10%.
La Grèce
sert de banc d’essai aux gouvernements des pays de l’UE
où partout les gouvernements ont mis à l’ordre
du jour casse des acquis, de la protection sociale et des services
publics. C’est tellement vrai que les dirigeants européens
viennent de franchir une nouvelle étape en prétendant
mettre la politique d’un pays sous tutelle « en
liaison avec la BCE » et « en s’appuyant
sur l’expertise du FMI ». C’est la première
fois que la souveraineté d’un pays est ouvertement
remise en cause par des instances supranationales qui n’ont
elles-mêmes aucune légitimité démocratique.
Preuve de leur détermination, un député
allemand du groupe libéral du Parlement européen,
Jorgo Chatzimarkakis (FDP), a avancé, dans un débat
télévisé (Phönix Runde, 10/02/2010), que
le Conseil des colonels qui a dirigé la dictature militaire
en Grèce entre 1967 et 1974 est un exemple montrant qu’il
est possible de faire accepter les mesures proposées par le
gouvernement du PASOK et soutenue par Bruxelles !!!
Mais
dans ce débat les tenants de l’euro se sont pris à
leur propre piège. Outre l’aspect anti démocratique
et le non respect de la souveraineté nationale les choix
actuels mettent en lumière les contradictions économiques.
En
menaçant la Grèce d’exclusion de la zone euro,
Westerwelle le vice-chancelier allemand, a fait d’un tabou
une question d’actualité crédible.
D’autant
que le PIB de la zone euro a reculé de 3,8% en 2009, contre
seulement 2,4% aux Etats-Unis, alors que la crise venait de là,
et que l’effondrement du marché immobilier y a été
particulièrement violent, de même que la hausse du
chômage.
Autrement
dit l’euro ne nous a protégés de rien du
tout !
Devant
la « menace » d’une sortie de l’euro,
voire de l’UE, la GSEE et l’ADEDY se sont effrayées
en disant hors de l’UE point de salut !
A
l’inverse le PAME qui a dit chiche ! (et a rencontré
ainsi l’adhésion populaire) a mis tout le monde
d’accord. A méditer
Source
Rouge Midi