Tout
d’abord je tiens à remercier les Amis de l’Humanité
de nous avoir offert cette tribune pour parler de la lutte des 1120
travailleurs de Continental-Clairoix.
Cette
lutte, démarrée le 11 mars dernier, n’est
aujourd’hui malheureusement toujours pas terminée. Elle
a pris un nouvel élan avec la condamnation de 6 d’entre
nous par le tribunal de Compiègne à de lourdes peines.
Cette condamnation infamante, qui vise à présenter
comme des voyous les travailleurs qui défendent leur droit à
la vie, est une basse vengeance de la part du gouvernement et de
l’Etat pour les reculs que les travailleurs de Continental en
lutte leur ont imposé, à eux et à nos patrons.
Mais ce jugement est aussi une menace contre l’ensemble du
mouvement ouvrier, ses militants et les travailleurs dans les
manifestations et grèves du futur. En effet, ce jugement
réinstaure la loi anticasseurs abrogée en 1981. En
effet, alors qu’il y avait présents plusieurs centaines
de manifestants, on a pris 6 salariés désignés
par la direction de Continental, pour leur faire supporter, à
eux six, l’ensemble des dégâts, évalués
de façon totalement fantaisiste pour aboutir à des
sommes considérables.
Nous
savons que le public de la fête de l’Humanité,
militants ou sympathisants communistes, militants ou sympathisants de
gauche ou d’extrême gauche, syndicalistes, comprendront
que ce combat contre la répression anti-ouvrière est
notre combat commun et qu’il va falloir le mener ensemble au
coude à coude. Il en va des droits des travailleurs et de la
garantie des libertés publiques pour les luttes d’aujourd’hui
et de demain.
Et
je voudrais aussi en profiter pour faire en préalable une mise
au point par rapport aux polémiques publiques, parfois vives
et rudes, qui ont pu être rapportées ici ou là.
Notre combat contre les licenciements est et a été un
combat dur, où dès le départ nous avons eu à
affronter les attaques d’un groupe très puissant, la
multinationale Continental, 150 000 salariés dans le monde,
avec à ses côtés le gouvernement, l’Etat,
la justice, en France et en Allemagne. Nous avons pu bénéficier
du soutien et de la sympathie de très nombreux travailleurs
dans le pays. Nous avons eu également le soutien et l’appui
de nombreux élus locaux communistes, socialistes, de gauche ou
simplement attachés à la cause de notre combat. Et,
face à la répression et au procès que voulait
nous faire l’Etat, tous les partis de gauche et d’extrême
gauche ont répondu présents quand nous les avons
sollicités, en nous apportant leur soutien public par la voix
ou la présence de leurs dirigeants nationaux : parti
communiste, parti socialiste, Lutte Ouvrière, NPA, parti de
gauche et enfin les Verts. Et je peux vous dire que tous les
travailleurs rassemblés dans nos assemblées générales
et nos manifestations ont été très sensibles à
ce soutien. Ce qui a été insupportable pour les 1120
travailleurs et tous les militants syndicaux des cinq confédérations
syndicales représentées dans l’usine, c’est
l’absence de réponse et le silence absolu de l’ensemble
des dirigeants des confédérations
CGT-CFDT-FO-CFTC-CFE-CGC à l’appel pressant que nous
leur avions fait et refait par écrit. Et cela, alors que
plusieurs d’entre nous risquaient, et risquent toujours dans
l’appel que nous avons introduit, des peines de plusieurs
années de prison ferme. Ce silence est d’autant plus
incompréhensible et injustifiable que, de leur côté,
les syndicats allemands, dont IG-BCE regroupant plus d’un
million de syndiqués, nous ont apporté leur soutien
constant, ce qui a été décisif dans l’issue
de notre combat. Et cela malgré leurs divergences avec
certaines de nos actions, y compris ce qui s’était passé
à la sous-préfecture de Compiègne.
Voilà
ce qui peut expliquer les tensions du passé. Ce que nous
espérons, c’est que le rassemblement pour la défense
des droits ouvriers et des libertés publiques pourra se mener,
cette fois avec les confédérations syndicales, en plus
des partis de gauche et des associations attachées aux
libertés. Nous leur avons demandé une nouvelle fois,
nous espérons encore une réponse positive.
Si
la lutte des 1120 travailleurs de Continental a fait la une de
l’actualité pendant plus de quatre mois, si des
centaines de milliers de travailleurs dans le pays et au-delà
l’ont suivie avec sympathie, c’est qu’il ne s’est
pas passé de semaines sans que nous soyons mobilisés
massivement, toujours à plus de 500, souvent à 800 et
même à plus de 1000, pour réclamer notre dû.
Oui, je le dis sans avoir la grosse tête, mais parce que c’est
la vérité, nous sommes fiers d’avoir relevé
le gant et d’avoir montré que les travailleurs pouvaient
et savaient se battre face aux agressions patronales. La lutte des
travailleurs de Continental est malheureusement restée isolée.
Pourtant nous savions que seule une lutte commune, nous rassemblant
par dizaines de milliers, et même beaucoup plus, pourrait être
en mesure de mettre en échec les plans patronaux en leur
imposant par la force, le seul moyen réaliste, l’interdiction
des licenciement collectif et la réquisition de la fortune
amassée par les actionnaires pour garantir le salaire et
l’emploi de tous. A chaque fois, nous avons tout fait pour
tendre la main aux autres travailleurs. Malheureusement nous avons
été réduits au bout du compte à nos
seules forces et nous avons dû fixer les objectifs maximums
qu’une lutte de 1120 travailleurs pouvait obtenir. Et ces
objectifs nous les avons atteints, à cent pour cent, et de
cela aussi, je dois vous le dire, nous sommes fiers : pour l’emploi,
nous avons obtenu le maintien de tous les contrats de travail pendant
27 mois au-delà des dates de licenciements prévus dans
le plan de la direction, jusqu’en 2012. C’est à
dire que nous avons contraint la direction internationale de
Continental à respecter les engagements qu’elle avait
pris en 2007. Nous avons obtenu que les salariés de plus de
cinquante et un ans demi, soient amenés à la retraite
par des garanties spécifiques. Et enfin, ce qui a fait le plus
de bruit, mais qui n’était pas à la une de nos
revendications, nous avons obtenu au titre de l’indemnisation,
en plus du doublement de l’indemnité conventionnelle,
une prime de 50 000 euros pour tous les salariés, y compris
pour ceux embauchés le jour de l’annonce de la fermeture
de l’usine. Ce qui fait une moyenne de 80 000 euros par salarié
et jusqu’à 100 000 pour les ouvriers de fabrication les
plus anciens et 150 000 euros pour les techniciens et la petite
maîtrise.
Pour
en arriver là il a fallu beaucoup de ténacité et
l’unité sans faille du personnel. Nous sortions d’une
situation difficile, faite de chantage permanent à l’emploi.
Dans un climat de démoralisation où la CFTC majoritaire
et la CFE-CGC avaient signé un accord de retour aux 40 heures,
en abandonnant les 35 heures en échange de la garantie de
l’emploi jusqu’en 2012.
A
l’annonce de la fermeture, le personnel se sentant trahi et
voulant se battre, il nous est revenu à nous, la CGT, pourtant
jusque-là minoritaire, de nous retrouver à la tête
de la lutte. Mais nous avons refusé d’en faire une
bagarre de boutique, conscients qu’il fallait, pour avoir une
chance de succès, veiller à rassembler les 1120
salariés de l’usine dans un combat commun, quelle que
soit leur étiquette et leur catégorie. D’ailleurs
sans cette démocratie totale et permanente, sans imposer que
notre combat soit le combat de tous, jamais nous n’aurions pu
arriver là où nous sommes parvenus.
De
mars à juillet il y eut une assemblée générale
du personnel tous les jours. C’est là où toutes
les décisions ont été prises devant 600
personnes au minimum et jusqu’à 800 et 900 personnes,
soit à chaque fois la majorité des salariés de
l’usine. La direction a tout fait pour briser cette unité,
en vain. Elle a même fini par tenter le tout pour le tout en
fermant l’usine par un lock-out à partir du 22 avril.
Rien n’y a fait, les assemblées générales
quotidiennes ont continué. Mais pour que pour cette lutte soit
l’affaire de tous, pour la diriger, l’organiser, la mise
sur pied d’un comité de lutte a été
proposée, réunissant syndiqués et non-syndiqués,
élus par l’assemblée générale et
sous son contrôle, s’engageant à proposer des
actions, soumises à l’approbation de cette même
assemblée. Ce comité de lutte a réuni plus de 80
personnes, dont la quasi-totalité des responsables des
syndicats y compris les cadres. Et c’est ainsi, sous la
direction incontestée du comité de lutte, qu’a
été construit une unité syndicale sans faille,
au grand désespoir de la direction et du gouvernement, même
s’il y eut, comme c’est normal, des divergences tranchées
démocratiquement par les assemblées du personnel.
Et
c’est grâce à cette organisation qu’ont pu
être mis sur pied toutes les manifestations en particulier les
plus délicates et les plus éloignées. Je ne vais
pas les énumérer ce serait fatiguant et sans intérêt
aujourd’hui. Plus de trente au total. Un des moments le plus
fort est d’avoir décidé de tendre la main à
nos camarades allemands, car la fermeture de l’usine de
Stöcken, 800 salariés, près de Hanovre en
Allemagne avait été annoncée en même temps
que celle de Clairoix. Les syndicats allemands nous ont répondu
d’accord pour une manifestation commune à Hanovre contre
les licenciements. Ils ont maintenu leur accord malgré les
incidents à la sous-préfecture de Compiègne. Et
plus de mille travailleurs de Clairoix, avec des banderoles
franco-allemandes se sont rendus là-bas par train spécial,
pour rejoindre près de quatre mille manifestants qui nous
attendaient à la gare et affirmer ensemble la solidarité
internationale des travailleurs par delà les frontières
artificielles que nos dirigeants essayent de dresser entre nous. Les
syndicats allemands, leurs fédérations, et la
confédération DGB étaient présents ce
jour là, pour la première manifestation internationale
de ce genre depuis Renault Wilvorde en 1996. Malheureusement, il y
avait des absents de marque, les fédérations et
confédérations françaises.
Quant
au prétendu saccage de la sous-préfecture qui avait eu
lieu deux jours avant, cette explosion spontanée de colère
était due au refus de l’Etat de tenir ses engagements de
mettre sur pied une négociation tripartite,
Continental-Etat-salariés, et au jugement honteux du tribunal
de Sarreguemines qui déboutait les salariés en
déclarant que Continental avait le droit de violer les lois.
Mais il aura fallu cette colère pour que, moins de deux heures
après, le porte-parole du gouvernement annonce la mise sur
pied de la négociation promise depuis six semaines.
Il
aura fallu encore bien des manifestations pour arriver au but. En
particulier il aura fallu que nous allions à près de
700 occuper l’autre usine française de Continental pour
avoir le rendez-vous pour une négociation avec la direction
internationale du groupe à Hanovre et pour que s’enclenche
le processus des reculs. La négociation nous l’avons
imposée avec un réel rapport de force et c’est
pourquoi la direction de Continental a accepté de donner
satisfaction à nos revendications.
Dans
l’accord signé par les trois parties, il y avait
l’engagement réciproque d’abandonner toutes les
poursuites engagées les uns contre les autres. Malgré
cela et les promesses solennelles du ministère de la Justice,
la procureure a requis des peines sévères et l’Etat
s’est porté partie civile en réclamant de sommes
énormes, et cela au nom d’une responsabilité
collective qui n’existe pas dans la loi.
Ce
qui gène le gouvernement c’est que la lutte des
Continental a montré à tous les travailleurs de ce pays
que la lutte paye, à partir du moment où elle est menée
démocratiquement et avec détermination. Ils voudraient
faire un exemple. Eh bien nous leur avons montré que nous ne
lâchions pas prise, malgré les vacances et six mois de
lutte, nous étions encore plus de 600, lundi dernier à
l’assemblée qui a décidé d’agir pour
soutenir notre appel et participé massivement à la
manifestation à la Bourse à Paris le 17 septembre.
Certains
nous reprochent de ne pas nous être pas battus pour l’emploi.
C’est un grossier mensonge, l’emploi nous l’avons
protégé pour 27 mois et pour 1120 salariés. Bien
des salariés des entreprises, même à forte
implantation syndicale, voudraient bien avoir cette garantie écrite
que personne ne soit licencié avant 27 mois en particulier les
centaines de milliers d’intérimaires qui ont été
jetés à la rue du jour au lendemain depuis des mois. Ce
ne sont pas les militants du terrain, confrontés avec cette
dure réalité, qui vont nous dire le contraire. Ils font
ce qu’ils peuvent, comme on dit, avec les moyens du bord.
Pendant
notre lutte Continental a fermé deux autres usines en France,
Rambouillet et Asnières en région parisienne. Les
travailleurs n’ont pratiquement rien eu. Je suis un militant
syndical depuis bien longtemps, je sais que faire face aux agressions
patronales c’est très dur, et encore plus quand il faut
se battre contre les licenciements. Renault a pu fermer Billancourt,
l’ancienne citadelle ouvrière et ses 25 000 salariés,
fief de notre syndicat, sans pouvoir l’empêcher.
Pour
sortir de l’impasse et empêcher les licenciements, je ne
crois pas qu’on puisse l’obtenir en réclamant au
patronat et au gouvernement Sarkozy une autre politique industrielle.
Les patrons continueront à mener celle qui leur rapporte le
plus, mais il faudra leur arracher par la lutte l’interdiction
réelle de tous les licenciements collectifs. Pour y arriver,
il nous faudra briser l’isolement dramatique des luttes
entreprise par entreprise, secteur par secteur, il nous faudra être
nombreux, très nombreux, réunis dans une lutte commune,
avec la détermination de la mener jusqu’au bout, jusqu’à
la victoire. Car le seul argument que nos patrons comprennent, c’est
la trouille que nous pouvons leur inspirer. C’est bien pourquoi
d’ailleurs, aux côtés d’autres travailleurs,
en particulier ceux du secteur automobile, avec les camarades de
Goodyear qui sont à l’origine de cette initiative, et
qui y viendront très nombreux, nous participerons à
plusieurs centaines à la manifestation du 17 avril à la
Bourse contre les licenciements et contre la répression anti-
ouvrière, et pour l’arrêt des poursuites contre
les 6 condamnés de Continental. Nous espérons que
beaucoup nous y rejoindrons.
Et
il est bien évident que face à la situation difficile à
laquelle nous sommes confrontés, nous appelons à la
solidarité sous toutes ses formes, y compris la solidarité
financière pour nous aider à faire face aux demandes
exorbitantes de l’Etat. Merci d’avance.
Vive
la lutte et la solidarité de tous les travailleurs !
|