Interview
publié sur Rouge Midi, cyberjournal de Rouges Vifs 13, après
la garde à vue de Charles Hoareau, dirigeant CGT comité
chômeurs et Rouge Vif…
Rouge
Midi : Quelle est ta première réaction à la
sortie de ta garde à vue ?
C.H :
Tout d’abord je voudrais dire que mon souci dans cette affaire
ce n’est pas ce qui m’arrive mais ce qui arrive aux
salarié-e-s car c’est le fond de l’affaire et
c’est à cela que la presse doit s’intéresser :
qui sont ceux qui ont porté plainte et pourquoi ils l’ont
fait ?
Le
fond de l’affaire c’est qu’il y a bientôt 2
ans que des salariés sont dans un vide juridique, ni
licencié-e-s, ni salarié-e-s, car ils ont été
littéralement
mis à la porte,
par le donneur d’ordre ADOMA (ex-SONACOTRA où l’Etat
est majoritaire), celui-ci ayant décidé de se
débarrasser de salariés qui lui avaient imposé
11 embauches l’année d’avant.
Le
fond de l’affaire c’est que des associations dites
d’insertion, des régies des quartier, se sont rendues
complices de la manœuvre au nom de leur vocation sociale :
avec l’aide des pouvoirs publics, elles font travailler, via
le RSA
et
des emplois aidés pour chômeurs longue durée, des
salarié-e-s qui touchent entre 500 et 700€ en lieu et
place de salarié-e-s qui en touchaient le double !
Le
fond de l’affaire c’est que lors de la seule table ronde
qui a eu lieu, le 16 novembre 2007 (et à laquelle d’ailleurs
les régies ont refusé de participer), la seule
proposition d’ADOMA a été de payer les
licenciements alors que les salariés avaient choisi l’emploi
et c’est tout à leur honneur. Ils ne voyaient pas
pourquoi on aurait du les licencier après 16 ans d’ancienneté…
Le
fond de l’affaire c’est aussi qu’à partir de
cette lutte pour l’emploi, de 39 salarié-e-s dont le
courage et l’intelligence a surpris des gens habitués à
les croiser sans les voir [1]
on a découvert des pratiques qui relèvent du pénal
et qui s’appellent : travail dissimulé, violation
des règles des marchés, surfacturations…et
qu’à ce jour nous n’avons reçu aucune
réponse à notre plainte au pénal déposée
il y a près d’un an à ce sujet.
Le
fond de l’affaire c’est que les pouvoirs publics (Etat et
Conseil Général [2]),
financeurs et décideurs d’ADOMA et des régies, ne
sont jamais intervenus pour faire avancer le dossier alors qu’ils
se sont engagés à de multiples reprises pour le faire.
Enfin
le fond de l’affaire c’est qu’alors que nous
voulions une solution négociée, nous avons été
contraints par nos adversaires d’aller devant la justice et que
depuis, malgré 7 décisions de justice en leur
faveur, les salariés n’ont été ni
réintégrés, ni payés.
ADOMA
refusant d’assumer ses responsabilités, il y a en plus
un risque que des PME (les entreprises sortantes) ferment et mettent
des dizaines de salarié-e-s au chômage.
On
est devant un scandale du droit du travail et du droit des affaires
aux relents politico-mafieux conforté par les lenteurs pour
ne pas dire plus de la justice,
l’affaire ADOMA, c’est ça et d’abord ça !
Mais
alors quel lien avec ta garde à vue ?
C.H :
Le lien c’est qu’à un moment donné, malgré
tous les freins qui sont mis [3],
malgré les personnages et les institutions en cause, malgré
les intérêts financiers en jeu, devant la détermination
des salariés, il va bien falloir leur donner raison, que
justice se fasse… Et assumer les conséquences
financières, c’est-à-dire les salaires dus depuis
le 12 novembre 2007 et les dommages et intérêts qui vont
inévitablement avec !
Pour
tenter d’éviter cela le 7 avril, dans une audience qui a
décidé d’un nième report, ce qui a
provoqué une colère légitime des salariés,
nos adversaires ont cherché à tout prix un incident qui
n’est pas venu…Et alors ils l’ont inventé
afin de nous détourner du fond de l’affaire.
C’est
bien connu quand on ne peut pas critiquer un combat, on tente de le
discréditer en s’attaquant aux personnes qui le portent.
Les
plaintes intervenant dans un contexte de criminalisation de l’action
militante, [4]
le pouvoir a tenté de faire un exemple car ce qui était
visé c’était la comparution immédiate et
la sanction qui n’aurait pas manqué d’aller avec.
Le
responsable du commissariat l’a d’ailleurs bien dit aux
militants de la CGT qu’il a reçus : « C’est
une affaire politique qui nous échappe totalement, c’est
au dessus du parquet de Marseille [5]
si ce n’était pas Charles Hoareau, il ne serait pas
là… »
D’ailleurs
je tiens à souligner que lors de ma garde à vue j’ai
été remarquablement bien traité par des
policiers qui hallucinaient devant la tournure des évènements
et étaient tributaires du parquet qui ne cessait de retarder
ma libération et tentait par tous les moyens de trouver un
motif à ma comparution immédiate.
RM :
Et il n’y est pas arrivé…
CH :
Il n’y est pas arrivé pour plusieurs raisons :
-
Le dossier est vide puisque je suis accusé par deux personnes
sans
témoin
d’avoir
proféré des menaces et fait des violences légères
alors que la police a fait entendre 6 témoins, dont l’avocat
des salarié-e-s [6]
qui ont tous affirmé qu’au contraire j’avais tenté
de calmer des salarié-e-s et dissuadé certains d’entre
eux de faire une grève de la faim sur place. D’ailleurs,
fait suffisamment rare pour être souligné, à ma
sortie de la garde à vue un policier a déclaré à
la presse : « la confrontation a montré
qu’aucun coup n’a été porté »
-
Les salarié-e-s ont montré lors de leur audition, leur
détermination tranquille et leur refus de tomber dans la
provocation. Ils ont dit ce qui s’était réellement
passé et leur franchise était évidente
-
Enfin il y a eu cette extraordinaire mobilisation aux portes du
commissariat Noailles pendant les 28h de ma garde à vue.
Pendant tout ce temps des dizaines de gens se sont relayés en
criant des slogans pour ma libération. Le journal La Provence
que l’on ne peut taxer d’être « pro-cégétiste »
a parlé d’un roulement de 500 personnes ! Et
pourtant ma garde à vue n’avait pas été
annoncée et pour cause, c’est la CGT qui a mobilisé
et le bouche à oreille qui a fait le reste…
RM :
Comment tu l’expliques et qu’est ce que tu as ressenti
devant cette mobilisation ?
CH :
Il y a le fait que des militants et dirigeants de la CGT
des Bouches du Rhône comme Avelino ou Serge se sont démenés,
le fait aussi que des militants d’autres organisations (FSU,
SUD..) se sont aussi inscrits dans
cette solidarité, des associations diverses comme le MRAP,
le collectif 13 droits des femmes ou le mouvement de la paix,
mais aussi des associations de quartier comme Quartiers
Nord, Quartiers Forts et puis les
organisations politiques en particulier le PCF
qui a mobilisé élus et militant-e-s, le NPA
, LO,
j’en oublie surement….et bien sûr Rouges Vifs !
Mais
il a aussi tous ces gens divers, ce que certains appellent avec
mépris le bas peuple, qui sont venus dès qu’ils
l’ont su : chômeur-se-s, anciens sans papiers,
précaires, salarié-e-s du nettoyage ou de la
sécurité…Cela faisait un rassemblement permanent
où se côtoyaient des cadres, des cheminots, des
travailleurs du port, des immigrés d’hier et
d’aujourd’hui, des employés de la restauration et
de la grande distribution, des agents du public, bref un
rassemblement à l’image de la classe ouvrière
d’aujourd’hui dans sa diversité professionnelle et
culturelle..
A
l’intérieur je n’entendais rien de ce qui se
passait mais je savais que les copains ne resteraient pas immobiles.
J’ai compris que c’était fort quand à 10h
du soir un policier est venu me dire dans ma cellule qu’il y
avait encore du monde et le lendemain matin quand un autre m’a
dit que les premiers étaient là à 6h 30 !!
Je n’en suis pas revenu…J’ai su par la suite
qu’ils avaient bloqué la Canebière, arrêté
le tramway, pas cessé de crier des slogans, distribué
des milliers de tracts, envoyé des mails, des textos…
Tu
vois paradoxalement, le moment le plus difficile pour moi, ça
a été ma sortie, de retrouver tous ces gens avec
l’immense fraternité qui se dégageait d’eux.
Comment oublier ça ? Comment leur parler ? Comment
être à leur hauteur ? On ne peut évidemment
pas citer tout le monde et encore moins celles et ceux qui n’ont
pas pu venir et qui par centaines m’ont adressé depuis
des messages de solidarité sous toutes formes. J’ai vu
en sortant, entre deux embrassades, parmi celles et ceux qui criaient
leur joie, Karima qui n’est pas rentrée chez elle parce
qu’elle habite trop loin du commissariat, Majid que Mac Do
avait fait en d’autres temps convoquer dans un autre
commissariat, Momo qui a fait 13 jours de prison à cause de
Carrefour, les ADOMA qui avaient retrouvé un sourire que tant
de mois de lutte leur avait fait perdre, Fred du trésor,
celles et ceux de l’UL du centre et du syndicat du nettoyage,
Malika, Yves, Laurence, Kamel, Anne Marie, Fairouz, Chantal,
Christian, Henry, Jean-Luc et tant et tant...impossible de les citer
toutes et tous...En plus il y a celles et ceux comme Bernard qui, ne
pouvant venir, sont restés pendus au téléphone
pour avoir des nouvelles…
Comme
me l’a écrit quelqu’un depuis : El pueblo
unido…
RM :
Et maintenant ?
Maintenant
il reste à préparer le procès du 29
juin 2009 [7],
où, ne pouvant justifier le fond, ils vont tenter une fois de
plus de s’attaquer à l’homme en me faisant passer
pour un violent, un gros bras sans cervelle de la CGT, comme ils
disent.
Mais
avant ça il y aura d’autres échéances que
les ADOMA ne louperont pas : la manif du 26 mai, la montée
à Paris mi juin au siège d’ADOMA, les autres
audiences prévues et d’autres initiatives que l’on
va arrêter ensemble, les actions avec d’autres salariés
en lutte en particulier ceux de l’UNM…etc.
Si
je peux me permettre pour ce combat là, pour que les ADOMA
gagnent, on a besoin de votre
solidarité financière d’où la souscription
lancée
et en tout état de cause, comme on l’a dit souvent :
avec les ADOMA on ne lâchera pas !
[1]
Abdou, l’un des 39, à eu un jour cette formule très
judicieuse : « A force de nous voir passer le balai,
ils ont cru qu’on avait une serpillère à la place
du cerveau… »
[2]
Nous avons interpellé à plusieurs reprises le préfet,
la direction du travail, le président du CG, le ministre
Martin Hirsh par 2 fois...
[3]
l’avocat des salariés a plaidé 19 fois dans ce
dossier ce qui constitue sans doute une manière de record
[4]
j’ai été mis en garde à vue quelques jours
après les 74 d’EDF et le jour où un enseignant
marseillais passait en justice pour avoir dit à haute voix :
Sarkozy je te vois !
[5]
Pendant que j’étais en audition j’ai entendu un
policier qui suite à un coup de fil, passait en disant :
« Maintenant si même Paris se mêle de cette
affaire on va où ? »
[6]
l’avocat des entreprises d’insertion a refusé de
témoigner…
[7]
si je ne me trompe pas dans mes comptes ce sera mon 15ème
procès !
Source
Rouge Midi
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