Nous
avons longtemps espéré un sursaut de lucidité de
la part de Dieudonné. Nous nous sommes abstenus jusque-là
de dénoncer ses errements politiques. Nous l’avons
défendu lorsqu’il était la cible d’attaques
injustes et nous avons même gardé le silence les
nombreuses fois où il a fourni de formidables prétextes
à tous ceux qui voulaient sa peau - et la nôtre, par la
même occasion.
Nous
n’avons pas non plus hésité à discuter
avec lui, à le mettre en garde contre les conséquences
gravissimes de ses prises de positions pour ce que nous pensions être
nos causes communes, l’antiracisme et l’anticolonialisme
(dont l’antisionisme est aujourd’hui une composante
majeure). Catastrophés, nous l’avons vu, à chaque
fois qu’il était l’objet d’une nouvelle
campagne médiatique, glisser, déraper, aller toujours
plus loin dans l’aberration politique.
Piégé
par ses propres délires, par les encouragements de ses
« conseillers », pseudo-antisionistes, et par
l’hostilité que lui ont manifesté la plupart des
forces politiques en France, Dieudonné a franchi un cap
décisif, peut-être irrémédiable, en
s’alliant dans le cadre d’une liste dite antisioniste
avec des personnalités douteuses dont certaines sont
directement issues de l’extrême-droite raciste.
Nous
nous en serions probablement moins souciés si Dieudonné
ne bénéficiait d’une surexposition médiatique,
entretenue à dessein par nos adversaires pour stigmatiser à
travers lui l’ensemble des communautés noires, arabes et
musulmanes. Mais le plus grave est que le débat nécessaire
sur le sionisme et la politique européenne (et française)
vis-à-vis de l’Etat d’Israël a été
ainsi occulté par une polémique sur la personnalité
et le rôle de Dieudonné.
Qu’on
ne nous dise pas que Dieudonné est un humoriste ou qu’il
subvertit la politique en transgressant les lignes rouges. Le message
qu’il communique aux nôtres à travers ses prises
de position politiques est extrêmement dangereux :
l’extrême-droite est une « victime »
du système politique, l’extrême-droite est
antisioniste, l’extrême-droite est nationaliste tout
comme nous, l’extrême-droite est donc notre alliée
« naturelle ». Rien n’est plus faux !
L’extrême-droite n’est pas une « victime »
du système politique, elle en est le produit ; elle
constitue la tendance la plus dure du racisme français ;
l’extrême droite n’est pas antisioniste (certains
de ses courants sont pro-sionistes par haine des Arabes, d’autres
se déclarent solidaires du peuple palestinien par haine des
juifs en tant que juifs) ; quant au nationalisme de
l’extrême-droite, c’est un nationalisme
parfaitement impérialiste, colonialiste et raciste qui n’a
rien à voir avec notre lutte pour la libération
nationale des peuples opprimés.
En
s’alliant avec l’extrême-droite, quel que soit le
visage qu’elle se donne, Dieudonné et ses semblables
("la banlieue s’exprime", Kemi Seba, Centre Zahra,
etc....) effacent sans scrupules plus de quarante ans de lutte de
l’immigration contre l’extrême-droite ;
ils insultent la mémoire de tous ceux qui se sont battus
contre le colonialisme. Que Dieudonné en soit conscient ou
non, il fait ainsi le jeu du sionisme qu’il prétend
combattre.
Ça,
nous ne pouvons le tolérer. C’est ce qu’a exprimé
de la manière la plus claire la porte-parole du MIR, Houria
Bouteldja, dans le discours qu’elle a prononcé le 8 mai
dernier, à l’occasion de la Marche des indigènes :
« Nous ne pouvons pas, nous n’avons pas le droit
de nous allier à des forces racistes, colonialistes et
prétendument antisionistes ! Les ennemis de nos ennemis
ne sont pas forcément nos amis ! Le combat antisioniste,
le combat de Azzedine Elqassam, de Arafat, de Georges Habbache, de
cheikh Yassine [Allah yarhamhom], le combat anticolonialiste et
antiraciste de Mandela, Fanon, Césaire, Malcolm X, Angela
Davis, Sankara, Lumumba et bien d’autres est beaucoup trop
précieux pour le corrompre aujourd’hui avec une extrême
droite française toujours fière d’avoir torturé
en Algérie ; une extrême droite qui a organisé
des ratonnades contre les arabes et les noirs ; une extrême
droite qui dénonce l’islamisation de la France, qui
exige toujours plus de répression contre l’immigration
et dans nos quartiers, qui justifie la chasse aux sans papiers. Une
extrême droite qui, au nom du patriotisme, rêve de faire
de nous les nouveaux tirailleurs de l’impérialisme
bleu/blanc/rouge. Nous n’avons aucun intérêt
commun avec ces gens-là !!! Une alliance, même
tactique, avec eux, est d’abord une grave erreur politique et
un piège que nous tendent nos adversaires : elle nous
détourne de nos vrais combats ; elle nous engage dans des
polémiques médiatiques qui ne sont pas les nôtres ;
elle contribue à semer la confusion, à obscurcir les
vrais enjeux de nos luttes, à nous faire dévier de nos
véritables objectifs ! Mais une telle alliance, c’est
plus qu’une erreur, c’est une faute ! Oui, c’est
une faute ! Une faute morale, un non sens historique. Nos seuls
guides sont nos martyrs, nos valeurs, notre foi et notre profond
anticolonialisme. Nos seuls alliés sont ceux qui les
défendent. »
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