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[ A LIRE ] Dix ans de sanctions économiques, ça suffit! – par Aminata Traoré

Suivi de : Zimbabwe, l’insoumis et le bouc émissaire (10 décembre 2008)

Plus de 3000 morts et près de 70 000 malades du choléra au Zimbabwe, avec des risques de propagation de l’épidémie aux pays voisins, n'ont donc pas suffi à mettre un terme aux sanctions économiques que la Grande-Bretagne et ses alliés infligent à ce pays depuis la fin de la décennie 90. C'est ainsi que le Conseil de l'Europe, à l'issue de sa session du 26 janvier 2009, a décidé de "proroger d'une année la position commune concernant les mesures restrictives à l'encontre du Zimbabwe". D'une extrême gravité, une telle décision ne peut qu'exacerber une situation déjà caractérisée par un taux de chômage (94%) et d'inflation qui sont les plus élevés au monde, la pénurie alimentaire dont souffrent près de 7 millions de personnes, la déscolarisation des enfants ainsi que la fuite des bras et des cerveaux dont de nombreux enseignants et membres du personnel soignant.

L’unique tort du peuple zimbabwéen, ainsi privé de travail, de revenu, d’eau potable, de soins de santé et de nourriture – condamné, en somme, à une véritable descente aux enfers - est d’être dirigé par Robert Mugabe dont l’éviction a été exigée pendant de longues semaines de campagne de déstabilisation et de diabolisation. L'ancienne puissance coloniale, les adversaires politiques du Président zimbabwéen ainsi que des ONG et les médias dominants l’accusent d’avoir ruiné son pays, de violer les droits de ses concitoyens et de se maintenir au pouvoir par la répression des opposants et la fraude électorale. A défaut de sa démission, le partage du pouvoir avec son principal rival, Morgan Tsvangirai, vient d'être conclu après quatre mois de négociations au cours desquelles le Président du Mouvement pour le Changement Démocratique (MDC) exigeait, en plus du poste de Premier ministre, le contrôle de postes ministériels stratégiques.

Il est heureux que la réunion du 30 janvier 2009 des pays membres de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) ait débouché sur ce dénouement pacifique qui vient de se traduire par la constitution d'un gouvernement d'union nationale avec Morgan Tsvangirai comme Premier ministre. Espérons que le Président Robert Mugabé et la Zanu-PF seront à hauteur d'attente pour que cette crise soit un triste souvenir !

Mais, ce pas important n'est que l'amorce d'un processus de normalisation qui, pour mettre fin au martyre du peuple zimbabwéen, exige la levée immédiate et sans autres conditions des sanctions économiques qui ont largement contribué à plonger l'ancienne Rhodésie du Sud dans une situation aussi calamiteuse. Cette lecture du drame zimbabwéen sous l’angle des mesures punitives qui affament, appauvrissent et tuent des innocents n’exonère en rien le Président zimbabwéen et son parti pour les erreurs qu’ils ont pu commettre. Il s’agit de donner une chance à la paix en mettant en lumière des faits déterminants mais délibérément occultés.

Il faut remonter aux Accords de Lancaster House qui, en 1979, ont mis fin à quatorze années de lutte féroce pour la libération de l'ancienne Rhodésie du Sud des griffes du raciste Ian Smith. Ils ont été signés dans un contexte où quelques 6000 fermiers blancs possédaient plus de 15,5 millions d'hectares sur les terres les plus fertiles du pays. Pendant ce temps près de 4,5 millions de Noirs subsistaient péniblement sur les "terres communales" souvent arides où les colons les avaient confinés un siècle durant. Le consentement entre l'acheteur et le vendeur est l'un des principaux aspects du dispositif qui devait changer cette situation. Dix ans plus tard, elle n'avait pas évolué de manière palpable parce que les fermiers blancs avaient renchéri les prix et ne cédaient que les terres les moins fertiles.

En 1997, le gouvernement de Tony Blair signifia à Harare qu'il ne pouvait plus contribuer financièrement au transfert des terres aux Noirs, comme convenu, en dédommageant des fermiers britanniques qui devaient être expropriés. Le Président zimbabwéen a alors décidé de confisquer, sans compensation, les terres de ces derniers qui ont dès lors promis de faire sa perte. Les sanctions économiques constituent la machine de guerre financière, économique, sociale et politique qui a été déployée en guise de punition par la Grande Bretagne et ses alliés plus particulièrement les USA. Jugeons-en :

- En décembre 2001, le Congrès des Etats-Unis d’Amérique a voté le « Zimbabwe Democracy and Economic Recovery Act » ou loi sur la relance économique et la démocratie au Zimbabwe. Elle comporte entre autres l’opposition des Etats-Unis d'Amérique à tout prêt au Zimbabwe et à l’annulation de sa dette auprès des institutions internationales de financement. Cette loi a largement contribué à plonger le Zimbabwe dans la récession économique et dans une inflation de plus en plus vertigineuse.

- En 2002, l’administration Bush a également mis en place un programme dénommé « Gouvernance et démocratie » doté de 6 millions de dollars destinés à soutenir les opposants (MDC, syndicats, groupes religieux, ONG, médias « indépendants », etc.).

- Au plus fort de la campagne de redistribution des terres, les Etats-Unis s’opposèrent à l’aide du Programme Alimentaire Mondial (PAM) aux Zimbabwéens.

- En 2004, l’administration Bush s’opposa également à l’appui du Fonds Mondial contre le Sida aux malades du Zimbabwe.

- A partir de 2002, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne poussèrent l’Union européenne à prendre des sanctions contre le Zimbabwe, en violation de l’article 98 de l’Accord de Cotonou signé en 2000 entre l’Union européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbe et Pacifique).

- Tous les fonds consentis par différents pays occidentaux à l’éducation, à la santé et à l’assainissement furent suspendus.

Il suffit d’ajouter à ces sanctions les conséquences classiques et désastreuses des programmes d’ajustement (PAS) du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale (libéralisation, privatisations, bas salaires, détérioration des conditions de vie…) et le cycle plus rapproché des sécheresses pour réaliser les causes profondes de l'enlisement du Zimbabwe. Les autres pays africains n'échappent au même sort que parce qu'ils vivent sous perfusion, alimentés par les financements extérieurs dont ce pays est privé.

Les sanctions infligées au Zimbabwe sont d'autant plus injustifiables qu'elles émanent d'Etats et d'institutions non transparents et non démocratiques dans leurs pratiques en Afrique si nous considérons les règles du commerce mondial, les termes des accords de partenariat économique (APE) ou de réadmission des migrants africains. Ils sont illégitimes parce que non représentatifs des peuples africains dont ils bafouent les droits économiques mais savent instrumentaliser dans la défense de leurs propres intérêts.

Antidémocratiques et meurtrières, les sanctions économiques relèvent par ailleurs de la corruption politique et financière dans la mesure où en sanctionnant les dirigeants qu'ils jugent indésirables, les grandes puissances dissuadent ceux d'entre eux qui seraient tentés de s'écarter de ce que qu'elles considèrent comme le droit chemin.

Galvaudés, instrumentalisés et décrédibilisés, sont la démocratie, les droits de l'homme et la bonne gouvernance, à partir du moment où les puissants qui prétendent en être les garants, les bafouent quand ils ne les transforment pas en redoutables instruments de pression, de domination et de chantage au financement.

Aussi, est-il grand temps de privilégier dans le débat sur le présent et l'avenir de l'Etat postcolonial en Afrique, la question centrale mais souvent occultée du contrôle des richesses et de l'initiative du changement dont la réforme agraire. En plus de la personnalisation à outrance du débat politique, le pays de Robert Mugabé est, sur ce plan aussi, un cas d'école à méditer à l'heure de la ruée des multinationales de tous horizons vers les terres fertiles du continent et du grand bradage au nom de la croissance et du marché-roi.

Alors que le diagnostic de la situation est biaisé et les sanctions économiques meurtrières pour les populations des voix incitent le nouveau Président américain, Barack Obama, à les poursuivre, à son tour. Son « Yes we can », faut-il le rappeler exige un changement radical de regard, de discours et de pratiques en matière de politique américaine en Afrique. Il est de la plus grande importance qu'il joue sur le continent noir comme au Proche-Orient la carte de l’écoute et de la main tendue au lieu de la poursuite de sanctions qui d'une manière ou d'une autre ne sont que violence contre des peuples démunis, désemparés et désinformés.

Il s'agit plus concrètement d'en finir avec la thèse de l'axe du Bien et du Mal de George W. Bush qui a valu au monde l’agression et l’occupation de l’Irak de Saddam Hussein, les attaques barbares et répétées d’Israël contre le peuple palestinien, illustrées par le dernier déluge de feu sur la bande de Gaza. En Afrique, elle passe d'une certaine manière par le Zimbabwe. La mise en lumière des enjeux mondiaux économiques, sociaux, financiers et environnementaux de telle sorte que les Zimbabwéens et les Africains, d’une manière générale, s’engagent dans le jeu démocratique sur des bases autres que l'alternance pour l'alternance et la course aux postes stratégiques est le véritable défi qui devrait interpeller les dirigeants africains, les institutions sous régionales, l'UA et les véritables alliés du continent.

Nous rappelons qu'il est périlleux pour l'Afrique de suivre les conseils des maîtres du monde aujourd'hui embourbés dans une profonde crise, signe de l'échec de leur idéal de société que la moralisation de la sphère financière ne suffit pas à crédibiliser. Quant à la légitimité du pouvoir politique en Afrique, il convient de souligner qu'au-delà des élections qui sont nécessaires, elle réside aussi et surtout dans la volonté et la capacité des dirigeants élus à négocier et à gérer les richesses du continent dans le sens des intérêts de ceux et celles qui les ont mandatés.

Aussi, l'accalmie qui vient d'être obtenue par la SADC doit-elle être érigée en paix véritable pour les Zimbabwéens et pour l'Afrique tout entière en opportunité de jeter un autre éclairage sur les crises, son image habituellement malmenée ayant été considérablement ternie par l'hypocrisie et les mensonges qui prévalent dans l'analyse de la situation de ce pays.

Les intellectuels et les autres acteurs de la société civile critique ainsi que les politiques africains et non africains qui estiment que le continent noir n'est pas une planète à part mais bel et bien le berceau de l'Humanité et partie prenante du capitalisme fou et destructeur doivent contribuer à en déceler et à en démonter les rouages.

Pour donner une chance à une paix véritable et durable au Zimbabwe, nous joignons nos voix à celles des Zimbabwéens qui n’ont que trop souffert, de la SADC et de l'UA et rappelons à la Grande Bretagne, aux USA et à l'UE le coût social et humain exorbitant des mesures punitives infligées à ce pays.

- Nous déclarons que l’eau potable, la nourriture et les médicaments doivent cesser d’être des armes de guerre

- Nous demandons la levée immédiate du blocus qui prive des millions de Zimbabwéens de ces biens indispensables à une existence humaine digne de ce nom.

- Nous considérons qu’il est profondément injuste et irresponsable de suspendre des vies humaines à un accord de partage du pouvoir politique au sommet.

Oui, nous le pouvons ! Il suffit de ne plus confondre les intérêts britanniques, américains et européens avec les droits des peuples zimbabwéen et africains à la terre, la nourriture, l’eau potable, la santé, l'éducation, l'emploi et le revenu.

NOUS SOMMES TOUS ZIMBABWEENS !


Bamako, le 11 février 2009.


Signataires : Aminata D. Traoré (Essayiste, Mali) – Jean Ziegler (Sociologue, Suisse) – Boris Boubacar Diop (Ecrivain, Sénégal) - Mireille Frantz Fanon (Fondation Frantz Fanon) – Diadié Y. Dagnoko (Enseignant, Mali) -Demba Moussa Dembélé (Economiste, Sénégal) – Assetou Founé Samaké (Biologiste, Mali) - Bruno Rebelle - Souleymane Koly (Artiste chorégraphe, Côte d’Ivoire)– Hamidou Magassa (Ecrivain, Mali) – Christian Koné (Journaliste, Burkina-Faso) – Ismaël Diabaté (Artiste-peintre, Mali) – Bibi Diawara (Démographe, Mali) – Lucette et Christian Morillon (LA BRASSAUDERIE 17120 EPARGNES France) – Mamadou Goïta (Socio-économiste, Mali) – Sarah Jane Mellor (Traductrice France/Angleterre) – Moussa Bolly (Journaliste, Mali) – Valerie Ngo Biem (Cameroun) – Jean Michel Naud (Enseignant, France) – Clariste Soh Moube(Cameroun) – Moustapha Diaté (Economiste, Sénégal) – Aziz Coulibaly (Comptable, Côte-d'Ivoire) –Aboubakary Gollock (Eonomiste, Canada) –Amadou Gollock (Consultant, Mali)

 


Zimbabawe : L’INSOUMIS ET LE BOUC EMISSAIRE – par A.Traoré


"Il n’est pas certain que l’extrême personnalisation du conflit et la diabolisation de l’un des principaux protagonistes - Robert Mugabé en l’occurrence - ait aidé en quoi que ce soit à clarifier les enjeux de la lutte sociale et politique en cours au Zimbabwe". Achille Mbembe (Zimbabwe : le cynisme des nations)


1. QUI JUGE QUI ? POUR QUELS CRIMES ?


Le torrent de boue dont on couvre Robert Mugabé depuis de longs mois a quelque chose de nauséabond et de suspect. J’en souffre.

"Qui le juge ? De quels crimes est-il coupable ?" sont parmi les questions que nous sommes nombreux à nous demander, ce 10 décembre 2008, à l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH).

"A 85 ans, pourquoi s’accroche-il tant au pouvoir ?" entendons nous dire. Est-ce une raison suffisante pour l’humilier ? Est-il le seul de cette génération, à occuper ce poste a un tel âge ?

"Il est au pouvoir depuis 28 ans." En termes de longévité au pouvoir est-il le doyen en Afrique ?

"La fraude électorale ?" A-t-on oublié les élections américaines de 2000 ?

Rares sont ceux qui, en dehors du continent, se doutent des enjeux véritables de cette campagne de dénigrement et de déstabilisation d’une rare violence contre cet homme tant le titre de dictateur sied aux dirigeants du Sud, plus particulièrement ceux du Continent noir. Il suffit de regarder du côté de la Cour Pénale Internationale pour s’en convaincre. Pendant ce temps les fauteurs de guerre en Irak et en Afghanistan se posent en défenseurs des droits de l’homme au Zimbabwe et partout ailleurs.

Puisqu’ils ne sont pas à une contradiction près, les puissants de ce monde élèvent par ailleurs des murs devant ceux dont ils prétendent défendre les droits lorsque ceux-ci tentent d’échapper aux effets destructeurs du capitalisme mondialisé. Le pacte européen sur l’immigration et l’asile dont la France a fait de l’adoption une priorité dans le cadre de sa présidence de l’Union Européenne est l’une des traductions de ce cynisme.


2.  L’INDIGNATION SELECTIVE


L’indignation et la justice à géométrie variable qui jettent le discrédit sur les droits de l’homme tournent au scandale lorsque George W Bush se joint à Gordon Brown et Nicolas Sarkozy pour exiger la démission de Robert Mugabé, responsable selon eux des 600 personnes victimes du choléra. Toute perte de vie humaine est un drame. Mais alors, que dire des guerres en Irak et en Afghanistan qui ont fait près d’un million et demi de morts ?

Robert Mugabe aurait ruiné son pays dont l’économie était florissante et violé les droits des Zimbabwéens. En huit années d’une gestion calamiteuse George W Bush, a fait pire en conduisant l’économie la plus puissante de la planète au bord du gouffre avec des conséquences dramatiques et pour son pays et pour le reste du monde : accroissement du chômage, pertes de revenus, tensions sociales et violences en tout genre.

Que fait et que compte faire la fameuse communauté internationale dont George W Bush et ses alliés se réclament face au drame de l’Irak puisqu’il a enfin admis qu’il a commis une "erreur" tout en se défaussant sur des services de renseignements qui lui auraient présenté Saddam Hussein comme une menace pour les USA ? Ce mea-culpa tardif n’incite, visiblement, ni le Président américain, ni le Premier ministre britannique à changer de regard et de perspectives quant au Zimbabwe. Le départ de Robert Mugabé, le Saddam Hussein de Tony Blair, est une obsession. Et, tant mieux, si la faim, le chômage, la maladie et la fuite des Zimbabwéens, provoqués par des années d’isolement et de sanctions économiques, peuvent être instrumentalisés en vue d’atteindre cet objectif. Un tel acharnement participe, bel et bien, à la criminalisation, la traque et l’élimination de la "racaille" dans les banlieues du monde globalisé.

Ainsi va le monde, soixante ans après la déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUDH). Le "plus jamais ça" est parfaitement valable pour les "civilisés" qui évitent la guerre chez eux et se serrent les coudes dans la mise au pas des "barbares". Pillée et humiliée l’Afrique se doit de tirer le maximum d’enseignements de cette réalité en apprenant à distinguer les conséquences des actes de sabotage économique et de déstabilisation des dirigeants qui osent dire "non" de la mauvaise gestion que les démocraties occidentales savent, du reste, pardonner tant que leurs intérêts ne sont pas menaces


3.  L’ASPHYXIE ECONOMIQUE


Pèle mêle, les ennemis Robert Mugabe retiennent, contre lui, en plus de l’expropriation des fermiers blancs des terres agricoles, l’hyperinflation qui chasse les élites (médecins, avocats, enseignants, journalistes...) du pays, l’opération de déguerpissement des mal logés en 2005, la fuite de plus de trois millions zimbabwéens vers l’Angleterre et l’Afrique du Sud, la répression des opposants, le pourcentage élevé de personnes atteintes du SIDA, la faim et, à présent, l’épidémie de choléra.

Mais, la quasi-totalité des situations imputées à l’incapacité du dirigeant zimbabwéen à gérer son pays résulte d’abord du non respect d’engagements pris, l’une des caractéristiques de nos rapports avec les pays riches comme l’atteste, plus récemment, les fausses promesses d’aide du Sommet de Gleneagles. L’argent qui coule à flot ces derniers temps dans le cadre du sauvetage des banques a toujours fait défaut quand il s’agit d’honorer les engagements pris envers les peuples dominés. Le facteur déclencheur de la crise zimbabwéenne est plus précisément le non respect par la Grande Bretagne de l’accord de Lancaster House (signé en 1979) selon lequel elle devait dédommager les fermiers blancs dans le cadre de la réforme agraire.

La terre, - un enjeu central dans toutes les sociétés dont l’économie repose sur l’agriculture - est donc au cœur de la rupture. C’est en cela que le bras de fer entre l’ex Rhodésie du Sud et l’ancienne puissance coloniale est emblématique des tensions en Afrique Australe et des conflits à venir à l’échelle du Continent puisque l’ouverture au marché rime de plus en plus avec l’octroi de centaines de milliers d’hectares aux investisseurs étrangers au détriment des petits producteurs.

L’économie zimbabwéenne était florissante et Robert Mugabé fréquentable tant que la minorité de fermiers blancs d’origine britannique pouvaient faire travailler des centaines de milliers d’ouvriers agricoles noirs sur les millions d’hectares de terres agricoles qui étaient en leur possession. Le héros de l’indépendance, est devenu l’homme à abattre à partir du moment où face au refus de Tony Blair de respecter les termes de l’accord de Lancaster House, il a dû récupérer les terres des fermiers blancs. Tout a depuis lors été dit à propos de la redistribution de ces terres qui n’aurait profité qu’aux proches de Robert Mugabé. La réalité est toute autre. Des milliers de familles sans terre jouissent aujourd’hui de leur droit à ce moyen de production. L’irrigation, les fertilisants, les prêts et la mécanisation sont autant d’efforts fournis dans le cadre de cette réforme agraire, avec les maigres moyens de l’Etat la priorité étant la couverture des besoins nationaux par l’agriculture nationale.

L’Europe, l’Amérique du Nord, l’Australie, la Nouvelle Zélande ont réagi dès la première procédure de retrait des terres, en 1997. Le dollar zimbabwéen a commencé à chuter et les sanctions économiques à pleuvoir : privation du pays de toute aide extérieure, de crédit, d’assistance de la part des institutions financières internationales et l’interdiction d’échanges commerciaux avec les entreprises américaines. Le pays de Robert Mugabé n’a bénéficié d’aucune aide en matière de balance des paiements depuis 1994 alors que jamais auparavant, il n’avait été privé d’apports extérieurs. Il a fallu, faute de prêts assortis de conditions favorables procéder à des émissions monétaires.

L’ingérence et la subversion à la base consistent dans ces circonstances à créer la pénurie en privant l’Etat souverain de moyens et à soutenir des ONG et des opposants politiques qui s’attirent la sympathie des populations auprès desquelles ils interviennent.

Les conséquences de l’embargo et des sanctions économiques ont été aggravés par des sécheresses autrefois cycliques (à peu près tous les dix ans) mais désormais fréquentes du fait des perturbations climatiques.


4.  L’ALIBI DEMOCRATIQUE


La Grande Bretagne prendrait une sacrée revanche sur l’histoire et rendrait un immense service aux fermiers blancs qui attendent, si elle parvenait à porter au pouvoir dans son ancienne colonie, un dirigeant de son choix ou tout au mois acquis au libéralisme économique.

Au-delà de la Grande Bretagne, les puissances coloniales et leurs alliés n’ont jamais eu autant besoin de renforcer leur présence en Afrique, l’avancée de la Chine étant une véritable menace pour eux. Ils y arrivent au prix de l’ingérence, de la subversion et de la guerre. C’est dire jusqu’à quel point le fossé est abyssal entre la rhétorique sur la démocratie, les droits de l’homme et les desseins des Etats libéraux d’Europe et d’Amérique sur le Continent noir.

Le débat houleux qui pendant longtemps a opposé les Occidentaux aux dirigeants des pays d’Asie dont la Chine quant à la primauté des droits économiques et sociaux sur les droits politiques ressurgit ainsi à la faveur de la mondialisation néolibérale sans être pris en charge de manière conséquente par les formations politiques africaines, la société civile et les médias. Il en est ainsi parce que les dirigeants africains savent que leurs pays seraient dans le même piteux état que le Zimbabwe s’ils s’avisaient, à l’instar de Robert Mugabe, à aller à l’encontre des intérêts dominants. La politique de la terre brûlée est réservée, comme ce fut également le cas pour la Guinée de Sékou Touré, à tous ceux qui s’écartent du "droit chemin".

Pour l’heure, en dépit du satisfecit des Occidentaux pour certaines "transitions démocratiques", le vote ne sert qu’au renouvellement du personnel local du système-monde. Les électeurs locaux en deviennent, à leur propre insu des clients de la politique spectacle et les victimes des rapports marchands qui lui sont sous-jacents. Les sujets qui peuvent écorcher les oreilles du G8, de l’UE et les IFIS tel que le pillage des matières premières de l’Afrique, le diktat des grandes puissances, la dette extérieure, les réformes néolibérales sont soigneusement écartés du débat électoral quand débat il y a. Et gare aux esprits critiques (opposants, médias, citoyens avisés...) qui osent défier les dirigeants dirigés dans leurs comportements mimétiques et complaisants. Ils sont combattus, de manière sournoise ou ouverte. Par contre, les faux opposants, les médias aux ordres, les associations et ONG qui savent manier la langue de bois seront épargnés, récompensés et utilisés pour soigner l’image du pays.


5.   NOUS SOMMES TOUS ZIMBABWEENS!


Rien ne justifie l’humiliation de Robert Mugabé et les privations imposées à son peuple afin qu’il se soulève et le renverse. Il n’est pas paranoïaque puisque Gordon Brown et ses alliés après avoir poussé Morgan Tsvangiraï marchent à présent à visage découvert et sans complexe, lui demandant de démissionner. Nommer et défier ses agresseurs n’a rien à voir avec la haine des Occidentaux véhiculée par certains médias qui excellent dans le lavage des cerveaux quant a Robert Mugabe. Précisément parce qu’il se savait le dirigeant d’un pays composé de Blancs et de Noirs il a tenté de les fédérer en nommant des ministres zimbabwéens d’origine britannique dans gouvernement.

Robert Mugabé n’est en aucun cas ce bourreau qui affame son peuple et le condamne à mourir du cholera et de je ne sais pas quelle autre maladie. Les quinze années durant lesquelles il avait les mains libres il a réussi à réaliser le taux d’éducation le plus élevé du continent en plus des performances économiques enregistrées. On ne peut lui reprocher non plus de s’être enrichi personnellement ; à l’instar de la plupart de ses homologues même si certains excès son reprochés à son épouse.

La persécution dont il est l’objet augure en réalité des difficultés à venir chaque fois qu’un dirigeant africain voudra se démarquer de la pensée unique en revendiquant la souveraineté économique, politique et alimentaire. Nous serons faibles et vulnérables tant que, face a une telle situation les peuples conscients des enjeux et des dangereux rouages du monde actuel ne prendront pas leurs destins en mains et ne défieront pas eux-mêmes leurs dirigeants mais aussi l’Union Européenne, les IFIs les anciennes puissances coloniales en quête de lieux d’ancrage ; de matières premières et de parts de marchés.

Nous sommes tous des Zimbabwéens face au défi de la nouvelle citoyenneté qui fera de nous les seuls et véritables responsables de l’alternance politique dans nos pays et de la défense de tous nos droits.


Aminata D TRAORE

Ancienne ministre, Essayiste

Animatrice du Forum pour un Autre Mali (FORAM)

Bamako le, 10 décembre 2008

 



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