Plus
de 3000 morts et près de 70 000 malades du choléra au
Zimbabwe, avec des risques de propagation de l’épidémie
aux pays voisins, n'ont donc pas suffi à mettre un terme aux
sanctions économiques que la Grande-Bretagne et ses alliés
infligent à ce pays depuis la fin de la décennie 90.
C'est ainsi que le Conseil de l'Europe, à l'issue de sa
session du 26 janvier 2009, a décidé de "proroger
d'une année la position commune concernant les mesures
restrictives à l'encontre du Zimbabwe". D'une extrême
gravité, une telle décision ne peut qu'exacerber une
situation déjà caractérisée par un taux
de chômage (94%) et d'inflation qui sont les plus élevés
au monde, la pénurie alimentaire dont souffrent près de
7 millions de personnes, la déscolarisation des enfants ainsi
que la fuite des bras et des cerveaux dont de nombreux enseignants et
membres du personnel soignant.
L’unique
tort du peuple zimbabwéen, ainsi privé de travail, de
revenu, d’eau potable, de soins de santé et de
nourriture – condamné, en somme, à une véritable
descente aux enfers - est d’être dirigé par Robert
Mugabe dont l’éviction a été exigée
pendant de longues semaines de campagne de déstabilisation et
de diabolisation. L'ancienne puissance coloniale, les adversaires
politiques du Président zimbabwéen ainsi que des ONG et
les médias dominants l’accusent d’avoir ruiné
son pays, de violer les droits de ses concitoyens et de se maintenir
au pouvoir par la répression des opposants et la fraude
électorale. A défaut de sa démission, le partage
du pouvoir avec son principal rival, Morgan Tsvangirai, vient d'être
conclu après quatre mois de négociations au cours
desquelles le Président du Mouvement pour le Changement
Démocratique (MDC) exigeait, en plus du poste de Premier
ministre, le contrôle de postes ministériels
stratégiques.
Il
est heureux que la réunion du 30 janvier 2009 des pays membres
de la Communauté de développement de l'Afrique australe
(SADC) ait débouché sur ce dénouement pacifique
qui vient de se traduire par la constitution d'un gouvernement
d'union nationale avec Morgan Tsvangirai comme Premier ministre.
Espérons que le Président Robert Mugabé et la
Zanu-PF seront à hauteur d'attente pour que cette crise soit
un triste souvenir !
Mais,
ce pas important n'est que l'amorce d'un processus de normalisation
qui, pour mettre fin au martyre du peuple zimbabwéen, exige la
levée immédiate et sans autres conditions des sanctions
économiques qui ont largement contribué à
plonger l'ancienne Rhodésie du Sud dans une situation aussi
calamiteuse. Cette lecture du drame zimbabwéen sous l’angle
des mesures punitives qui affament, appauvrissent et tuent des
innocents n’exonère en rien le Président
zimbabwéen et son parti pour les erreurs qu’ils ont pu
commettre. Il s’agit de donner une chance à la paix en
mettant en lumière des faits déterminants mais
délibérément occultés.
Il
faut remonter aux Accords de Lancaster House qui, en 1979, ont mis
fin à quatorze années de lutte féroce pour la
libération de l'ancienne Rhodésie du Sud des griffes du
raciste Ian Smith. Ils ont été signés dans un
contexte où quelques 6000 fermiers blancs possédaient
plus de 15,5 millions d'hectares sur les terres les plus fertiles du
pays. Pendant ce temps près de 4,5 millions de Noirs
subsistaient péniblement sur les "terres communales"
souvent arides où les colons les avaient confinés un
siècle durant. Le consentement entre l'acheteur et le vendeur
est l'un des principaux aspects du dispositif qui devait changer
cette situation. Dix ans plus tard, elle n'avait pas évolué
de manière palpable parce que les fermiers blancs avaient
renchéri les prix et ne cédaient que les terres les
moins fertiles.
En
1997, le gouvernement de Tony Blair signifia à Harare qu'il ne
pouvait plus contribuer financièrement au transfert des terres
aux Noirs, comme convenu, en dédommageant des fermiers
britanniques qui devaient être expropriés. Le Président
zimbabwéen a alors décidé de confisquer, sans
compensation, les terres de ces derniers qui ont dès lors
promis de faire sa perte. Les sanctions économiques
constituent la machine de guerre financière, économique,
sociale et politique qui a été déployée
en guise de punition par la Grande Bretagne et ses alliés plus
particulièrement les USA. Jugeons-en :
-
En décembre 2001, le Congrès des Etats-Unis d’Amérique
a voté le « Zimbabwe Democracy and Economic Recovery Act
» ou loi sur la relance économique et la démocratie
au Zimbabwe. Elle comporte entre autres l’opposition des
Etats-Unis d'Amérique à tout prêt au Zimbabwe et
à l’annulation de sa dette auprès des
institutions internationales de financement. Cette loi a largement
contribué à plonger le Zimbabwe dans la récession
économique et dans une inflation de plus en plus vertigineuse.
-
En 2002, l’administration Bush a également mis en place
un programme dénommé « Gouvernance et démocratie
» doté de 6 millions de dollars destinés à
soutenir les opposants (MDC, syndicats, groupes religieux, ONG,
médias « indépendants », etc.).
-
Au plus fort de la campagne de redistribution des terres, les
Etats-Unis s’opposèrent à l’aide du
Programme Alimentaire Mondial (PAM) aux Zimbabwéens.
-
En 2004, l’administration Bush s’opposa également
à l’appui du Fonds Mondial contre le Sida aux malades du
Zimbabwe.
-
A partir de 2002, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne poussèrent
l’Union européenne à prendre des sanctions contre
le Zimbabwe, en violation de l’article 98 de l’Accord de
Cotonou signé en 2000 entre l’Union européenne et
les pays ACP (Afrique, Caraïbe et Pacifique).
-
Tous les fonds consentis par différents pays occidentaux à
l’éducation, à la santé et à
l’assainissement furent suspendus.
Il
suffit d’ajouter à ces sanctions les conséquences
classiques et désastreuses des programmes d’ajustement
(PAS) du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque
mondiale (libéralisation, privatisations, bas salaires,
détérioration des conditions de vie…) et le
cycle plus rapproché des sécheresses pour réaliser
les causes profondes de l'enlisement du Zimbabwe. Les autres pays
africains n'échappent au même sort que parce qu'ils
vivent sous perfusion, alimentés par les financements
extérieurs dont ce pays est privé.
Les
sanctions infligées au Zimbabwe sont d'autant plus
injustifiables qu'elles émanent d'Etats et d'institutions non
transparents et non démocratiques dans leurs pratiques en
Afrique si nous considérons les règles du commerce
mondial, les termes des accords de partenariat économique
(APE) ou de réadmission des migrants africains. Ils sont
illégitimes parce que non représentatifs des peuples
africains dont ils bafouent les droits économiques mais savent
instrumentaliser dans la défense de leurs propres intérêts.
Antidémocratiques
et meurtrières, les sanctions économiques relèvent
par ailleurs de la corruption politique et financière dans la
mesure où en sanctionnant les dirigeants qu'ils jugent
indésirables, les grandes puissances dissuadent ceux d'entre
eux qui seraient tentés de s'écarter de ce que qu'elles
considèrent comme le droit chemin.
Galvaudés,
instrumentalisés et décrédibilisés, sont
la démocratie, les droits de l'homme et la bonne gouvernance,
à partir du moment où les puissants qui prétendent
en être les garants, les bafouent quand ils ne les transforment
pas en redoutables instruments de pression, de domination et de
chantage au financement.
Aussi,
est-il grand temps de privilégier dans le débat sur le
présent et l'avenir de l'Etat postcolonial en Afrique, la
question centrale mais souvent occultée du contrôle des
richesses et de l'initiative du changement dont la réforme
agraire. En plus de la personnalisation à outrance du débat
politique, le pays de Robert Mugabé est, sur ce plan aussi, un
cas d'école à méditer à l'heure de la
ruée des multinationales de tous horizons vers les terres
fertiles du continent et du grand bradage au nom de la croissance et
du marché-roi.
Alors
que le diagnostic de la situation est biaisé et les sanctions
économiques meurtrières pour les populations des voix
incitent le nouveau Président américain, Barack Obama,
à les poursuivre, à son tour. Son « Yes we can »,
faut-il le rappeler exige un changement radical de regard, de
discours et de pratiques en matière de politique américaine
en Afrique. Il est de la plus grande importance qu'il joue sur le
continent noir comme au Proche-Orient la carte de l’écoute
et de la main tendue au lieu de la poursuite de sanctions qui d'une
manière ou d'une autre ne sont que violence contre des peuples
démunis, désemparés et désinformés.
Il
s'agit plus concrètement d'en finir avec la thèse de
l'axe du Bien et du Mal de George W. Bush qui a valu au monde
l’agression et l’occupation de l’Irak de Saddam
Hussein, les attaques barbares et répétées
d’Israël contre le peuple palestinien, illustrées
par le dernier déluge de feu sur la bande de Gaza. En Afrique,
elle passe d'une certaine manière par le Zimbabwe. La mise en
lumière des enjeux mondiaux économiques, sociaux,
financiers et environnementaux de telle sorte que les Zimbabwéens
et les Africains, d’une manière générale,
s’engagent dans le jeu démocratique sur des bases autres
que l'alternance pour l'alternance et la course aux postes
stratégiques est le véritable défi qui devrait
interpeller les dirigeants africains, les institutions sous
régionales, l'UA et les véritables alliés du
continent.
Nous
rappelons qu'il est périlleux pour l'Afrique de suivre les
conseils des maîtres du monde aujourd'hui embourbés dans
une profonde crise, signe de l'échec de leur idéal de
société que la moralisation de la sphère
financière ne suffit pas à crédibiliser. Quant à
la légitimité du pouvoir politique en Afrique, il
convient de souligner qu'au-delà des élections qui sont
nécessaires, elle réside aussi et surtout dans la
volonté et la capacité des dirigeants élus à
négocier et à gérer les richesses du continent
dans le sens des intérêts de ceux et celles qui les ont
mandatés.
Aussi,
l'accalmie qui vient d'être obtenue par la SADC doit-elle être
érigée en paix véritable pour les Zimbabwéens
et pour l'Afrique tout entière en opportunité de jeter
un autre éclairage sur les crises, son image habituellement
malmenée ayant été considérablement
ternie par l'hypocrisie et les mensonges qui prévalent dans
l'analyse de la situation de ce pays.
Les
intellectuels et les autres acteurs de la société
civile critique ainsi que les politiques africains et non africains
qui estiment que le continent noir n'est pas une planète à
part mais bel et bien le berceau de l'Humanité et partie
prenante du capitalisme fou et destructeur doivent contribuer à
en déceler et à en démonter les rouages.
Pour
donner une chance à une paix véritable et durable au
Zimbabwe, nous joignons nos voix à celles des Zimbabwéens
qui n’ont que trop souffert, de la SADC et de l'UA et rappelons
à la Grande Bretagne, aux USA et à l'UE le coût
social et humain exorbitant des mesures punitives infligées à
ce pays.
-
Nous déclarons que l’eau potable, la nourriture et les
médicaments doivent cesser d’être des armes de
guerre
-
Nous demandons la levée immédiate du blocus qui prive
des millions de Zimbabwéens de ces biens indispensables à
une existence humaine digne de ce nom.
-
Nous considérons qu’il est profondément injuste
et irresponsable de suspendre des vies humaines à un accord de
partage du pouvoir politique au sommet.
Oui,
nous le pouvons ! Il suffit de ne plus confondre les intérêts
britanniques, américains et européens avec les droits
des peuples zimbabwéen et africains à la terre, la
nourriture, l’eau potable, la santé, l'éducation,
l'emploi et le revenu.
NOUS
SOMMES TOUS ZIMBABWEENS !
Bamako,
le 11 février 2009.
Signataires
: Aminata D. Traoré (Essayiste, Mali) – Jean Ziegler
(Sociologue, Suisse) – Boris Boubacar Diop (Ecrivain, Sénégal)
- Mireille Frantz Fanon (Fondation Frantz Fanon) – Diadié
Y. Dagnoko (Enseignant, Mali) -Demba Moussa Dembélé
(Economiste, Sénégal) – Assetou Founé
Samaké (Biologiste, Mali) - Bruno Rebelle - Souleymane Koly
(Artiste chorégraphe, Côte d’Ivoire)–
Hamidou Magassa (Ecrivain, Mali) – Christian Koné
(Journaliste, Burkina-Faso) – Ismaël Diabaté
(Artiste-peintre, Mali) – Bibi Diawara (Démographe,
Mali) – Lucette et Christian Morillon (LA BRASSAUDERIE 17120
EPARGNES France) – Mamadou Goïta (Socio-économiste,
Mali) – Sarah Jane Mellor (Traductrice France/Angleterre) –
Moussa Bolly (Journaliste, Mali) – Valerie Ngo Biem (Cameroun)
– Jean Michel Naud (Enseignant, France) – Clariste Soh
Moube(Cameroun) – Moustapha Diaté (Economiste, Sénégal)
– Aziz Coulibaly (Comptable, Côte-d'Ivoire) –Aboubakary
Gollock (Eonomiste, Canada) –Amadou Gollock (Consultant, Mali)
Zimbabawe :
L’INSOUMIS ET LE BOUC EMISSAIRE – par A.Traoré
"Il
n’est pas certain que l’extrême personnalisation du
conflit et la diabolisation de l’un des principaux
protagonistes - Robert Mugabé en l’occurrence - ait aidé
en quoi que ce soit à clarifier les enjeux de la lutte sociale
et politique en cours au Zimbabwe". Achille Mbembe (Zimbabwe :
le cynisme des nations)
1.
QUI JUGE QUI ? POUR QUELS CRIMES ?
Le
torrent de boue dont on couvre Robert Mugabé depuis de longs
mois a quelque chose de nauséabond et de suspect. J’en
souffre.
"Qui
le juge ? De quels crimes est-il coupable ?" sont
parmi les questions que nous sommes nombreux à nous demander,
ce 10 décembre 2008, à l’occasion du 60ème
anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme (DUDH).
"A
85 ans, pourquoi s’accroche-il tant au pouvoir ?"
entendons nous dire. Est-ce une raison suffisante pour l’humilier ?
Est-il le seul de cette génération, à occuper ce
poste a un tel âge ?
"Il
est au pouvoir depuis 28 ans." En termes de longévité
au pouvoir est-il le doyen en Afrique ?
"La
fraude électorale ?" A-t-on oublié les
élections américaines de 2000 ?
Rares
sont ceux qui, en dehors du continent, se doutent des enjeux
véritables de cette campagne de dénigrement et de
déstabilisation d’une rare violence contre cet homme
tant le titre de dictateur sied aux dirigeants du Sud, plus
particulièrement ceux du Continent noir. Il suffit de regarder
du côté de la Cour Pénale Internationale pour
s’en convaincre. Pendant ce temps les fauteurs de guerre en
Irak et en Afghanistan se posent en défenseurs des droits de
l’homme au Zimbabwe et partout ailleurs.
Puisqu’ils
ne sont pas à une contradiction près, les puissants de
ce monde élèvent par ailleurs des murs devant ceux dont
ils prétendent défendre les droits lorsque ceux-ci
tentent d’échapper aux effets destructeurs du
capitalisme mondialisé. Le pacte européen sur
l’immigration et l’asile dont la France a fait de
l’adoption une priorité dans le cadre de sa présidence
de l’Union Européenne est l’une des traductions de
ce cynisme.
2. L’INDIGNATION
SELECTIVE
L’indignation
et la justice à géométrie variable qui jettent
le discrédit sur les droits de l’homme tournent au
scandale lorsque George W Bush se joint à Gordon Brown et
Nicolas Sarkozy pour exiger la démission de Robert Mugabé,
responsable selon eux des 600 personnes victimes du choléra.
Toute perte de vie humaine est un drame. Mais alors, que dire des
guerres en Irak et en Afghanistan qui ont fait près d’un
million et demi de morts ?
Robert
Mugabe aurait ruiné son pays dont l’économie
était florissante et violé les droits des Zimbabwéens.
En huit années d’une gestion calamiteuse George W Bush,
a fait pire en conduisant l’économie la plus puissante
de la planète au bord du gouffre avec des conséquences
dramatiques et pour son pays et pour le reste du monde :
accroissement du chômage, pertes de revenus, tensions sociales
et violences en tout genre.
Que
fait et que compte faire la fameuse communauté internationale
dont George W Bush et ses alliés se réclament face au
drame de l’Irak puisqu’il a enfin admis qu’il a
commis une "erreur" tout en se défaussant sur des
services de renseignements qui lui auraient présenté
Saddam Hussein comme une menace pour les USA ? Ce mea-culpa
tardif n’incite, visiblement, ni le Président américain,
ni le Premier ministre britannique à changer de regard et de
perspectives quant au Zimbabwe. Le départ de Robert Mugabé,
le Saddam Hussein de Tony Blair, est une obsession. Et, tant mieux,
si la faim, le chômage, la maladie et la fuite des Zimbabwéens,
provoqués par des années d’isolement et de
sanctions économiques, peuvent être instrumentalisés
en vue d’atteindre cet objectif. Un tel acharnement participe,
bel et bien, à la criminalisation, la traque et l’élimination
de la "racaille" dans les banlieues du monde globalisé.
Ainsi
va le monde, soixante ans après la déclaration
universelle des Droits de l’Homme (DUDH). Le "plus jamais
ça" est parfaitement valable pour les "civilisés"
qui évitent la guerre chez eux et se serrent les coudes dans
la mise au pas des "barbares". Pillée et humiliée
l’Afrique se doit de tirer le maximum d’enseignements de
cette réalité en apprenant à distinguer les
conséquences des actes de sabotage économique et de
déstabilisation des dirigeants qui osent dire "non"
de la mauvaise gestion que les démocraties occidentales
savent, du reste, pardonner tant que leurs intérêts ne
sont pas menaces
3.
L’ASPHYXIE ECONOMIQUE
Pèle
mêle, les ennemis Robert Mugabe retiennent, contre lui, en plus
de l’expropriation des fermiers blancs des terres agricoles,
l’hyperinflation qui chasse les élites (médecins,
avocats, enseignants, journalistes...) du pays, l’opération
de déguerpissement des mal logés en 2005, la fuite de
plus de trois millions zimbabwéens vers l’Angleterre et
l’Afrique du Sud, la répression des opposants, le
pourcentage élevé de personnes atteintes du SIDA, la
faim et, à présent, l’épidémie de
choléra.
Mais,
la quasi-totalité des situations imputées à
l’incapacité du dirigeant zimbabwéen à
gérer son pays résulte d’abord du non respect
d’engagements pris, l’une des caractéristiques de
nos rapports avec les pays riches comme l’atteste, plus
récemment, les fausses promesses d’aide du Sommet de
Gleneagles. L’argent qui coule à flot ces derniers temps
dans le cadre du sauvetage des banques a toujours fait défaut
quand il s’agit d’honorer les engagements pris envers les
peuples dominés. Le facteur déclencheur de la crise
zimbabwéenne est plus précisément le non respect
par la Grande Bretagne de l’accord de Lancaster House (signé
en 1979) selon lequel elle devait dédommager les fermiers
blancs dans le cadre de la réforme agraire.
La
terre, - un enjeu central dans toutes les sociétés dont
l’économie repose sur l’agriculture - est donc au
cœur de la rupture. C’est en cela que le bras de fer
entre l’ex Rhodésie du Sud et l’ancienne puissance
coloniale est emblématique des tensions en Afrique Australe et
des conflits à venir à l’échelle du
Continent puisque l’ouverture au marché rime de plus en
plus avec l’octroi de centaines de milliers d’hectares
aux investisseurs étrangers au détriment des petits
producteurs.
L’économie
zimbabwéenne était florissante et Robert Mugabé
fréquentable tant que la minorité de fermiers blancs
d’origine britannique pouvaient faire travailler des centaines
de milliers d’ouvriers agricoles noirs sur les millions
d’hectares de terres agricoles qui étaient en leur
possession. Le héros de l’indépendance, est
devenu l’homme à abattre à partir du moment où
face au refus de Tony Blair de respecter les termes de l’accord
de Lancaster House, il a dû récupérer les terres
des fermiers blancs. Tout a depuis lors été dit à
propos de la redistribution de ces terres qui n’aurait profité
qu’aux proches de Robert Mugabé. La réalité
est toute autre. Des milliers de familles sans terre jouissent
aujourd’hui de leur droit à ce moyen de production.
L’irrigation, les fertilisants, les prêts et la
mécanisation sont autant d’efforts fournis dans le cadre
de cette réforme agraire, avec les maigres moyens de l’Etat
la priorité étant la couverture des besoins nationaux
par l’agriculture nationale.
L’Europe,
l’Amérique du Nord, l’Australie, la Nouvelle
Zélande ont réagi dès la première
procédure de retrait des terres, en 1997. Le dollar zimbabwéen
a commencé à chuter et les sanctions économiques
à pleuvoir : privation du pays de toute aide extérieure,
de crédit, d’assistance de la part des institutions
financières internationales et l’interdiction d’échanges
commerciaux avec les entreprises américaines. Le pays de
Robert Mugabé n’a bénéficié
d’aucune aide en matière de balance des paiements depuis
1994 alors que jamais auparavant, il n’avait été
privé d’apports extérieurs. Il a fallu, faute de
prêts assortis de conditions favorables procéder à
des émissions monétaires.
L’ingérence
et la subversion à la base consistent dans ces circonstances à
créer la pénurie en privant l’Etat souverain de
moyens et à soutenir des ONG et des opposants politiques qui
s’attirent la sympathie des populations auprès
desquelles ils interviennent.
Les
conséquences de l’embargo et des sanctions économiques
ont été aggravés par des sécheresses
autrefois cycliques (à peu près tous les dix ans) mais
désormais fréquentes du fait des perturbations
climatiques.
4.
L’ALIBI DEMOCRATIQUE
La
Grande Bretagne prendrait une sacrée revanche sur l’histoire
et rendrait un immense service aux fermiers blancs qui attendent, si
elle parvenait à porter au pouvoir dans son ancienne colonie,
un dirigeant de son choix ou tout au mois acquis au libéralisme
économique.
Au-delà
de la Grande Bretagne, les puissances coloniales et leurs alliés
n’ont jamais eu autant besoin de renforcer leur présence
en Afrique, l’avancée de la Chine étant une
véritable menace pour eux. Ils y arrivent au prix de
l’ingérence, de la subversion et de la guerre. C’est
dire jusqu’à quel point le fossé est abyssal
entre la rhétorique sur la démocratie, les droits de
l’homme et les desseins des Etats libéraux d’Europe
et d’Amérique sur le Continent noir.
Le
débat houleux qui pendant longtemps a opposé les
Occidentaux aux dirigeants des pays d’Asie dont la Chine quant
à la primauté des droits économiques et sociaux
sur les droits politiques ressurgit ainsi à la faveur de la
mondialisation néolibérale sans être pris en
charge de manière conséquente par les formations
politiques africaines, la société civile et les médias.
Il en est ainsi parce que les dirigeants africains savent que leurs
pays seraient dans le même piteux état que le Zimbabwe
s’ils s’avisaient, à l’instar de Robert
Mugabe, à aller à l’encontre des intérêts
dominants. La politique de la terre brûlée est réservée,
comme ce fut également le cas pour la Guinée de Sékou
Touré, à tous ceux qui s’écartent du
"droit chemin".
Pour
l’heure, en dépit du satisfecit des Occidentaux pour
certaines "transitions démocratiques", le vote ne
sert qu’au renouvellement du personnel local du système-monde.
Les électeurs locaux en deviennent, à leur propre insu
des clients de la politique spectacle et les victimes des rapports
marchands qui lui sont sous-jacents. Les sujets qui peuvent écorcher
les oreilles du G8, de l’UE et les IFIS tel que le pillage des
matières premières de l’Afrique, le diktat des
grandes puissances, la dette extérieure, les réformes
néolibérales sont soigneusement écartés
du débat électoral quand débat il y a. Et gare
aux esprits critiques (opposants, médias, citoyens avisés...)
qui osent défier les dirigeants dirigés dans leurs
comportements mimétiques et complaisants. Ils sont combattus,
de manière sournoise ou ouverte. Par contre, les faux
opposants, les médias aux ordres, les associations et ONG qui
savent manier la langue de bois seront épargnés,
récompensés et utilisés pour soigner l’image
du pays.
5.
NOUS SOMMES TOUS ZIMBABWEENS!
Rien
ne justifie l’humiliation de Robert Mugabé et les
privations imposées à son peuple afin qu’il se
soulève et le renverse. Il n’est pas paranoïaque
puisque Gordon Brown et ses alliés après avoir poussé
Morgan Tsvangiraï marchent à présent à
visage découvert et sans complexe, lui demandant de
démissionner. Nommer et défier ses agresseurs n’a
rien à voir avec la haine des Occidentaux véhiculée
par certains médias qui excellent dans le lavage des cerveaux
quant a Robert Mugabe. Précisément parce qu’il se
savait le dirigeant d’un pays composé de Blancs et de
Noirs il a tenté de les fédérer en nommant des
ministres zimbabwéens d’origine britannique dans
gouvernement.
Robert
Mugabé n’est en aucun cas ce bourreau qui affame son
peuple et le condamne à mourir du cholera et de je ne sais pas
quelle autre maladie. Les quinze années durant lesquelles il
avait les mains libres il a réussi à réaliser le
taux d’éducation le plus élevé du
continent en plus des performances économiques enregistrées.
On ne peut lui reprocher non plus de s’être enrichi
personnellement ; à l’instar de la plupart de ses
homologues même si certains excès son reprochés à
son épouse.
La
persécution dont il est l’objet augure en réalité
des difficultés à venir chaque fois qu’un
dirigeant africain voudra se démarquer de la pensée
unique en revendiquant la souveraineté économique,
politique et alimentaire. Nous serons faibles et vulnérables
tant que, face a une telle situation les peuples conscients des
enjeux et des dangereux rouages du monde actuel ne prendront pas
leurs destins en mains et ne défieront pas eux-mêmes
leurs dirigeants mais aussi l’Union Européenne, les IFIs
les anciennes puissances coloniales en quête de lieux
d’ancrage ; de matières premières et de
parts de marchés.
Nous
sommes tous des Zimbabwéens face au défi de la nouvelle
citoyenneté qui fera de nous les seuls et véritables
responsables de l’alternance politique dans nos pays et de la
défense de tous nos droits.
Aminata
D TRAORE
Ancienne
ministre, Essayiste
Animatrice
du Forum pour un Autre Mali (FORAM)
Bamako
le, 10 décembre 2008
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